Dans la bande de Gaza, 16 248 personnes, dont plus de 5 350 enfants et au moins 3 250 femmes, seraient décédées. Près de 30 000 personnes auraient été blessées dont 9 000 enfants. Au moins 4 500 personnes, dont 3 500 enfants, sont portées disparues. Les femmes et les enfants représentent 70% des victimes, rapporte l’Unicef, le 7 décembre 2023. Ces chiffres sont déjà dépassés, alors que les bombardements israéliens continuent de tuer femmes et enfants.
Par Khémaïs Gharbi *
Au cœur des décombres fumants, le jeune Yasser, à peine âgé de dix ans, porte le fardeau du deuil avec une maturité étonnante. Son visage triste mais résolu reflète une tristesse profonde, tout en révélant une détermination farouche. Dans ses bras délicats, il tient le corps de son jeune frère, âgé de trois ans, enveloppé d’un linceul blanc imprégné de la chaleur de la vie qui s’est éteinte brutalement.
Cherchant un endroit pour offrir à son frère une dernière demeure, Yasser avance avec précaution sur les décombres chaotiques de ce qui était autrefois son quartier. Les vestiges de maisons jadis vibrantes de vie sont maintenant réduites à des ruines silencieuses, témoins muets de la violence des bombardements de l’aviation israélienne sur la bande de Gaza.
Les pensées de Yasser sont un mystère à décrypter, mêlant probablement le chagrin déchirant de la mort injuste de son petit frère à la résilience nécessaire pour accomplir le rituel funéraire dans ces circonstances apocalyptiques.
Sous les bombardements
Il est seul, ses parents sont morts il y a à peine une semaine sous un bombardement précédent. Son grand-père paternel croupit dans les prisons israéliennes depuis plus de trente ans. Il ne l’a jamais connu. Sa grand-mère a été assassinée par les soldats de l’occupation pour avoir soi-disant observé un jour avec hostilité apparente leurs mouvements provocateurs près de chez elle. Ils ont tiré pour prévenir un attentat terroriste, lui avait-on dit.
Ses oncles qui habitaient Jérusalem ont été expulsés de la ville après son annexion par Israël. Il est désormais le seul survivant de sa famille. Son petit frère était le seul qui lui restait depuis quelques jours.
Sa petite silhouette se dessine contre le fond de destruction, portant la charge physique et émotionnelle de cette guerre dévastatrice. La veille seulement, il élaborait des plans avec lui pour venger leurs parents et les autres membres de leur famille. C’était ce genre de promesse qui circulait dans son entourage, qui rassurait tout le monde et lui aussi. Ces promesses leur donnaient de l’espoir de vivre une autre vie. Alors il les faisait à son tour à son petit frère pour le rassurer aussi. Mais désormais, qui va le rassurer lui-même ?
Il regarde le linceul blanc qu’il porte dans ses bras et se dit de faire attention de ne pas glisser sur les cailloux qui jonchent le sol pour ne pas laisser le corps de son frère tomber sur ces décombres. La chute, pense-t-il, lui ferait mal. Tout autour de lui, les gens, jeunes et moins jeunes, courent dans tous les sens pour se mettre à l’abri des bombardements qui semblent se rapprocher de plus en plus.
Plongé dans ses pensées, Yasser reste imperturbable, car courir à son tour exposerait le corps de son petit frère au risque d’une chute. Il se ferait mal dans sa mort. Dans sa tête, tant qu’un mort n’est pas enterré, il souffre comme les vivants. Alors que les explosions résonnent autour de lui et que tout le monde se met à courir pour se mettre à l’abri, Yasser s’interdit de prendre le risque de tomber. Ce sera le dernier service qu’il tient à rendre à son petit frère. Ne pas le laisser tomber par terre. Il continue à marcher droit devant lui, la tête droite, en faisant attention de ne pas trébucher sur les décombres. Il se demande sur ce qu’il fera après l’avoir enterré. Sa famille est décimée, il se heurte à l’absence de tout point de repère.
Des tombes fraîchement creusées
Il arrive maintenant au cimetière et remarque qu’il y a beaucoup de tombes creusées à l’avance même sous les bombardements, les Israéliens bombardent rarement les cimetières sauf lorsqu’ils sont très fâchés, lui a expliqué un jour son grand frère avant d’être tué lui aussi par des colons à la gâchette facile.
Il marche désormais d’un pas plus assuré, car la terre que ses pieds foulent est fraîchement creusée. Il s’arrête devant une tombe disponible, se penche tout doucement pour déposer le corps de son petit frère. Il pose un dernier baiser sur l’endroit de la tête couverte par le linceul et se redresse pour réciter la prière d’Al-Fatiha.
Mais il ne sent plus rien comme s’il venait de s’endormir brusquement.
Deux fossoyeurs présents dans le cimetière observent la scène de loin. L’un d’eux s’exclame à l’intention de son collègue :
– Tu as vu ? Un fragment de bombe vient de tuer un jeune enfant qui enterrait son petit frère !
Puisse cette histoire être un appel silencieux à la paix, une prière désespérée pour que les cris des enfants ne soient plus jamais étouffés par le bruit des canons. Que l’innocence brisée de ceux comme Yasser soit le dernier rappel de la tragédie que sont les guerres, et que nous puissions tous œuvrer pour un monde où les enfants ne grandissent pas dans les ombres des conflits, mais dans la lumière de l’espoir.
* Interprète et écrivain.
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