Face aux bouleversements profonds sur la scène internationale, il importe de garder la tête froide et de mettre les intérêts de la Tunisie devant les rêves anti-impérialistes de jeunesse et les appels à l’inféodation à tel ou tel camp.
Par Elyes Kasri *
Au XIXe siècle, l’expression «homme malade de l’Europe» se référait à l’Empire ottoman, parce que celui-ci tombait de plus en plus sous le contrôle financier des puissances européennes et qu’il avait perdu des territoires dans une série de guerres désastreuses.
Au XXIe siècle, la stabilité de la Tunisie et les risques d’effondrement économique et sécuritaire sont devenus un motif de préoccupation et de concertations internationales lors d’un nombre croissant de rencontres et de délibérations internationales en l’absence de la Tunisie, ce qui en fait un candidat de choix pour être considérée comme l’«homme malade de la Méditerranée».
Le déni de la gravité de la maladie est le stade le plus dangereux car il s’accompagne d’un refus du protocole thérapeutique appropriée et assez souvent d’un recours à des formules palliatives ou pire même à des incantations à caractère magique relevant plus de la sorcellerie que de la raison et de la science.
Certains considèrent que la transe entamée depuis 2011 en Tunisie ne fait que s’emballer et que les débats politiques et économiques en Tunisie prennent, à quelques rares exceptions considérées comme des fausses notes et des oiseaux de mauvaise augure, l’allure d’un spectacle de derviches tourneurs, jusqu’à l’heure fatidique du réveil qui risque fort d’être brutal.
Un Etat au bord de la faillite
Dans un monde en pleine effervescence, il est consternant de voir le nombre d’analystes autoproclamés stratégiques ou, pour les moins modestes géostratégiques, qui n’ont pour qualification qu’une connaissance livresque basée sur des théories, analyses et notions d’une époque dépassée par les événements, en plus d’anciens diplomates à la carrière plutôt limitée en expérience régionale et en postes de responsabilité à l’administration centrale et à l’étranger.
Le ton, assez souvent péremptoire et des fois de courtisan du pouvoir, tend à exacerber la confusion et l’angoisse que ressent le Tunisien moyen face à des changements tectoniques et des bouleversements qui interpellent la Tunisie tant en raison de son ouverture naturelle et historique sur le monde extérieur que de sa dépendance vis-à-vis de l’étranger, exacerbée depuis 2011 par sa perception interne et externe comme le berceau du printemps arabe et dépositaire des «espoirs démocratiques», de même que de la générosité de parties extérieures plus ou moins désintéressées.
Le délire politico-économique et la gouvernance calamiteuse générés par l’euphorie révolutionnaire et l’illusion d’une exception tunisienne, ont fait de la Tunisie un Etat au bord de la faillite dont la survie dépend désormais de la générosité étrangère.
Face aux bouleversements profonds sur la scène internationale, il importe de garder la tête froide et de mettre les intérêts de la Tunisie devant les rêves anti-impérialistes de jeunesse et les appels à l’inféodation à tel ou tel camp.
Le positionnement historique de la Tunisie
Chaque époque a ses empires, ses maîtres et ses vassaux. L’intelligence bourguibienne a été de ne pas attendre la libération de la Palestine ou de s’aligner par dépit sur les forces de l’axe, en pleine ascension à l’époque, et de ne pas s’aliéner ultérieurement l’URSS et le bloc de l’est. Membre actif du mouvement non-aligné, la Tunisie avait su gérer ses relations et sa coopération internationales comme le lui dictaient sa situation objective, ses principes et intérêts nationaux.
Les experts autoproclamés en géostratégie seraient bien inspirés de garder à l’esprit les impératifs que dictent les contraintes objectives et les intérêts de la Tunisie.
A travers son histoire, la Tunisie a été beaucoup plus qu’elle n’est actuellement. Elle doit reprendre intelligemment et rationnellement sa stature et son rôle dans sa région maghrébine, dans le bassin méditerranéen, en Afrique et dans le monde arabe.
La reprise du positionnement historique de la Tunisie est aussi importante et vitale que les réformes économiques dont le report n’en fera qu’accentuer le coût et la pénibilité.
* Ancien ambassadeur.
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