Des mots pour le dire : Quand mon père parlait le latin… pour critiquer le gouvernement !

Enfant, j’entendais mon père dire : untel, ou telle marchandise est «falso, cifr». Il osait même dire, dans le secret de la maison, que le gouvernement de l’époque était «falso». C’était au milieu des années 1960 et il parlait de la désastreuse politique de collectivisation menée par Ahmed Ben Salah. Il n’avait pas tort.

Par Abdellaziz Guesmi *

Mon père utilisait aussi les mots comme «tabla, table» ou «ouche, houche», l’enclos autour de la maison, «marmar, marbre»… Si les termes de tabla, marmar et ouche sont, sans conteste, d’origine latine : «tabla, tabula», «ouche, olca», «marmar, marmor», comme je l’ai appris plus tard, celui de «falso» m’a toujours dérouté. 

J’ai mis du temps pour comprendre que ce «falso» ne désignait pas «un fils, un sou, un vaurien, de la menue monnaie», singulier de «flus,  flouz, argent». Quoique, ne valoir qu’un sou, c’est quand-même pas beaucoup !

Au début, j’ai fait le lien entre le «falso» de mon père et l’italien «fallito», faillite en français, car en arabe, faillite se dit «falsa», mais le «t» italien se prononce «t» en arabe.

Histoire du mot «faux, falsus» :

1100 : fals, jugement injuste (Rolland), false lei «fausse loi, fausse religion, qui n’est pas vraie»;

1176 : contrefait, falsifié;

1223 : faux;

1495 : fausser, falsifier, du latin «falsifcare» de faux, issu du latin «falsus».

Le «falso» de mon père est donc issu du latin «falsus», faux. Falsus a donné le français falsifié et non pas failli ou faillite, qui sont issus de l’italien «faillito, faillita»

J’ai oublié de dire que mon père ne parlait ni latin, ni italien. Entretenait-il le fond linguistique de la Tunisie romane, ou utilisait-il ces mots étrangers pour échapper à la censure, comme on utilise de nos jours l’argot ou le verlan?

Ce qui est certain est que, si mon père revenait parmi nous, il dirait «falso et falsa, c’est kif-kif» et s’appliquent, hélas, aux choix du locataire du Palais Carthage et de tous ses prédécesseurs depuis 2011.

La révolution lui a donné la liberté de parler. Et la liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.

* Proviseur à Grenoble.

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