Le droit international et son application sont l’expression d’un rapport de force politique, idéologique et militaire au niveau mondial. Les Palestiniens n’ont cessé d’en faire l’expérience à leurs dépens depuis la confiscation et l’occupation de leurs terres par l’Etat hébreu en 1948. (Illustration : L’Afrique du Sud salue une « victoire décisive » pour le droit).
Par Lahouari Addi
La Cour Internationale de Justice a énoncé vendredi 26 janvier 2024 son verdict suite à la plainte déposée par l’Afrique du Sud qui accuse Israël de génocide envers les Palestiniens. La Cour ne demande pas un cessez-le-feu, mais appelle Israël à se conformer au droit de la guerre, d’épargner les populations civiles et de permettre l’entrée à Gaza de l’aide humanitaire.
Face à la tragédie que vivent quotidiennement les habitants de Gaza, ce verdict est décevant car ces derniers attendaient l’arrêt des bombardements qui ont causé la mort de plus de 25 000 personnes depuis le mois d’octobre.
Le gouvernement israélien aussi n’est pas content de la position de la CIJ dont il attendait qu’elle rejette tout simplement la plainte de l’Afrique du Sud. Même si la saisine de la CIJ est en soi une victoire pour les Palestiniens, il ne faut pas attendre du droit international qu’il rende la justice, car le droit international et son application sont l’expression d’un rapport de force politique, idéologique et militaire au niveau mondial.
Un rapport de force politique
Si la CIJ avait demandé l’arrêt de l’agression militaire sur Gaza, elle aurait transmis au Conseil de sécurité de l’Onu la procédure pour le faire appliquer. Or les Etats-Unis auraient apposé leur véto, ce qui aurait mis ce pays en conflit avec le droit international. Et cela, Washington ne peut pas le supporter car les Etats-Unis sont censés être les architectes de l’ordre mondial né après 1945. S’ils sont les premiers à ne pas le respecter, cela porterait atteinte à leur image non pas auprès du Sud Global pour lequel ils n’ont pas beaucoup de respect, mais auprès de leur propre opinion publique convaincue que leur pays est attaché au droit international et à la paix mondiale.
Un véto américain au Conseil de sécurité à un cessez-le-feu demandé par une instance du droit international ruinerait la crédibilité morale des Etats-Unis. Ses adversaires traditionnels, la Russie et la Chine, ne manqueraient pas d’exploiter l’opportunité pour dénoncer le double standard de Washington.
Le juge et le chef politique
Aussi, le verdict de la CIJ n’a pas été rendu sur la seule base du corpus juridique et des faits exposés par les deux parties, mais il devait tenir compte du rapport de force mondial. Que ce soit au niveau national ou international, le droit et son respect sont révélateurs d’un rapport de force. Le juge n’a la capacité de protéger le plus faible qu’avec l’aval du chef politique. Ce serait naïf de croire qu’un conflit politique cesse suite à l’injonction d’un juge. La sphère juridique n’a pas l’autonomie nécessaire pour s’imposer aux Etats.
La vitalité du droit provient de la société civile, et dans ce cas de la société civile mondiale et des opinions publiques du Nord et du Sud. Ce sont les opinions publiques qui ont le pouvoir de faire pression sur les Etats afin qu’ils respectent le droit. Il est donc nécessaire de créer les conditions politiques et idéologiques pour un meilleur respect du droit international dans un monde acéphale régulé plus par la force que par la loi.
Professeur à l’Institut des études politiques de Lyon, chercheur au Gremmo.
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