Dans sa conférence, « Tahar Cheriaa, la voix royale de l’immortalité », la cinéaste, universitaire, écrivaine et ancienne directrice des JCC Sonia Chamkhi dresse « le portrait d’un homme visionnaire et hors du commun, un patriote engagé qui conçoit la coopération culturelle dans la réciprocité et le respect de la dignité des peuples. »
Tahar Cheriaa, la voie royale de l’immortalité
Nous le savons tous : Tahar Cheriaa a rêvé notre cinéma : national, libre et souverain. Et pas uniquement le nôtre. Son rêve a embrassé tout le cinéma arabe, tout le cinéma africain. Il voulait les écrans tunisiens, arabes et africains, des écrans de libération ; il les voulait diversifiés, multiples et unis. Qui ose aujourd’hui ne pas connaître ce combat qui est le sien? Qui ose aujourd’hui -au-delà de la simple approbation- y souscrire suffisamment pour en mener la lutte et consentir aux sacrifices qu’elle exige ? L’actualité du projet de Tahar Cheriaa nous bouleverse aujourd’hui encore, nous fascine, nous fait rêver et espérer, malgré le passage du temps, malgré la fourbe mondialisation, en dépit de tout ce qu’on sait de notre cinéma, du cinéma arabe, du cinéma africain, en dépit de tout ce qu’on sait du « monde cinéma », de ses acteurs, de l’argent, des faux-semblants, des égarés et des fossoyeurs. Je ne doute point qu’un des intervenants reviendra sur ce projet primordial, mi-réalisé, mi- avorté, pour nous raconter son ampleur, ses péripéties, ses éclaircies et ses ombres. Alors, pour ma part, je tenterai de comprendre avec vous, ce qu’il faudrait pour qu’un homme porte et incarne, quasiment à lui seul, un tel programme. Car j’ai une hypothèse : ce qu’il faut, c’est la poésie !
La voie royale
Tahar Cheriaa est né au début du siècle dernier, plus précisément le 5 janvier 1927 à Sayada. Dans le livre Et ma part de refus , édité en arabe sous le titre « Wé nassibi mina errafdh », il accorde à l’écrivain Ahmed Ramadi un long et savoureux entretien où le lecteur découvre son enfance, son parcours multiple, bigarré, vertigineux. Avec humour et sens du détail, Tahar Cheriaa raconte son enfance, ses premiers métiers de berger, de vannier, d’apprenti-tisserand et partiellement de potier, pêcheur, tricoteur dans le petit village marin qui a célébré sa naissance. Il évoquera son entrée tardive à l’école primaire franco-arabe de Sayada à l’âge de 11 ans ainsi que sa réussite inattendue, au point de devenir source de fierté de tout son village, au concours d’entrée au prestigieux collège Sadiki de Tunis. Avec humour, il dira « lorsque je revisite mes souvenirs de ces beaux jours, je me demande si ce que je reconnais de moi de fierté et d’orgueil excessifs -ou du moins peu ordinaires- je les dois à cette réussite ou au contraire ils en sont les moteurs ». Il ajoutera que son enfance a été heureuse, emplie de jeu et de sérieux, de sérénité, de rêves, et que sa jeunesse était pétrie des valeurs du collège Sadiki, ce terreau, précise -t-il, de la compétence, du patriotisme militant et du désir d’excellence. Qu’à cela ne tienne ! Car tout au long de l’entretien, c’est cela que le lecteur découvre non sans étonnement : Tahar Cheriaa a été à la fois, instituteur de l’enseignement primaire (2 ans), professeur de l’enseignement secondaire (12 ans), inspecteur/ conseiller pédagogique de l’enseignement secondaire (2 ans) et puis pendant 8 ans, directeur du Cinéma au Ministère de la Culture et de l’Information à Tunis (1962 à 1970) tout en étant l’administrateur de la SATPEC (1963 à 1973) et membre du Conseil National du Plan où il fût le rapporteur Général du Comité Sectoriel du Cinéma (1964 à 1973).
Nous savons tous qu’il a fondé les JCC avec cette précieuse philosophie arabe et africaine et qu’il en occupa le secrétariat général de 1966 à 1973 mais peu d’entres-nous savent qu’il était, à ces mêmes dates, expert contractuel auprès de l’UNESCO pour la culture arabe, le cinéma, la radio-télévision et la tradition orale et que jusqu’à sa retraite en 1987, année de la destitution du président Bourguiba, paix à son âme, il était détaché auprès de l’Agence de Coopération Culturelle et technique à Paris. Grand administrateur, expert reconnu, Tahar Cheriaa appartenait à cette génération d’envergure où l’on militait : syndicaliste (secrétaire général du syndicat de l’enseignement secondaire de 1954 à 1960), président de la fédération tunisienne des Ciné-Clubs (FTCC, de 1960 à 1968) et membre de diverses associations et fédérations internationales de cinéma dont la FEPACI (Fédération Panafricaine des Cinéastes), la FIPRESCI ( Fédération Internationale de la Presse Cinématographique) et l’UCAC ( Union des Critiques Arabes de Cinéma) .L’esprit discursif Une telle compétence d’expertise et d’administration et un tel engagement militant auraient pu suffire pour établir le respect et la notoriété de son homme.
Pourtant Tahar Cheriaa s’est mesuré à autre chose : à l’écriture et au discours. Il avait un point de vue, une conviction, dirais-je, et une maîtrise parfaite des deux langues, arabe et française. Alors, il écrivait et il traduisait. Ses écrits se répertorient en travaux littéraires, en recherches socio-culturelles, en études et rapports de recherche en sociologie du cinéma et en études et ou articles spécialisés dans l’économie et les politiques arabes et africaines toujours en matière de cinéma. À part les classiques, Le cinéma de Tunisie et Écrans d’abondance ou Cinémas de libération ?, on lui doit aussi les nombreuses publications assurées par l’UNESCO, à Beyrouth, Montréal, Dakar ou Paris dont les plus conséquentes sont Cinéma et culture arabe (1963) et La valeur culturelle du cinéma dans la société arabe contemporaine d’Afrique du Nord (1968). Jusque-là rien d’étonnant -à part se demander comment il négociait son temps ? L’homme est dans le sillage de son combat pour la souveraineté de nos cinémas et la défense de leurs rôles et fonctions dans la culture, voire la civilisation autochtone. La surprise viendrait de sa passion pour certains cinéastes, pour son exercice ininterrompu de l’analyse de leurs films. Car connaît-on les cinéastes, les aime-t-on si l’on ne connaît pas leurs œuvres, l’étendue de leur créativité et la teneur de leurs discours ?L’homme aux responsabilités multiples, au front de tous les combats économiques et culturels, écrit des articles, de très bonne facture, sur des cinéastes de sa génération et de sa tendance politique : au cinéaste inégalable de Mort parmi les Vivants ( Bidaya wa nihaya, 1960) et du Caire 30 ( Al Qahira thalathin, 1966), il consacrera une étude, « l’école sociale-réaliste dans le cinéma égyptien et Salah Abou Seif », et au cinéaste atypique et talentueux de Les Dupes (Al Makhdouõun, 1972), une étude tout autant remarquable et intitulée « l’école marxiste dans le cinéma arabe et Tewfik Salah » . Cette veine discursive, Tahar Cheriaa la partageait avec des hommes de son époque et de son envergure à l’instar du grand critique égyptien feu Samir Farid avec qui il a correspondu sa vie durant, échangeant avec lui, selon le témoignage de l’homme de culture Abdelkrim Gabous , plus de 150 lettres manuscrites.
L’étoffe des poètes Comme nous venons de le voir, Tahar Cheriaa était un expert chevronné, un cinéphile hors-pair et hors-norme, un passionné de cinéma. Mais ceci aurait-il suffi pour qu’il incarne chez nous et dans de nombreuses contrées – jusqu’à éclipser certains compagnons de route, et pas des moindres- la totalité du projet cinématographique national, arabe et africain ? Pour moi, Tahar Cheriaa est « la Figure nationale » du cinéma, le nôtre dans et avec sa sphère arabe et africaine, car il possède l’étoffe des grands hommes : l’étoffe des poètes. S’adonnant à sa fibre littéraire, Tahar Cheriaa a écrit un récit, à Paris, en 1986, (hélas non publié) au titre évocateur de Fatima, L’Aurèsienne de Dakar et que l’acteur et réalisateur mauritanien, Med Mondo, mettra en scène sous le titre de Fatima, l’algérienne de Dakar en 2004 . Mais bien avant, c’est d’abord sa passion pour la poésie qui a titillé sa plume. En effet, dès les années 60, il traduit de l’arabe vers le français, l’œuvre de deux poètes : l’Algérienne Anna Greki et le Tunisien Ridha Zili . C’est que Tahar Cheriaa croyait en la francophonie, et alors que certains aiment la réduire à une aliénation à la culture française, lui la concevait comme un pont qui transmet, dans la langue de l’ancien colonisateur devenu un vis-à-vis, la culture et le génie de notre civilisation à laquelle l’artiste et intellectuel qu’il était appartenait, comme dirait Gramsci, ‘organiquement’, viscéralement.
En fouillant dans des archives, j’ai découvert un nombre considérable de traductions faites par si Tahar dont de nombreuses chansons cultes de la diva égyptienne Om Kalthoum et des extraits de l’épître d’Ibn Zeidoun à la princesse et poétesse Wallada bint al-Mustakfi Billah, la fille du dernier calife omeyyade de Cordoue Muhammed III. Parmi ses nombreuses traductions, je souhaite vous en citer une. Celle où il a traduit « Babour Zamer » composée et chantée par Feu Hédi Guella et écrite par le poète-ouvrier, émigré en France feu Mouldi Zalila. Intitulée par lui, « Le bateau d’émigrés », la traduction des vers incroyables de Zalila, incroyables car de bout-en bout portés, à la fois, par la beauté et la douleur, est tout bonnement merveilleuse : d’une grande justesse, sentie, précise et volatile. De cette totalité de poésie traduite, je vous lis un extrait : Un bateau fait retentir sa sirène. Il crie très fort. Il s’arrache à la Patrie Il emporte en ses flancs une jeunesse Très chère au cœur du peuple Vers ce bateau, les mains se tendent, tremblent Et gesticulent désespérément…Les larmes des gens brûlent la vue Et brûlent les paupières…Pourquoi cet extrait ? Parce que mes paupières brûlèrent en le lisant ou alors parce que j’ai l’intime conviction que pour Tahar Cheriaa la Patrie est le peuple et aussi bellement encore, le peuple est la Patrie. Et c’est en s’engageant pour elle, pour lui qu’il les a servis. La patrie pour si Tahar est pétrie d’humanité ou ne l’est pas. Ainsi pensée, ainsi incarnée, toutes les patries sont précieuses, inviolables car garantes de l’humanité de chacun. C’est ainsi que pour la Patrie colonisée, Pour les palestiniens -cet autre nous-mêmes-, Si Tahar a également traduit, toujours de l’arabe vers le français, un poème de l’irakien Abdelwaheb Al Bayati. Il écrit :S’il advenait, demain Que je sois jeté dans une fosse Et que soient rompus tous mes liens, S’il advenait, demain Que je perde espoir en mon peuple, En mes frères, en tous mes amis, Alors même reviendra ton amour en mon cœur Et s’épanouiront mes cendres par deçà leur tombeau Et l’huile, de nouveau, remplira mon amphore Et de ma lampe vacillante ravivera la lumière. Plus loin, il continue :Palestine d’Amour Mère-Patrie de la Douleur, Quelle âpre violence S’acharne sur ta souche Sur tes branches torturées, exsangues, Ecartelées aux quatre vents cardinaux De la peur De la rage au cœur Et de l’inextinguible espérance Des enfants rieurs…On ne peut qu’être marqué par la ferveur poétique jusqu’à presque oublier la version originale. On ne peut que frissonner à la lecture de ces vers sensuellement douloureux. En les lisant, c’est ce que j’ai ressenti. C’est ce que je ressens maintenant encore.
L’ardente espérance des enfants rieurs ne quittera jamais si Tahar. Devenu adulte et homme célébré aux multiples décorations honorifiques et distinctions , ni l’engagement militant, ni l’action pragmatique pour le projet culturel qu’il a incarné, n’entameront ses inclinations poétiques, tragiques et insouciantes, ses pulsions érotiques et son désir exubérant tel un volcan ! Au-delà de la passion translinguistique, au delà de ce talent de traducteur, Tahar Cheriaa était lui-même un poète ! Il écrit dans son poème intitulé Tes yeux sont deux tentes : Tes yeux sont deux tentes à AmanIncendiées, répandant le mal Les douleurs et les fureurs Tes yeux Ces deux refuges pour l’apatride,Le démuni, l’assoiffé Me paraissent île déserte, Pierres mortes Aucun amour ne luit au fondIl n’en paraît aucune tendresse Les poèmes de si Tahar n’ont pas été publiés, à l’instar de son unique récit littéraire. Pourtant dans l’un de ses poèmes intitulé Au lecteur, il confesse :Mon cœur Comme une pelle à tisons mon cœur, à moi À y toucher, tu te brûles Ma poésie, Ma poésie est mon cœur Et m’oppresse quiconque ne voit pas mon cœur sur ces feuillets Et plus loin il ajoute :Je suis à mon pays À ses étoiles À ses nuages Au parfum, à la fraicheur J’ai versé Le vin de mes couleurs En torrents Aux pieds des feuilles et des fleurs De nos collines(… )Dans mes veines rouges Coule une femme Qui m’accompagne Dans les tremblements du manteau Elle exhale et souffle Dans mes os Attisant dans mes poumons Un ardent brasier À lire ce poème et bien d’autres, une émotion vive vous saisit. Ils donnent accès à une sensibilité à fleur de peau, à une intériorité vivace et sculptent librement des vérités intimes en maniant avec virtuosité le verbe, les rythmes, les images et l’imaginaire. … Ces mots, qui nomment les objets, les paysages et les sujets, les idées et les sentiments, sont comme des prophéties magiques qui chatouillent l’âme dans l’attente de leurs incarnations. Michel Butor, en 1997, disait que les poètes sont des gens qui travaillent sur les mots et qui les maintiennent en vie alors que les mots dans la vie quotidienne, dans la conversation quotidienne, s’endorment et se sclérosent. Il reprenait ainsi, à sa manière, la thèse de la désautomatisation des formalistes russes qui estimaient que le langage courant, arbitraire et conventionnel, utilise automatiquement, sans s’y arrêter et sans y consacrer de l’attention, telle expression pour signifier telle chose, ce que Sklovskij commentait ainsi : « la vie disparaît, se transformant en un rien. L’automatisation avale les objets, les habits, les meubles, la femme et la peur de la guerre. » Dans le langage poétique, au contraire, « le mot est ressenti comme mot et non comme simple substitut de l’objet nommé (…) les mots et leur syntaxe, leur signification, leur forme externe et interne ne sont pas des indices indifférents de la réalité, mais possèdent leur propre poids et leur propre valeur» . Du coup, dans cette poésie confidentielle de Si Tahar – confidentielle car méconnue du grand public -, les mots qui musicalisent le monde provoquent une perception esthétique et au lieu de nous acculer à une reconnaissance du monde, ils nous proposent une vision du monde. C’est-à-dire un monde à réinventer !Je pense que cette conviction qu’il faudrait sans cesse réinventer le monde – conviction que je partage évidemment avec lui – n’a cessé de l’habiter. Irrésistible, têtue, et paradoxalement insouciante, jusqu’à creuser un vertige que rien ne peut combler. Je crois même que cette conviction, que sa poésie incarne, explique le poids du projet culturel qu’il porta jusqu’à son départ d’ici-bas. Comme tous les poètes qui sont, pour moi, des quasi-prophètes : Tahar Cheriaa portait le projet culturel dans sa dimension pragmatique, celle qui demande initiative et besogne, mais plus encore, il convoitait, comme sa poésie le dit, la transcendance du projet : il souhaitait ouvrir à ses semblables, aux gens du peuple, une voie vers l’émancipation, l’amour de la vie et la liberté. Cet horizon convoité par si Tahar, seule la poésie peut à la fois l’attester et l’atteindre. Et je crois que le leader Bourguiba le savait pertinemment, et qu’à défaut d’écrire des poèmes, il les apprenait par cœur et n’hésitait pas à les réciter et à les clamer. Tahar Cheriaa a marqué l’histoire du cinéma tunisien et africain et il l’a également écrite. Mais comme il est poète, il se distingue de l’historien de la même manière qu’Aristote en indique la différence. Car par ses écrits, il n’a pas uniquement cherché à raconter les choses telles qu’elles sont arrivées mais, en poète, il les a également écrites telles qu’elles pourraient, qu’elles devraient arriver. Aristote disait que c’est cela, et non le fait que le poète s’exprime en prose et l’historien en vers, qui permet de les distinguer. Et il ajoute que l’on pourrait mettre l’œuvre d’un historien, comme Hérodote, en vers, cela resterait de l’histoire. Il en va de même des écrits de si Tahar : que seraient-ils advenus s’ils n’étaient pas portés par le souffle rêveur du poète qu’il était ? Je pense qu’ils auraient été classés comme de simples documents où comme traces du grand expert et administrateur qu’il a été. Or, à ce jour ces écrits inspirent, montrent la voie et ravivent le rêve de cultures arabes et africaines souveraines et qui apporteraient leurs contributions singulières à l’Universel. Il me semble que c’est Saint-John Perse qui disait que la poésie est sœur de l’action et mère de toute création, qu’elle est l’animatrice du songe des vivants et la gardienne la plus sûre de l’héritage des morts. Et les défunts lorsqu’ils laissent un héritage et un testament ne meurent jamais. Leur mort s’allège de son poids de terre, se libère de la douleur qu’elle inflige aux survivants, de telle sorte qu’elle devient, de souffrance pesante au cœur, un souvenir ineffable du cœur et de l’esprit. Une amie écrivaine me disait : « La poésie, c’est un paysage mental et le poète un promeneur tragique ou insouciant qui nous en révèle les beautés ou les zones d’ombre.» Un autre ami me dit : ‘‘écrire poétiquement c’est consentir à l’épiphanie d’une rencontre avec l’étrangeté intime.’’Tahar Cheriaa était tragique et insouciant, étrangement intime. À une certaine Albertine , il dédia un poème où il dit : Ta bouche Rires, source et Rahi’q d’Abou Nouas Pensées d’Omar Khayam chantant la coupe de vie (Et que le diable t’emporte si tu ne connais- encore- ni Khayam ni Abou Nouas) Et son poème s’achève sur ces strophes de douleur et de révélation. Il dit : « Toi, Enfin, Toi La douleur – et la douceur – possibles Que ma richesse seule rachète Aux yeux de ma propre folie Incorrigible idolâtre De tous les impossibles »
Parce que poète, le fabuleux destin de Tahar Cheriaa est celui d’un homme qui n’a cessé de convoiter tous les impossibles, au cinéma, en amour, en politique -car il en faut pour que le projet émancipateur dépasse l’individuel vers le collectif- . Un homme fascinant, fascinant et rêveur, fascinant parce que rêveur, car l’action, l’initiative, l’entreprenariat n’ont jamais voilé à ses yeux la priorité poétique. Charles Trenet avait dit : « Je crois que la poésie c’est des rêves de bonne qualité, c’est l’art de rêver et de faire rêver aussi. Dans le fond, la poésie est un fluide qui ne s’échange qu’entre poètes mais tout le monde est poète ». Tout le monde est poète, à condition de ne pas perdre de vue l’essentiel et de se souvenir que sans le rêve, il n’y a pas de poésie possible et que sans la poésie, il n’y a pas de vie soutenable.Tahar Cheriaa, l’incorrigible idolâtre de tous les impossibles, a rêvé sa vie et l’a dédiée aux autres, dans un projet immanquablement poétique. Il dit dans le poème susmentionné « Au lecteur » :Si l’on dit de moi :« Il a SENTI »Je suis comblé, car m’importe peu D’être « le grand poète »J’ai senti quelque chose J’ai « crée » quelque chose Incidemment, sans l’avoir prémédité.
Oui, sans l’avoir probablement prémédité, Tahar Cheriaa a emprunté la voix royale de l’immortalité.
Sonia Chamkhi Cinéaste/ Ecrivaine/ Maître de conférences à l’ESAC
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