Dans cette «Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République suite à l’attentat contre la Ghriba», l’auteure appelle les autorités tunisiennes à prendre des mesures concrètes pour protéger la minorité juive en Tunisie. Et lui rendre justice des abus dont elle a été victime.
Par Sémia Zouari
Monsieur le Président,
Nous aurions tous souhaité vous voir vous déplacer à Djerba pour réconforter toute la population locale autant juive que musulmane après cet odieux attentat de la Ghriba, clairement antisémite.
Ne restons pas dans le déni des ravages de l’idéologie délétère propagée par l’islam politique, ce pire ennemi de l’islam et des musulmans. Il faut protéger notre minorité juive car elle fait partie intégrante de l’identité tunisienne. Il faut exiger une enquête sérieuse sur les failles sécuritaires qui ont permis à un criminel d’infiltrer le corps de la garde nationale pour commettre un attentat contre nos propres sécuritaires et les civils innocents qui effectuaient leur pèlerinage à la Ghriba.
Et si cet attentat avait été commis lors de la visite de l’ambassadeur américain à la Ghriba quelques heures plus tôt ?
Combattre la haine religieuse et les amalgames politiques
Aucun doute sur ses vils commanditaires et la soi-disant condamnation de cet attentat par Ennahdha et son Gourou ne convainc personne!
Aujourd’hui plus que jamais il faut examiner la question de la haine religieuse propagée contre les juifs et de l’amalgame dévastateur entre les exactions sionistes contre la Palestine et les juifs en tant que tunisiens ou détenteurs de toute autre nationalité.
La détresse de nos tunisiens de confession juive doit être la nôtre et c’est à vous qu’il incombe de leur assurer une pleine et entière citoyenneté en criminalisant l’antisémitisme et tout acte et toute parole qui les agressent. Rappelez-vous le discours énergique et mobilisateur de Bourguiba lorsque nos juifs avaient été persécutés suite à la guerre des six jours. Quels crimes ont-ils commis pour subir toutes ces attaques? Pourquoi seraient-ils stigmatisés comme s’ils étaient les suppôt d’Israël à chaque attaque contre les Palestiniens ?
Avant tout, il faudrait adopter des dispositions consulaires ouvrant la possibilité aux juifs natifs de Tunisie et à leur famille d’obtenir un passeport tunisien sachant que plusieurs de nos ressortissants juifs se sont retrouvés privés de leur nationalité tunisienne sans qu’ils l’aient jamais répudiée, une situation faisant l’objet de plaintes récurrentes que j’ai pu constater lorsque je travaillais à notre ambassade à Paris dans les années 90, en tant que conseiller social.
Réparer les injustices subies par les juifs en Tunisie
Les plaintes affluaient à mon service sur les intimidations policières subies pour brader les biens immobiliers (Élisabeth Lion née Uzan me parlait de l’immeuble de son père sur le boulevard de Boujaafar bradé à 2000 dinars en 1967 suite à un interrogatoire musclé au poste de police), les exactions qui ont terrorisé nos citoyens juifs en marge de la guerre des 6 jours et celle de 1973, jusque dans leur propre domicile (Betty Melloul horrifiée par une horde déchaînée qui voulait brûler vive sa famille dans l’appartement de sa grand-mère à la rue de Londres, sauvée par un malheureux mendiant nourri par la famille et qui s’est interposé en sa faveur).
Soyons sensibles à l’obligation douloureuse du chemin de l’exil de nos juifs face au rejet d’une mère patrie qui était désormais perçue comme une marâtre haineuse et injuste, si ce n’est du fait de ses dirigeants, du moins de la part de compatriotes opportunistes et criminels, prêts à rafler la mise et à spolier les vulnérables.
Il est temps de réparer toutes ces injustices et de redonner à nos compatriotes juifs tous leurs droits car cet attentat démontre bien qu’ils sont traités par les extrémistes comme des citoyens de seconde zone, une situation dégradante et inacceptable, par delà les discours lénifiants épisodiques qui ne règlent pas le problème et font perdurer le flou inacceptable.
Nous avons le devoir, nous musulmans de Tunisie, de les protéger et de les rassurer, étant de la génération des sexagénaires qui ont partagé avec eux les bancs des écoles primaires avec les galettes de pain azyme pendant la récréation et la cohabitation religieuse pacifique avant que le conflit israélo-palestinien ne vienne semer la dissension et l’amalgame destructeur dans notre société multiconfessionnelle depuis 2700 ans.
Nos compatriotes juifs ne doivent plus jamais connaître la peur dans leur pays et c’est à nous musulmans, aujourd’hui majoritaires, qui avons certainement des ancêtres autant chrétiens que juifs, de protéger nos minorités religieuses contre la haine obscurantiste et stupide des islamistes incultes.
Inscrire la Ghriba sur la liste du Patrimoine mondial
La Ghriba devrait être inscrite au Comité du Patrimoine Mondial de l’Humanité de l’Unesco en tant que premier sanctuaire monothéiste d’Afrique édifié par Ahl Al Kitab avant l’apparition du christianisme et de l’islam, depuis le 6e siècle avant Jésus Christ par une diaspora juive, arrivée à Djerba, suite à la destruction du Temple de Jérusalem par Nabuchodonosor II.
La Ghriba est un acquis historique exceptionnel du monothéisme et de sa résilience face aux exactions et il est naturel de la voir susciter tant de dévotion de la part de pèlerins de toutes confessions.
Sachez Monsieur le Président que nos compatriotes de confession juive, si nombreux en France, sont restés fidèles et dévoués à la Tunisie dont ils ne cessent de servir les intérêts en matière économique et touristique. Ils sont les premiers à défendre les sans papiers, à recruter les médecins et à leur accorder des stages de spécialité, à défendre la Tunisie, à apporter leur aide à nos missions diplomatiques et consulaires. Il est temps de leur démontrer que l’Etat tunisien prend des dispositions concrètes et solidaires pour qu’ils recouvrent leur droit à une pleine citoyenneté.
Ce n’est pas une quelconque velléité de normalisation avec Israël comme le prétendent les complotistes haineux. C’est un devoir moral à l’égard de nos juifs et une réparation de leurs droits bafoués face à l’émergence des idéologies extrémistes méprisables comme celles qui ont récemment suscité des exactions inacceptables à l’encontre de nos frères subsahariens. Il est temps de consacrer une Tunisie tolérante et inclusive qui soit un modèle du vivre ensemble. Pour nous mêmes et pour pouvoir défendre les mêmes droits à nos propres ressortissants à l’étranger selon les mêmes valeurs humanistes universelles.
* Diplomate.
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