Les priorités américaines pour les élections de 2024 en Afrique du Nord

En reconnaissant les limites des processus électoraux dans des pays comme l’Algérie, la Libye et la Tunisie, Washington peut se concentrer davantage sur la résolution des défis économiques, sociaux et institutionnels, sur la gestion des dynamiques régionales et sur l’engagement stratégique avec les concurrents mondiaux.

Sabina Henneberg & Amine Ghoulidi *

Certains observateurs ont qualifié 2024 d’«année des élections», et cela est particulièrement valable pour l’Afrique du Nord, où des élections présidentielles sont prévues en Algérie et en Mauritanie, en Tunisie et en Libye, même si le calendrier exact reste incertain pour ces deux pays. Ces scrutins mettront en lumière l’évolution du paysage de l’engagement occidental dans cette région souvent négligée.

En plus du soutien traditionnel aux processus démocratiques, la politique américaine devra s’adapter aux complexités des réalités politiques de chaque pays tout en évoluant dans un environnement géopolitique de plus en plus compétitif – de l’influence croissante de la Chine et de la Russie à la détérioration inquiétante de la région du Sahel. Cela implique une stratégie américaine plus globale qui réponde à des préoccupations économiques et sécuritaires plus larges.

Les élections ne suffisent pas

En Mauritanie, le président Mohamed Ould Ghazouani briguera un second mandat le 29 juin. La Tunisie prévoit d’organiser son élection présidentielle à l’automne, tandis que celle de l’Algérie est prévue pour le 7 septembre. En Libye, certains législateurs ont appelé à un vote d’ici la fin de l’année, mais les efforts apparemment interminables visant à élaborer une feuille de route convenue pour les élections présidentielles et parlementaires n’ont pas encore porté leurs fruits.

Même dans les pays dont les délais sont provisoirement fixés, le paysage électoral est semé d’incertitudes. En Algérie, la décision du président Abdelmadjid Tebboune de tenir le vote en septembre, trois mois avant la fin de son mandat actuel, a soulevé des questions sur ses motivations. En Tunisie, le président Kaïs Saïed a exprimé son intention de se présenter à nouveau sans déclarer formellement sa candidature – une situation ambiguë aggravée par l’absence de date d’élection précise ou de loi électorale claire.

La situation de la Libye est particulièrement précaire. Les échecs répétés à respecter les délais électoraux sous les auspices de l’Onu ont semé le doute sur la possibilité d’organiser des élections nationales crédibles. Les observateurs se demandent également quel impact aurait le vote dans un environnement aussi instable, et si le résultat donnerait un semblant de légitimité à l’élite dirigeante actuelle.

Ces trajectoires politiques illustrent pourquoi les décideurs américains devront consacrer encore plus d’attention, au-delà des urnes, à des questions plus larges qui affectent la stabilité et le développement en Afrique du Nord, telles que la fragilité économique, l’insécurité et la migration irrégulière.

La période qui s’est écoulée depuis le Printemps arabe de 2011 a illustré les limites d’une focalisation étroite sur les élections. En Égypte, le scrutin présidentiel de 2012 a été compétitif mais n’a pas réussi à empêcher un retour au régime militaire. Les élections libyennes de 2012 et 2014, organisées dans un contexte d’insécurité et de fragmentation politique croissante, n’ont guère contribué à stabiliser le pays ni à établir un gouvernement central fonctionnel. La Tunisie a organisé trois tours d’élections libres et équitables (2011, 2014, 2019), mais n’a finalement pas réussi à empêcher Saïed d’imposer un style de gouvernement de plus en plus personnalisé et autoritaire. Et l’élection présidentielle algérienne de 2019 a porté au pouvoir un ancien Premier ministre à la suite de manifestations de masse, sans répondre aux appels du mouvement d’opposition disparate à changer le statu quo.

Perspectives électorales actuelles

Compte tenu de ce bilan, les prochaines élections offrent peu de chances de changer la direction de l’un de ces pays ou de renforcer leurs institutions démocratiques. En Libye, certains progrès ont été réalisés dans l’établissement d’un cadre constitutionnel et juridique, mais des désaccords politiques persistants ont bloqué les avancées et contribué à la démission du Représentant spécial de l’Onu le 16 avril. Même si des élections ont lieu, elles dépendront d’un règlement politique fragile, de la bonne volonté de milices lourdement armées engagées dans une lutte pour le pouvoir qui dure depuis des années, et d’une sorte de concession de la part de l’homme fort de l’Est, Khalifa Haftar, qui brigue la présidence.

De plus, le succès des transitions démocratiques dépend souvent de multiples facteurs au-delà des pactes électoraux, tels que la stabilité économique, la justice transitionnelle et la force du pouvoir judiciaire et des autres institutions étatiques. Des élections prématurées pourraient donc finir par exacerber les tensions en Libye, comme ce fut le cas en 2014.

La situation de la Libye est particulièrement précaire. Les échecs répétés dans le respect des délais électoraux sous les auspices de l’Onu ont semé le doute sur la possibilité d’organiser des élections nationales crédibles. Les observateurs se demandent également quel impact aurait le vote dans un environnement également instable, et si le résultat donnerait un semblant de légitimité à l’élite dirigeante actuelle. Ces trajectoires politiques illustrent pourquoi les décideurs américains devront consacrer encore plus d’attention, au-delà des urnes, à des questions plus larges dont dépendent la stabilité et le développement en Afrique du Nord, telles que la fragilité économique, l’insécurité et la migration irrégulière.

Plus largement, les prochaines élections tunisiennes seront basées sur une Constitution controversée adoptée en 2022, qui marque un abandon des processus démocratiques inclusifs. L’indépendance compromise de la commission électorale et les récents accords avec la Commission électorale centrale russe ont encore érodé la confiance dans l’intégrité du vote. Paradoxalement, mettre un terme à ce processus régressif pourrait représenter une position plus ferme en faveur de la démocratie que de permettre aux élections actuelles de se dérouler dans des conditions aussi imparfaites.

En Algérie, la tenue d’élection anticipée semble davantage être une tentative de consolider le pouvoir que de favoriser la croissance démocratique. Une possibilité est que Tebboune espère devancer les challengers potentiels en accélérant le calendrier. Il pourrait également chercher à réduire le risque de protestations dans un contexte de mécontentement politique et économique généralisé. Il est cependant très probable qu’il réponde à des luttes intestines entre clans impliquant l’armée (traditionnellement la force politique la plus puissante du pays) et qu’il tente de restreindre les autres centres de pouvoir.

Quoi qu’il en soit, l’issue semble à ce stade prédéterminée. D’une part, les dirigeants en place ont historiquement remporté des victoires écrasantes en Algérie. De plus, des années de répression ciblée et de cooptation stratégique ont affaibli l’opposition, sapant ainsi le potentiel d’un processus démocratique solide. Le contrôle du gouvernement sur les médias et la scène politique, associé aux questions persistantes sur l’influence militaire en politique, jette le doute sur l’équité et la transparence du processus électoral. Et bien que Tebboune ait signalé un certain niveau d’ouverture sociale et économique, ses politiques ne font pas grand-chose pour répondre aux griefs qui ont déclenché le mouvement de protestation de 2019, qui appelait à plus de libertés politiques, à des mesures anti-corruption et à une transition vers un État civil non dirigé par les militaires. Pour consolider le soutien à son programme, les autorités ont eu recours à des tactiques nationalistes, notamment en invoquant le spectre d’une agression du Maroc voisin.

La Mauritanie offre un récit différent, bien que loin d’être idéal. Le transfert du pouvoir, relativement pacifique, au président Ghazouani en 2019 a été largement considéré comme libre et équitable et a marqué un pas important vers l’abandon du régime militaire. Ancien général, il est sur le point de briguer un second mandat face à une faible opposition, renforcé par le bilan électoral de son parti. Son administration a maintenu la stabilité alors même que d’autres pays de la région du Sahel luttent contre l’instabilité. Il a également mis en œuvre des politiques visant à réduire la pauvreté et à améliorer la protection sociale, renforçant ainsi le soutien du public malgré certaines critiques concernant les lois restrictives affectant la liberté d’expression.

Néanmoins, les chances de progrès significatifs dans les institutions démocratiques du pays sont faibles en raison de la concurrence politique limitée et de la concentration du pouvoir au sein du parti au pouvoir.

La Mauritanie est également confrontée à des défis plus vastes, tels que le renforcement de la cohésion sociale, la lutte contre les violations passées des droits de l’homme et la garantie d’une répartition équitable des ressources. L’amélioration de la trajectoire démocratique du pays nécessiterait des efforts actifs pour réformer la loi sur les médias, renforcer l’indépendance judiciaire et garantir un processus électoral plus transparent et inclusif, entre autres mesures. Cependant, étant donné l’approche rapide de la date des élections, le résultat le plus probable est un vote avec peu de concurrence de la part de l’opposition. Néanmoins, des élections pacifiques et bien organisées pourraient être considérées comme une étape positive pour la Mauritanie, en particulier dans une région où la stabilité politique est profondément en évolution.

Implications politiques

La faible probabilité que ces quatre pays connaissent des réformes politiques significatives ou un changement de direction cette année soulève des questions sur l’efficacité des élections en tant qu’outil de démocratisation et de développement véritables dans la région. La rhétorique et la posture militaire de plus en plus antagonistes entre certains de ces gouvernements menacent également la stabilité et le progrès en Afrique du Nord, alors que l’Algérie tente de forger un nouveau bloc politique avec la Tunisie et une Libye réticente, visant principalement à isoler le Maroc.

De tels développements soulignent l’urgence d’une approche américaine plus proactive pour empêcher une nouvelle fragmentation régionale. Grâce à son engagement actif auprès du gouvernement de Tebboune – malgré les récents revers au Conseil de sécurité de l’Onu – l’administration Biden est bien placée pour travailler avec Alger à la promotion d’une désescalade régionale. Pourtant, ces efforts diplomatiques devraient également être mis à profit pour promouvoir une vision commune d’une Afrique du Nord stable et intégrée.

Alors que Washington évolue dans un paysage régional en évolution, il doit garder une compréhension claire des limites des processus électoraux en tant qu’outil de consolidation démocratique, tout en reconnaissant simultanément l’influence croissante des puissances mondiales et les défis posés par les rivalités régionales.

Les États-Unis peuvent devenir plus efficaces pour faire valoir leurs intérêts en Afrique du Nord et soutenir les aspirations à long terme des populations qui y vivent. Mais cela nécessitera une approche plus holistique et adaptative axée sur la fourniture d’un soutien électoral ciblé; relever avec vigueur les défis économiques, sociaux et institutionnels; gérer les dynamiques régionales; et s’engager stratégiquement avec des concurrents mondiaux.

Traduit de l’anglais.

Source : Washington Institute.

* Sabina Henneberg est Soref Fellow au Washington Institute. Amine Ghoulidi est chercheur en géopolitique et sécurité au King’s College de Londres.

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