L’Europe pourrait venir au bout des flux migratoires en provenance des côtes tunisiennes en misant plus concrètement, et avec des programmes adaptés, sur la jeunesse de ce pays, qui ne manque pas de compétence et de savoir-faire et dont la force de travail pourrait être très utile pour le vieux continent.
Par Elyes Kasri *
Dire qu’environ 70% des jeunes tunisiens veulent quitter la Tunisie pourrait être une sous-estimation statistique car les perspectives d’avenir ne semblent guère rassurantes dans notre pays pour presque tous les jeunes sauf ceux issus des quelques familles nanties qui contrôlent les lambeaux qui restent de l’économie nationale.
Pour éviter cette hémorragie de compétences humaines, principale richesse du pays, en plus d’une révision du modèle économique qui prendra du temps et d’une remise en ordre du système d’enseignement qui est devenu une arène politico-corporatiste, il urge pour l’Etat de mieux encadrer la jeunesse et de l’ancrer davantage dans son pays en demandant aux partenaires européens craignant une recrudescence de la vague migratoire à partir de nos côtes, le lancement d’un programme international pour la jeunesse avec les composantes suivantes:
1- créer un centre de formation professionnelle au niveau du collège avec l’aboutissement de la formation avec un niveau similaire au bac dans chaque délégation du pays, en commençant progressivement par les gouvernorats et les zones les plus défavorisées pour pouvoir offrir une main d’œuvre suffisamment qualifiée pour attirer des investisseurs tunisiens et étrangers;
2- équiper chaque délégation et ultérieurement chaque quartier d’un centre culturel avec une capacité d’encouragement et d’encadrement des compétences et vocations dans les domaines artistique, plastique, graphique et numérique;
3- lancer un mégaprojet de développement saharien sur le modèle de Rjim Maatoug (succès tuniso-italien) à plus grande échelle notamment dans la zone du Dhaher avec la possibilité de développer, grâce aux ressources hydrauliques souterraines et l’énergie solaire, une zone de plus de 360.000 hectares susceptible d’offrir des parcelles de terre à cultiver par près de 150.000 nouveaux jeunes propriétaires;
4- conclure des contrats de gestion pour deux ou quatre nouvelles zones franches modernes avec un accès à des terminaux portuaires et aéroportuaires pour des activités totalement exportatrices en entrepôt franc (composants automobiles et électroniques, services informatiques et médicaux) avec une gestion internationale dans le cadre d’une concession BOT de quarante ans renouvelables et l’engagement à terme de relocaliser en Tunisie 1000 entreprises européennes installées en Asie.
Le pillage des compétences
Au lieu de la maigre carotte que nous fait miroiter, avec une pointe de cynisme, l’Union européenne surtout avec l’hémorragie et le pillage des compétences à la faveur de la poursuite de l’actuelle fuite des cerveaux ou de son exacerbation sous le programme Erasmus, la Tunisie devrait insister sur le programme ci-dessus à court terme sur 3 à 5 ans en attendant les réformes structurelles qui mettront plus de temps pour pouvoir en atténuer l’impact social et sécuritaire.
Si Ursula von der Leyen, Giorgia Meloni, et l’Union européenne sont sérieuses, elles pourraient se faire les championnes de ce programme au profit de la jeunesse tunisienne en vue de la création de perspectives d’autonomie et d’ancrage dans le pays pour l’écrasante majorité de nos jeunes victimes des horizons bouchés et de décennies d’échec et de cécité politiques et qui voient désormais leur avenir ailleurs que dans leur pays.
Plus qu’une poignée d’euros, la Tunisie a besoin d’un programme ambitieux d’encouragement et de développement des jeunes compétences afin de se donner les ressorts humains et professionnels de toute relance future.
Le cynisme des «voisins et frères»
Quant aux immigrés subsahariens qui traversent plusieurs centaines de kilomètres en Libye et en Algérie avant d’atteindre les frontières tunisiennes, les autorités tunisiennes et européennes seraient bien avisées de faire assumer à ces deux pays la responsabilité de ce flux migratoire déstabilisateur pour la Tunisie et pour l’Europe. Il est grand temps de faire comprendre à ces deux «voisins et frères» que leur passivité, au mieux sinon pire, envers le passage de dizaines de milliers d’immigrés subsahariens vers les frontières tunisiennes est un comportement inamical qui prend de plus en plus l’allure d’une menace à la stabilité de la Tunisie et à sa sécurité.
* Ancien ambassadeur.
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