Révoltes en France : l’islam et la difficile intégration républicaine

Depuis la mort de Nahel (ou Naël) le mardi 27 juin à Nanterre, tué par un policier, la France s’embrase. Les scènes de révolte qui se sont déroulées sont la manifestation d’un malaise profond qui sévit dans le pays. Cette mort a réveillé un sentiment d’injustice, un ressentiment de longue date au sein des communautés noires, arabes et musulmanes de France, face aux incidents répétés de violence policière et aux démonstrations de racisme. (Photo Abdellatif Ben Salem).

Par Ikbal Gharbi *

En effet, selon certains sites d’observation, les Noirs couraient entre 3,3 et 11,5 fois plus de risque que les Blancs d’être contrôlés et les Arabes couraient entre 1,8 et 14,8 fois plus de risques que les Blancs occidentaux d’être contrôlés par la police. Le contrôle au faciès est malheureusement une réalité. Par conséquent, c’est une colère accumulée qui se libère aujourd’hui. Il s’agit de l’entendre et de la comprendre.

On sait depuis les années 1970-80, que les «quartiers» des banlieues concentrent à peu près tous les problèmes épineux : inégalités sociales, absence d’accueil et d’insertion en matière d’immigration, chômage des jeunes et des moins jeunes qui atteint dans certaines cités le taux de 40%, racisme endémique, tensions religieuses et échecs scolaires à grande échelle, violences urbaines aggravées qui transforment ces cités en des zones de non-droit, délinquance et trafic de drogue.

Les cercles vicieux de la marginalité et de l’exclusion

Ces facteurs objectifs produisent des déterminismes sociaux, économiques et ethniques qui piègent certains jeunes, les poussent au désespoir et instaurent les cercles vicieux de la marginalité et de l’exclusion.

Cette situation est générée par trois principaux facteurs :  

  • un déficit de l’intégration républicaine;
  • les limites de la société de consommation;
  • le discours haineux et revanchard de l’islamisme.  

L’intégration républicaine passe par plusieurs instances et par différentes institutions, école, armée, syndicats, partis politiques, permettent l’intégration et la socialisation en incorporant les individus dans le tissu social et tissent, en même temps et symboliquement, le lien social et le vivre ensemble fondé sur des valeurs communes.

En outre, l’intégration constitue un engagement individuel à dépasser le communautarisme c’est-à-dire les particularités dues aux origines et aux appartenances pour contribuer à la construction d’un pacte commun consensuel.

Aujourd’hui, l’intégration semble difficile. Les crises économiques fragilisent l’inclusion et rendent ardue l’intégration civique, économique et sociale des minorités.

L’institution scolaire ne répond plus aux attentes des jeunes immigrés, le monde du travail, principal facteur d’intégration et de reconnaissance sociale, vacille. Cela entraîne souvent  des confrontations avec les institutions d’encadrement comme la police, la justice, l’école ou le travail social.

La mondialisation et la phobie de l’uniformisation planétaire exacerbe les diversités objectives et le narcissisme des petites différences selon les termes de Freud. La diversité religieuse et les revendications identitaires basées sur des motifs religieux mettent en question les principes de la laïcité, les lois républicaines et la neutralité de l’Etat.

Les mirages du système capitaliste   

Par ailleurs, la société de consommation promet l’abondance et la négation définitive et magique du manque, de la rareté et de la pénurie. Elle affirme que les jouissances matérielles et l’opulence garantissent le bonheur et la reconnaissance sociale.

Le mythe moderne de la société capitaliste produit l’impulsion de l’achat et entretient la confusion entre le besoin et le désir et affirme que l’amélioration de notre bien-être est un droit pour tous.

Cette logique dominante nie la pauvreté, la précarité et la misère matérielle et psychologique d’une frange de la population ainsi que l’exclusion de milliers de jeunes. En effet, les chiffres révèlent que 1% de la population mondiale accapare 50% des richesses de la planète et que les inégalités touchent tous les pays.

En réalité et au sein du système capitaliste, c’est la rareté qui conditionne le fonctionnement de la société de consommation. La production des biens et de la marchandise est au service du système dominant et non pas au service des besoins réels et authentiques de l’homme.

Lors des révoltes, cette contradiction entre l’euphorie de l’illusion et l’amertume du réel, entre  le mythe de l’abondance et la vérité du manque et de la misère a été révélée ! Des magasins de luxes comme Louis Vuitton ont été dévalisés. Les magasins de Châtelet-les Halles, au cœur de la capitale parisienne, et plusieurs centres commerciaux ont été pillés. Des vidéos ont montré beaucoup d’habitants qui sont venus récupérer des marchandises dans les magasins éventrés. Certains se sont d’ailleurs levés à l’aube pour se servir dans les enseignes. Cette redistribution des marchandises et des produits de consommation est légitimée, acceptés et même encouragés par certaines communautés…

En ces temps de crises et de grandes difficultés, l’illégalité, la déviance, les actes d’incivilités sont souvent légitimés par une logique de la débrouillardise et du «système D» et constituent parfois un moyen de défense et de survie.

La volonté hégémonique de l’islamisme

Ces difficultés du vivre ensemble sont exacerbées par le discours de l’islamisme.

L’islamisme n’est pas l’Islam ! C’est une idéologie politique qui aspire à imposer l’islam comme norme politique, économique et social, elle reflète une volonté hégémonique reposant sur la prise de contrôle de tous les champs de la vie sociale grâce à un «soft power» religieux basé sur l’endoctrinement. Ses adeptes cherchant à faire prévaloir la norme religieuse sur les lois de la République par l’intermédiaire d’associations, des puissances étrangères et de prédicateurs engagés dans une véritable conquête territoriale de domination.

Cette lecture rétrograde de l’islam est basée sur la division du monde en terre de guerre et terre de paix, sur des normes répressives du halal et haram et sur la logique du al-wala et al-baraa, c’est-à-dire allégeance aux musulmans et rupture totale avec les non-musulmans et leurs institutions. Elle impose des limites, instaure des frontières et déconstruit le tissu social.

L’islamisme s’oppose frontalement aux droits de l’homme, à la démocratie, à l’égalité du genre. Il les considère comme une culture étrangère  et importée et non pas comme un ensemble de valeurs universelles qui se sont affirmées contre des cultures locales autoritaires et des traditions despotiques au nom d’un idéal démocratique et d’un horizon humaniste.

En temps de crise, le discours islamiste produit la haine et la discorde. Il nécessite des réponses adéquates. Le blocage des mécanismes de l’intégration républicaine suscite des questionnements et impose la réflexion sur le renouvellement du contrat social.

* Universitaire, professeure à l’université de la Zitouna, Tunis.

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