Du jamais vu en Israël, le chef de l’unité 8200 révèle son identité par imprudence!

Personne ne connaît son identité à l’exception d’une poignée de hauts responsables militaires et du renseignement. L’unité qu’il dirige est chargée des écoutes téléphoniques dans tout le Moyen-Orient, de l’espionnage électronique avec des cibles partout dans le monde mais aussi la cyber-influence pour manipuler et orienter les débats publics dans différents pays. Il a fini par être démasqué après qu’un livre écrit sous son pseudonyme ait révélé son compte Google. Il s’appelle Yossi Sariel et la révélation de son identité a permis de découvrir qu’il est l’architecte en chef de la stratégie d’IA d’Israël. Un grand déballage.

Par Imed Bahri

«L’identité du commandant de l’unité israélienne 8200 est un secret jalousement gardé. Il occupe l’un des rôles les plus sensibles de l’armée dirigeant l’une des agences de surveillance les plus puissantes au monde et comparable à la National Security Agency des États-Unis. Pourtant, après avoir passé plus de deux décennies à travailler dans l’ombre, The Guardian peut révéler comment le chef des services de renseignement controversé dont le nom est Yossi Sariel a laissé son identité dévoilée en ligne», écrit le journal britannique The Guardian qui est revenu en détails sur cette affaire.

The Guardian explique que cette faille de sécurité embarrassante est liée à un livre qu’il a publié sur Amazon. Yossi Sariel a laissé une trace numérique vers un compte Google privé créé à son nom ainsi que son identifiant unique et des liens vers les cartes et les profils de calendrier du compte. The Guardian a confirmé auprès de plusieurs sources que Sariel est l’auteur secret de ‘‘The Human Machine Team’’, un livre dans lequel il propose une vision radicale de la façon dont l’intelligence artificielle peut transformer la relation entre le personnel militaire et les machines. Publié en 2021 sous un nom de plume composé de ses initiales, le général de brigade YS, il fournit un modèle pour les systèmes avancés alimentés par l’IA que l’armée israélienne a mis au point pendant la guerre de six mois à Gaza.

Une bévue en matière de sécurité

Une version électronique du livre comprenait une adresse mail anonyme qui peut facilement être attribuée au nom et au compte Google de Sariel. Contacté par The Guardian, un porte-parole de Tsahal a déclaré que l’adresse mail n’était pas l’adresse personnelle de Sariel mais «dédiée spécifiquement aux questions liées au livre lui-même».

Plus tard, vendredi, dans une déclaration aux médias israéliens, l’armée israélienne a qualifié d’«erreur» la révélation des détails personnels de Sariel dans le livre, ajoutant: «La question sera examinée pour éviter que des cas similaires ne se reproduisent à l’avenir».

Cette bévue en matière de sécurité est susceptible d’exercer une pression supplémentaire sur Sariel dont on dit qu’il «vit et respire» dans le domaine du renseignement mais dont le mandat à la tête de la division d’élite du cyber-renseignement de Tsahal s’est embourbé dans la controverse.

L’unité 8200, autrefois vénérée en Israël et au-delà pour ses capacités de renseignement qui rivalisaient avec celles du GCHQ britannique, aurait construit un vaste appareil de surveillance pour surveiller de près les territoires palestiniens. Cependant, l’unité a été critiquée pour son incapacité à prévoir et à empêcher l’opération Déluge d’Al Aqsa le 7 octobre dernier. Dès lors, des accusations ont été émises selon lesquelles «l’orgueil technologique» de l’unité 8200 s’est fait au détriment des techniques plus conventionnelles de collecte de renseignements.

Des systèmes d’aide à la décision basés sur l’IA

Dans sa guerre à Gaza, l’armée israélienne semble avoir pleinement adopté la vision de l’avenir de Sariel dans laquelle la technologie militaire représente une nouvelle frontière où l’IA est utilisée pour accomplir des tâches de plus en plus complexes sur le champ de bataille. Sariel affirmait dans son livre publié il y a trois ans que ses idées sur l’utilisation de l’apprentissage automatique pour transformer la guerre moderne devraient devenir courantes. «Nous devons simplement les prendre de la périphérie et les amener au centre de la scène», a-t-il écrit. Une section du livre annonce le concept d’une «machine à cibler» alimentée par l’IA, dont les descriptions ressemblent beaucoup aux systèmes de recommandation de cibles sur lesquels Tsahal, comme on le sait maintenant, s’appuie pour bombarder Gaza.

Au cours des six derniers mois, Tsahal a déployé plusieurs systèmes d’aide à la décision basés sur l’IA qui ont été rapidement développés et affinés par l’unité 8200 sous la direction de Sariel. Ils incluent l’Évangile et la Lavande, deux systèmes de recommandation de cibles qui ont été révélés dans des rapports du magazine israélo-palestinien +972, de son média en hébreu Local Call et du Guardian.

L’armée israélienne affirme que ses systèmes d’IA sont destinés à aider les agents du renseignement humain qui sont tenus de vérifier que les militaires suspects sont des cibles légitimes au regard du droit international. Un porte-parole a déclaré que l’armée utilisait «différents types d’outils et de méthodes», ajoutant: «De toute évidence, il existe des outils basés sur l’intelligence artificielle qui profitent aux chercheurs en renseignement.»

L’IA pour transformer la guerre moderne

Mercredi, les magazines +972 et Local Call ont mis en lumière le lien entre l’unité 8200 et le livre écrit par un général de brigade YS au nom mystérieux. Sariel aurait écrit le livre avec la permission de Tsahal après un an en tant que chercheur invité à l’Université américaine de la Défense nationale à Washington DC où il a plaidé en faveur de l’utilisation de l’IA pour transformer la guerre moderne.

Destiné aux commandants militaires de haut rang et aux responsables de la sécurité, le livre articule un concept d’«équipe homme-machine» qui cherche à réaliser une synergie entre les humains et l’IA plutôt que de construire des systèmes entièrement autonomes. Cela reflète l’ambition de Sariel de devenir un «leader d’opinion» selon un ancien responsable du renseignement.

Dans les années 2000, Sariel était l’un des principaux membres d’un groupe d’espions à l’esprit universitaire connu sous le nom de «le Chœur» qui militait pour une refonte des pratiques des services de renseignement israéliens. Un article de la presse israélienne suggère qu’en 2017, il était chef du renseignement du commandement central de Tsahal. Son élévation ultérieure au poste de commandant de l’unité 8200 équivalait à une approbation par l’establishment militaire de sa vision technologique de l’avenir.

Sariel fait référence dans le livre à «une révolution» survenue ces dernières années au sein de Tsahal qui a «développé un nouveau concept de guerre centré sur le renseignement pour relier le renseignement aux combattants sur le terrain». Il préconise d’aller plus loin encore en fusionnant pleinement renseignement et guerre, notamment lors de la conduite d’opérations de ciblage meurtrières. Dans un chapitre du livre, il fournit un modèle sur la façon de construire une machine à cibles efficace en s’appuyant sur des «mégadonnées» qu’un cerveau humain ne pourrait pas traiter.

«La machine a besoin de suffisamment de données concernant le champ de bataille, la population, des informations visuelles, des données cellulaires, des connexions aux réseaux sociaux, des photos, des contacts sur les téléphones portables», écrit-il. Et  d’ajouter : «Plus il y a de données et plus elles sont variées, mieux c’est.»

Une telle machine à cibler, explique Sariel, s’appuierait sur des modèles complexes qui font des prédictions fondées «sur de nombreuses petites caractéristiques diverses», énumérant des exemples tels que «les personnes qui sont avec un membre du Hezbollah dans un groupe WhatsApp, les personnes qui changent de téléphones portables au bout de quelques mois et ceux qui changent fréquemment d’adresse»

L’espion israélien affirme que l’utilisation de l’IA pour créer des cibles militaires potentielles peut être plus efficace et éviter les «goulots d’étranglement» créés par les responsables du renseignement ou les soldats. «Il existe un goulot d’étranglement humain, à la fois pour localiser les nouveaux objectifs et pour prendre la décision d’approuver les objectifs. Il existe également un goulot d’étranglement lié au traitement d’une grande quantité de données. Ensuite, il y a le goulot d’étranglement lié à la connexion entre les renseignements et le feu.» Il ajoute: «Une équipe composée de machines et d’enquêteurs peut éliminer complètement le goulot d’étranglement.»

Un système de contrôle de masse

Il convient de rappeler que l’une des illustrations du recours de l’armée israélienne à l’IA à Gaza est le système de contrôle de masse que nous avons évoqué dans Kapitalis dans l’article «Israël met en place un système de contrôle de masse à Gaza» et dans lequel est traité d’ailleurs le rôle central de l’unité 8200. Et comme Yossi Sariel est à la fois le chef de cette unité ainsi que le théoricien et l’architecte en chef de la stratégie de l’IA de l’armée israélienne, on comprend donc son rôle clé dans l’appareil militaire et du renseignement israélien. Le fait que son identité ait été démasquée et le grand déballage qui s’en est suivi qui embrassent les autorités israéliennes ont permis de révéler beaucoup d’informations sur la cuisine interne de l’armée et du renseignement israéliens habitués depuis toujours à préserver leurs secrets tout en espionnant les autres. L’imprudence de Yossi Sariel a ainsi permis pour une fois d’inverser les rôles.

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