Le procureur de la CPI Karim Khan: «Je sais que je marche dans un champ de mines»

Le journal britannique The Sunday Times a publié une interview du juriste et procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) Karim Khan dans laquelle il affirme que lorsqu’il a annoncé sa demande de mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens et ceux du Hamas, il savait «qu’il marchait dans un champ de mines.» Il faut rappeler que la CPI a été menacée par des membres du Congrès américain et que douze sénateurs ont menacé personnellement Khan et sa famille s’il lançait un mandat d’arrêt international contre Benjamin Netanyahu. La «démocratie» occidentale dans toute sa splendeur !  

Imed Bahri   

Khan estime qu’il n’avait pas le choix soulignant qu’il appartient à un groupe minoritaire persécuté et qu’il a déjà été attaqué dans une mairie du Yorkshire en Angleterre. «La question à laquelle nous arrivons est la suivante: Voulons-nous vivre dans un monde où la loi s’applique de manière égale ou voulons-nous fermer les yeux et tourner le dos à cause de nos allégeances?», a-t-il déclaré. Il a ajouté: «Bien sûr, chacun de nous est conscient que Gaza constitue une ligne de fracture dans les relations internationales mais cela ne devrait pas être une excuse pour ne pas donner la priorité au droit de la victime, partout. Que ces droits soient des victimes juives ou palestiniennes, qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes ou sans religion, nous devons porter la même indignation morale, le même amour, la même attention et la même préoccupation. Nous sommes tous des êtres humains.»

Le journal britannique rappelle que l’annonce par Khan de porter des accusations contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ainsi que son ministre de la Défense Yoav Gallant est un précédent, c’est la première fois  que la CPI portait des accusations contre un dirigeant soutenu par l’Occident alors qu’il était au pouvoir ce qui a suscité des réaction aux États-Unis et en Europe.

L’égalité dans un monde de plus en plus polarisé

Khan a dénoncé les critiques notamment celles de Rishi Sunak, le Premier ministre britannique, qui a qualifié la décision de «totalement inutile» et du président américain Joe Biden qui l’a qualifiée de «scandaleuse». Khan déclare: «Notre travail n’est pas de nous faire des amis. Que nous recevions des éloges ou des condamnations, notre fonction est d’affirmer l’égalité de chaque enfant, de chaque femme et de chaque civil dans un monde de plus en plus polarisé et si nous le faisions pas, à quoi cela servirait?»

En attendant l’approbation des juges de la CPI et s’ils acceptent de publier les mémos, ils auront un effet restrictif sur les dirigeants israéliens, plus encore que la décision de la Cour internationale de Justice (CIJ) vendredi, qui a ordonné à Israël de cesser immédiatement d’envahir Rafah après que l’Afrique du Sud lui a soumis une demande. Cependant, la CIJ n’a aucun moyen de faire appliquer sa décision. Par contre, la décision de la CPI signifie que les 124 signataires du Statut de Rome seront obligés prendre des mesures pour arrêter Netanyahu et Gallant.

Khan a déclaré que si les pays occidentaux ne se soumettaient pas aux décisions de la CPI, cela aura d’énormes répercussions. Il ajoute: «La CPI est leur idée et je suis la nounou qui a été nommée pour les aider et ils ont le choix de prendre soin de cet enfant ou bien d’assumer la responsabilité de l’avoir négligé.» Il a ajouté: «Ce qui est plus important que moi et la Cour, c’est que le monde regarde cette situation et il la voit en Amérique latine, en Afrique et en Asie comme un point de cristallisation. Les pays sont-ils sincères lorsqu’ils affirment qu’il existe un ensemble de lois ou bien ce système fondé sur des règles n’est-il qu’une absurdité, qu’un simple outil de l’Otan et du monde postcolonial sans réelle intention de les appliquer de manière égale?»

Même traitement pour le colonisé et le colonisateur

    Il faut rappeler que les mandats d’arrêt demandés par Karim Khan qui ont concerné aussi bien des responsables israéliens en l’occurrence Netanyahu et Gallant mais aussi des dirigeants du Hamas à savoir Ismaïl Haniye, Yahya Sinwar et Mohamed Deïf ont suscité de vives critiques. Les Occidentaux pro-israéliens ont critiqué le fait de mettre dos-à-dos les responsables israéliens qu’ils considèrent comme un pays allié et une démocratie et le Hamas qu’ils considèrent comme un mouvement terroriste.

    Quant à l’opinion publique dans le monde arabo-musulman, et même au-delà, au cœur même de l’Occident, elle a critiqué que la résistance palestinienne qui défend sa terre colonisée soit culpabilisée comme l’agresseur génocidaire israélien. 

    Lorsque le Sunday Times, qui à l’instar de l’écrasante majorité des médias occidentaux penche du côté d’Israël, lui a demandé qu’Israël n’avait pas le choix dans la guerre livrée à Gaza car il ne sait pas où se trouvent les détenus que ce soit dans des tunnels ou dans des maisons et comment ils sont traités, Khan a répondu, citant le traitement réservé par la Grande-Bretagne à l’Armée libre irlandaise: «Il y a eu des tentatives d’assassinat contre Margaret Thatcher et des explosions ont coûté la vie à Lord Mountbatten. Il y a eu une attaque sur Enniskillen [une ville du nord de l’Irlande] et nous avons été soumis à des attaques et des représailles mais les Britanniques n’ont pas décidé et dit : ‘‘Eh bien sur Falls Road’’ [dans le cœur catholique de Belfast], il y a sans aucun doute des sympathisants de l’Armée irlandaise libre et des républicains, larguons donc une bombe de 1000 tonnes sur Falls Road.»

    Khan ajoute: «La loi doit avoir un objectif et c’est ce qui différencie les pays respectueux de la loi des groupes criminels et terroristes et c’est ce qui me motive: appliquer une loi fondée sur des preuves. C’est ce que nous faisons peu importe à quel point nous sommes dénoncés.»

    Le procureur général de la CPI, 54 ans, a dit avoir reçu des mails et d’autres types de menaces et de pressions mais il a estimé que celui qui a obtenu l’année dernière un mandat d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine pour crimes de guerre en Ukraine n’a pas peur.

    Karim Khan est né d’une mère britannique et d’un père pakistanais à Édimbourg, en Écosse. Sa famille appartient à la minorité Ahmadiyya (considérée comme une secte et non musulmane) et il a grandi dans le Yorkshire où son père travaillait comme dermatologue. Il a évoqué les positions concernant sa communauté que certains considèrent comme non musulmane et comment sa famille au Pakistan a été exposée à la violence, une violence qui les a même poursuivis au Royaume-Uni lorsqu’il étudiait au King’s College et au Yorkshire et que son père, sa mère, son frère et son cousin, médecin également, ont été agressés.

    Karim Khan a poursuivi sa carrière d’abord au sein du ministère public en Angleterre et au Pays de Galles puis au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. À partir de là, il a continué son travail au sein des juridictions internationales de La Haye. Il est procureur général de la CPI depuis le 16 juin 2021.

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