Mon vide à la Tunisienne…

Le psychanalyste Sandor Ferenczi, compagnon de Sigmund Freud, avait écrit un texte sur «l’angoisse du dimanche» durant laquelle certaines personnes perdent presque tous leurs repères, et Albert Cossery nous a laissé ‘‘La Vallée Fertile des Fainéants’’ où trois personnages décident de ne rien faire de leur vie. Parce que la situation est tellement désespérante qu’il n’y a plus rien à faire. (Illustration : Vieil homme en deuil – La Porte de l’éternité ) de Vincent Van Gogh).

Par Helal Jelali *

L’incertitude, l’instabilité et certaines situations d’abattement créent ce vide où les mots perdent leurs sens, le confinement devient l’ultime solution, et l’actualité anxiogène et manipulée devient rebutante… Le vide s’installe quand l’esprit et l’entendement sont bloqués par des contraintes extérieures et sont remplacés par le vertige des sentiments et des émotions.

Attente sans espoir

Le vide est ce silence doublé d’un isolement presque mystique, mais qui attend… qui attend… et «l’enfer est cette attente sans espoir», écrivait André Giroux.

Le vide est le dernier marqueur de la faillite de l’espace public qui devient un espace  marchand. Quant tout dialogue devient impossible, la sécheresse sémantique devient quasiment dominante.  

Le vide se joue de tout le monde, il donne à chacun l’illusion qu’un évènement important va se produire prochainement… mais non… détrompez-vous, un certain vide s’éternise et vous épuise. 

Pourquoi? Parce c’est nous qui sommes les créateurs et les Pygmalion de ce vide… 

L’espace public ou la sphère publique est un lieu identifié par les débats que des personnes provoquent. Et le vide ne s’y installe que lorsque les échanges entre les citoyens deviennent altérés et stériles. Dans ce cas, l’espace public ressemblerait à un cimetière des ‘‘Âmes Mortes’’ de Gogol. 

L’extrême judiciarisation et la monétisation généralisée des rapports sociaux sont, pour ainsi dire, l’emblème du vide de l’espace public.

Contrairement aux idées reçues, l’autorité publique se trouve affaiblie et parfois déconnectée de la réalité des citoyens. Dans sa réforme de la justice de 1958, le Général De Gaulle avait institué les solutions négociées dans les conflits pour protéger la cohésion sociale.

La fragmentation sociale, l’instabilité institutionnelle, l’insécurité communautaire sont la source de ce vide qui s’installe d’une manière opérationnelle chez l’individu dont l’avenir semble bloqué par des conditions de vie difficiles.

Le vide n’est ni l’indifférence ni le déni. Il soulève l’impossibilité de l’action et de la confrontation. Il est surtout l’expression d’un refus viscéral d’une réalité imposée. Quant Socrate dit : «Je ne suis  pas Athènien, je ne suis pas Grec, je suis citoyen  du monde», par son attitude, il dénonce  un vide qui s’est abattu sur Athènes après ses guerres interminables et l’exécution injuste de plusieurs  généraux…

En revanche, même si on avait beaucoup cogité sur le vide en politique, celui-ci reste à démontrer. Mais il y a des actions politiques qui aboutissent des mauvais résultats que nous qualifions de «vide politique». C’est l’archaïsme et les recettes politiques faciles qui comblent le vide politique. 

La politique de «la chaise vide» n’existe pas. C’est une illusion créée par les médias. Les mauvais choix politiques et l’échec de l’action, ainsi que l’absence de résultats tangibles font dire aux médias que telle personne ou telle institution pratique la politique de la chaise vide…

Dans un monde extérieur dissolu, éclaté et atomisé, le vide devient un refuge salutaire. Le démantèlement de l’État par le néolibéralisme et l’affaiblissement des corps intermédiaires figent le citoyen dans l’incapacité d’agir sur son destin. Il est, par ailleurs, involontairement déresponsabilisé. Donc, vidé de sa citoyenneté.

Un vertige sémantique

«La nature a horreur du vide», disait Aristote; Blaise Pascal répondait : «c’est un concept faux». La vacuité est d’abord un événement créé par nous-mêmes. Quand nous décidons de «faire le vide», nous nous engageons dans le «négativisme» qui défie l’histoire. Dans cette condition, la confusion entre la vérité et la contre-vérité deviendrait plausible. Dans ce cas, nous appellerons le vide enfumage.

Il nous arrive de «vivre le vide» par les injonctions négatives dans les paroles que nous répétons souvent : «Je ne vous laisserai jamais faire ça ou ceci». Il y a une vrai syntaxe du vide qui, s’appuyant sur l’injonction et le négatif, créé un vertige sémantique assez séduisant pour certaines personnes. «Tourner dans le vide» est le destin de ces personnes. La désintégration sociale, la rupture de filiation et l’instabilité identitaire sont aussi le substrat du vide.

Mon vide à la Tunisienne ne serait que le contrecoup d’un pays qui avait plongé depuis quelques années dans la mélancolie d’Hippocrate, qui n’a rien à voir avec celle de Freud.

Seule consolation, l’humour cynique de Victor Hugo : «La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste».

Deux œuvres majeures nous renvoient presque totalement au vide : ‘‘La Nausée’’ de Jean-Paul Sartre et ‘‘Le Désert des Tartares’’ de Dino Buzzati.

* Ancien rédacteur en chef dans une radio internationale à Paris.

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