L’accord de l’Europe avec la Tunisie pour empêcher les migrants de venir sur le continent a été vivement critiqué après l’apparition d’images d’un enfant et de sa mère décédés en tentant de traverser la frontière entre la Tunisie et la Libye.
Par Lauren Walker
Plus tôt ce mois-ci, la Tunisie a signé un accord avec l’Union Européenne (UE) pour lutter contre la migration irrégulière, qui a suscité de vives critiques en Europe. Depuis la prise de pouvoir du président tunisien Kaïs Saïed en juillet 2021, le pays est en proie à un net recul démocratique et à une dure crise économique.
Parallèlement, la Tunisie a connu une augmentation du nombre de migrants et de réfugiés en transit cherchant à rejoindre l’Europe. Le président Saïed a également été accusé d’incitation à la violence contre les Africains subsahariens avec des discours ouvertement racistes.
Alors même que l’accord était encore en cours de négociation, il était déjà largement rapporté que les autorités tunisiennes avaient arrêté plus d’un millier de migrants subsahariens, les repoussant dans le désert.
Dans le cadre d’un accord d’un milliard d’euros, les autorités tunisiennes utiliseront les fonds de l’UE pour mettre fin au trafic d’êtres humains, renforcer les frontières et renvoyer les migrants, souvent en Libye, où ils sont détenus et torturés dans des camps de détention depuis des années.
Les images de migrants vivant dans des camps de fortune à la frontière libyenne après avoir été repoussés par les forces tunisiennes de contrôle des frontières ont suscité de vives critiques à l’égard de l’accord.
Tragédie dans le désert
La condamnation massive de l’accord a maintenant été encore alimentée après le partage d’images tragiques d’une mère et de son enfant retrouvés morts dans le désert après avoir été abandonnés par les autorités frontalières sans nourriture ni boisson.
[Les protagonistes de la tragédie sont] Mbengue Nyimbilo Crepin (dit Pato) du Cameroun, son épouse Matyla Dosso (Fati) de Côte d’Ivoire et leur fille de six ans Marie. Le couple s’est rencontré dans un camp de détention libyen en 2016 et a tenté à cinq reprises de partir en Italie, mais il a à chaque fois échoué.
La famille espérait enfin trouver une vie meilleure en Tunisie, avec l’espoir de permettre à leur fille d’accéder à l’éducation. Elle n’avait jamais été à l’école depuis sa naissance, c’était le rêve de sa mère, chose impossible en Libye. Cependant, leur tentative s’est terminée de façon dramatique.
La famille a été arrêtée par les autorités tunisiennes, qui les ont battues et les ont renvoyées dans le désert. Après une heure de marche, Crépin a perdu connaissance car la famille n’avait pas mangé ni bu depuis des jours. Il les a finalement suppliés de le laisser derrière eux. «S’ils restaient avec moi, nous péririons ensemble. Ils devaient essayer d’aller jusqu’en Libye», a-t-il raconté au groupe d’action Refugees in Libya.
Crépin a eu de la chance, car trois migrants soudanais en route vers la Libye l’ont trouvé dans le désert et lui ont donné de l’eau. Ensemble, ils se dirigèrent vers la frontière, où il espérait y retrouver sa femme et son enfant. Au lieu de cela, il a découvert via les réseaux sociaux qu’ils avaient été retrouvés morts. «Quand ils m’ont montré les photos, j’ai reconnu leurs vêtements et leurs corps», dit-il.
«Défense incompréhensible»
Cette famille est loin d’être la seule victime de la politique frontalière de la Tunisie. Chaque jour, les gardes-frontières libyens rencontrent des groupes d’Africains déshydratés, mourants ou décédés dans le désert. Plusieurs ONG ont demandé instamment à l’Union européenne (UE) de suspendre le mémorandum d’accord sur la migration signé le 16 juillet courant avec la Tunisie à la lumière de cette violation des droits de l’homme.
«Suspendre l’accord avec la Tunisie jusqu’à ce que la violence s’arrête et que les garanties des droits de l’homme soient en place est la seule bonne réponse», a déclaré Flor Didden, responsable de la politique migratoire au 11.11.11 [collectif belge regroupant les forces de 60 organisations et d’environ 20 000 bénévoles répartis au sein de 330 groupes locaux, engagés pour un objectif commun: un monde de justice et sans pauvreté].
Cette opinion est partagée par Thomas Willekens du Conseil des réfugiés de Flandre (Vluchtelingenwerk Vlaanderen), qui a déclaré : «On ne comprend pas pourquoi Nicole de Moor (secrétaire d’Etat belge à l’asile et à la migration) continue de défendre l’accord avec la Tunisie dans sa réaction à ce drame. Cet accord ne mettra pas fin à la traite des êtres humains, il n’apportera pas une ‘‘meilleure gestion des migrations’’. Il ne fera que mettre encore plus en danger les personnes en fuite via des itinéraires plus dangereux, en les livrant à des passeurs. Cet accord devrait être suspendu». «Il est inacceptable que des migrants soient laissés dans le désert», a déclaré De Moor. «L’Union européenne doit le dire clairement dans son dialogue avec la Tunisie», a-t-elle ajouté, en affirmant que la Tunisie est sur le point de s’effondrer si l’UE n’entre pas dans un partenariat avec elle. «Dans ce cas, la situation des Tunisiens et des nombreux migrants en Tunisie ne s’améliorera certainement pas», a-t-elle conclu.
Traduit de l’anglais.
Source : The Brussels Times.
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