La Tunisie sera encore une fois au menu des rencontres du chef de la diplomatie italienne lors de la mission qu’il effectue depuis hier, dimanche, 11 juin 2023, et pour trois jours, à Washington. Les sueurs froides que le risque d’«effondrement» de notre pays donne à ses partenaires européens lui vaut tout cet intérêt. Faut-il s’en féliciter, ou pas ?
Par Imed Bahri
Antonio Tajani rencontrera notamment le secrétaire d’État Antony Blinken et Kristalina Georgieva, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), pour tenter de débloquer le plan d’aide de 1,9 milliard de dollars en faveur de la Tunisie.
C’est ce qu’annonce IlGiornale, le 11 juin 2023, tout en admettant que la mission du vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères italien «n’est pas facile.» Et pour cause, explique le journal : «Le FMI exige du président Saïed un plan de réforme politique et économique qui risque de se transformer en suicide politique. Supprimer les subventions économiques, initier des réformes économiques basées sur le marché libre et donner plus d’espace politique à l’opposition».
Une «contrepartie valable»
Pour Il Giornale, une issue positive (pour la Tunisie et, indirectement pour l’Italie) dépend de la capacité de Giorgia Meloni et des Européens à «arracher à Saïed un peu de flexibilité sur les réformes tout en garantissant sa survie politique. Mais il doit aussi garantir à l’Italie et à l’Europe une contrepartie valable.»
Cette «contrepartie valable» concerne, on l’a compris, la lutte contre la migration irrégulière. Et dans ce contexte, le journal italien évoque le projet du «Pacte sur l’asile et les migrations» finalisé jeudi dernier par les ministres de l’Intérieur de l’UE réunis au Luxembourg. De quoi s’agit-il ?
«L’entrée ‘‘pays tiers sûrs’’ de ce projet permet aux pays de l’UE de conclure des accords avec les pays d’où partent les bateaux de migrants afin que tous ceux qui n’ont pas les conditions d’asile partent immédiatement. La seule condition pour la validité de la nouvelle norme est le respect, dans les pays dits ‘‘tiers’’, des droits civils et de la sécurité physique des migrants. Une condition qui semble être faite spécialement pour l’Italie et la Tunisie. Une condition qui pourrait devenir une réalité si le gouvernement Meloni parvient à débloquer les fonds du FMI refusés à la Tunisie de Saïed», explique IlGiornale.
En d’autres termes, l’activisme italien auprès des bailleurs de fonds, européens et internationaux, en faveur d’une aide financière à la Tunisie a des objectifs essentiellement liés à la lutte contre la migration irrégulière sur laquelle le gouvernement Meloni s’est fait élire et sur laquelle aussi il joue aujourd’hui sa survie.
Mendiants et orgueilleux
Sur un autre plan, les aides financières miroitées à la Tunisie ont un prix qui risque d’être exorbitant : malgré les déclarations à ce sujet faites la semaine écoulée par le président Saïed, notre pays va devoir accepter de devenir un garde-frontières de fait pour l’Italie et l’Europe méridionale, et ce dans le cadre du fameux «Pacte sur l’asile et les migrations» lancé à cet effet.
Plus clairement, la Tunisie, classée «pays tiers sûr», sera donc tenue d’intercepter les barques de migrants au large de ses côtes et de renvoyer dans leurs pays d’origine «tous ceux qui n’ont pas les conditions d’asile», et de le faire, en plus, dans le respect «des droits civils et de la sécurité physique des migrants». Cette condition est valable, bien entendu, pour les harragas tunisiens, qui risquent d’être soumis en Italie à un traitement encore plus dégradant qu’il l’est aujourd’hui, à commencer par les conditions de leur rapatriement forcé.
On a relevé, à cet égard, que les discussions d’hier entre le président de la république Kaïs Saïed, d’un côté, et de l’autre, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le Première ministre italienne Giorgia Meloni et le Premier ministre néerlandais Thomas Rutte, ont complètement évacué la question du traitement dégradant réservé aux migrants irréguliers tunisiens en Italie, et même les cas de morts suspectes de certains d’entre eux ne semblent pas avoir été évoqués par la partie tunisienne. On n’en trouve, en tout cas, aucune trace dans la littérature ayant suivi la rencontre, et si la gêne des Tunisiens et de leurs hôtes à parler d’un tel sujet se laisse deviner aisément, on n’en voit qu’une seule explication : leur concordance de vues à propos de ce phénomène et leur détermination à coopérer pour son éradication.
Tout le reste est de la littérature destinée aux idiots utiles et aux simples d’esprit.‘‘Mendiants et orgueilleux’’ pour emprunter le titre du célèbre roman de l’Egyptien Albert Cossery.
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