La France s’enlise dans la crise

Au terme de plusieurs semaines de tractations, de débats et de mobilisation sociale, Emmanuel Macron vient de décider de faire passer la très contestée loi de la réforme des retraites par le fameux article 49-3, disposition constitutionnelle permettant à l’exécutif d’imposer un projet au forceps sans le recours à un vote parlementaire. Tout ça pour ça ?

Pr Mondher Azzouzi *

Ce procédé est certes inélégant mais tout à fait légal quand le gouvernement ne dispose pas de majorité absolue ni de coalition solide au parlement pour faire passer une loi très contestée comme c’est le cas de celle-ci. 

Derrière cette crise, on peut évoquer une possibilité fortement probable de  manœuvre tactique de chaque parti pour se repositionner. En dehors peut-être de la droite classique qui risque de fondre dans la masse avec le risque d’être disloquée entre l’extrême droite et la majorité présidentielle actuelle. 

Emmanuel Macron affronte, dès aujourd’hui, son destin face à l’histoire pour s’imposer comme un fin stratège ou devenir le symbole d’une fausse grandeur entraînant tout un pays dans une décadence annoncée. S’il réussit à éviter une motion de censure, grâce à la récupération de ceux qui risquent de ne pas retrouver leurs sièges, il aura fait coup double. Celui de rester solidement en place et de consolider son projet de loi sur les retraites. 

La montée des extrêmes

On peut, néanmoins, lui prêter l’intention de vouloir paradoxalement la chute de son actuel gouvernement, dans le cas où la motion de censure serait votée à la majorité, ce qui lui servirait de prétexte pour dissoudre l’assemblée. Il pourrait dans ce cas espérer remporter les législatives pour disposer d’une majorité absolue grâce à l’aspiration d’un grand nombre de républicains, plus que jamais divisés, à se replacer sur l’échiquier et à permettre au président en exercice de terminer paisiblement son mandat.

À l’inverse et s’il échoue à gagner une majorité parlementaire, il ne lui resterait plus qu’à se soumettre ou à se démettre en ayant été le plus pitoyable des présidents de la Ve République et un novice en politique. Il sortirait alors par la petite porte avec sa cheffe de gouvernement actuelle dont le sort semble déjà scellé. 

L’extrême droite a curieusement mais volontairement et de manière subtile fait profil bas. Ne prenant pas de position farouchement hostile à la réforme, ses membres ont défilé avec un seul mot d’ordre : ne pas appuyer un président et un gouvernement dont ils briguent la place. Ils appellent certainement de leurs vœux la dissolution du parlement pour pouvoir récupérer les rescapés de la droite classique. Leur cheffe, Marine Le Pen, était la première à s’être exprimée sur le dépôt d’une motion de censure puisqu’elle s’estime capable d’élargir son arc de cercle à l’assemblée dans une France qui balance entre le rejet de tout et une sorte de xénophobie décomplexée.

La gauche radicale, Insoumis et alliés, pense avoir remporté une victoire contre son ennemi juré. Elle espère aussi profiter d’éventuelles législatives anticipées pour espérer obtenir enfin la majorité et voir Jean-Luc Mélenchon imposer une cohabitation au président en exercice. À défaut, ils se rapprocheront davantage, et par affinité idéologique, des syndicats, aujourd’hui méprisés pour avoir essuyé un refus de dialoguer par Macron. Les Insoumis et les syndicats se tiendront alors prêts à prendre le maquis pour une mobilisation sociale de longue haleine et pour provoquer un enlisement de la situation sur le modèle du soulèvement de mai 68. 

Gauche et la droite classiques en perdition

La gauche et la droite classiques, style PS et UMP, sont presque déjà morts et enterrés. Les socialistes sont définitivement inaudibles et peinent à exister sur la scène politique. La droite, quant à elle, joue désormais sa survie, se trouvant face à un dilemme existentiel. Et pour cause, les candidats LR s’étant quasiment tous présentés à leurs électeurs contre des candidats macronistes, comment pourraient-ils expliquer à ces derniers qu’ils appuient l’adversaire pour faire passer une réforme, nécessaire certes mais impopulaire? Parions qu’ils auraient du mal à retrouver leur place sur un échiquier politique où les lignes se sont beaucoup brouillées. 

Les deux familles politiques classiques, qui ont longtemps bi-poloarisé la vie politique en France, sont remplacées par leurs extrêmes respectifs, comme  par un phénomène de «mutation génétique» rendu inévitable par les évolutions que la France connaît actuellement. Un pays qui n’est pas au bout de ses peines avec les débats à venir sur les réformes de l’assurance chômage, du code de travail, des caisses publiques et, surtout, celle sur l’immigration qui sert de fil rouge, et qui demeure un casse-tête pour les Français depuis les années 1970 et la fameuse proposition d’aide au retour de Giscard d’Estaing. 

Toutes ces réformes et les dissensions qui les accompagnent généralement traduisent l’état de crise dans lequel s’enlise la France qui n’a plus les moyens de ses prétentions mais qui, fidèle à son habitude, arrive à noyer ses problèmes dans d’interminables débats de politique politicienne.

Il est curieux de constater, en effet, qu’en dehors de la France, tous les autres pays européens arrivent à établir des négociations positives avec les syndicats et les partenaires sociaux en amont pour faire aboutir des projets de loi parfois douloureux. Seule la France se singularise par les grèves sauvages et à répétition prenant la nation en otage et engendrant des affrontements avec les forces de police, qui savent être violentes dans un pays se targuant d’être l’un des berceaux de la démocratie. Or c’est de celle-ci qu’il s’agit et qui est aujourd’hui mise à rude épreuve. Au point que l’on est arrivé à se poser la question de savoir si la démocratie est encore un modèle viable dans un monde de plus en plus porté vers les extrêmes. 

* Cardiologue à Lyon.

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