Le génocide qui se poursuit à Gaza depuis presque 9 mois a notamment engendré un très grand nombre de personnes amputées dont beaucoup d’enfants. Ils vivent une véritable tragédie étant donné que l’accès aux soins médicaux et même à l’eau potable est limité et le risque d’infection est élevé ce qui rend difficile pour les personnes amputées de subir des interventions chirurgicales, de bénéficier d’un suivi post opératoire, des prothèses et de la rééducation.
Imed Bahri
Dans une enquête consacrée aux amputés de Gaza, le New York Times raconte notamment l’histoire de l’adolescente Ahed qui a appelé à l’aide son oncle, le docteur Hani Bseiso, alors qu’elle saignait et pleurait de douleur après avoir été grièvement blessée par un obus tombé sur leur maison assiégée par l’armée israélienne alors que les combats faisaient rage à l’extérieur ce jour-là de décembre 2023.
Le docteur Bseiso, 52 ans, a dû quitter l’hôpital Al-Shifa où il travaille dans le service d’orthopédie pour rentrer chez lui en raison de la situation extrêmement dangereuse.
Il a saisi un couteau de cuisine, des ciseaux et du fil à coudre puis a amputé la jambe de sa nièce Ahed sur la table de la cuisine où sa mère venait de finir de faire du pain. «Elle a été grièvement blessée», se souvient-il. Il a ajouté: «J’ai dû trouver un moyen de lui sauver la vie sans outils, sans anesthésie ou quoi que ce soit.»
Le New York Times a rapporté dans son enquête intitulée «Un paysage de l’enfer: Les conditions désastreuses à Gaza laissent une multitude d’amputés» que l’opération chirurgicale primitive pratiquée par le Dr Bseiso a été filmée dans une vidéo diffusée sur Internet pour témoigner des choix douloureux qui ont été répétés à de nombreuses reprises au cours de la guerre qui a détruit les vies et les membres de la population de Gaza.
Obligés à amputer des membres qui auraient pu être sauvés
Les médecins se disent choqués par le nombre massif d’amputations à Gaza qui expose les patients à un risque d’infection dans un endroit où l’accès aux soins médicaux et même à l’eau potable est limité.
Le journal américain rapporte que le système de santé de Gaza n’est pas équipé pour faire face à la situation. La plupart des hôpitaux de la bande ont complètement cessé de fonctionner tandis que d’autres souffrent d’une grave pénurie de fournitures, notamment d’anesthésie et d’antibiotiques.
Les chirurgiens affirment que le manque de matériel et le nombre de blessés les ont obligés à amputer des membres qui auraient pu être sauvés ailleurs mais ils soulignent que la perte est inévitable dans les deux cas car les amputations nécessitent des soins extrêmes et souvent plus d’une opération chirurgicale.
Le journal américain cite Anna Jilani, une chirurgienne orthopédiste de Liverpool en Angleterre qui a passé deux semaines à l’hôpital Al-Aqsa dans le centre de Gaza en mars. Elle fait le constat suivant: «Il n’y a pas de bonnes options là-bas. Tout nécessite le suivi et il n’y en a pas.»
Parce que la stérilisation complète est difficile dans les hôpitaux de Gaza où les bandages et les poches de sang s’épuisent et où les patients sont allongés sur des lits sales, le docteur Jilani estime qu’il s’agit d’un «environnement propice à la propagation des infections», ajoutant que beaucoup de patients auraient pu survivre mais ils sont morts à cause de la contamination parce que «nous n’avions pas le choix».
Une scène d’enfer pleine de cauchemars terrifiants
Pour sa part, le docteur Seema Jilani, qui a travaillé comme conseillère principale en matière de santé d’urgence à l’International Rescue Committee (une organisation humanitaire), affirme que cela a conduit à «une scène d’enfer pleine de cauchemars terrifiants» et bien qu’elle ait travaillé dans plusieurs zones de conflits, elle a déclaré qu’elle ne pouvait pas oublier les photos qu’elle avait prises pendant les deux semaines qu’elle avait passées à Gaza.
Parmi les tristes scènes rapportées par le New York Times dans son reportage à l’intérieur de l’hôpital, il y avait un garçon de six ans avec des brûlures couvrant tout le corps et un pied coupé, une fille aux jambes amputées et un petit garçon dont le bras droit et la jambe droite étaient déchirés et qui semblait saigner car il avait besoin d’un drain thoracique mais aucun soin n’a pu lui être prodigué. Il n’y avait ni tube ni civière et on ne lui a rien donné pour soulager sa douleur.
Selon le rapport, il n’existe pas de chiffres précis sur le nombre de Gazaouis qui ont perdu un membre dans cette guerre et l’Unicef a estimé en novembre (il y sept mois) que près d’un millier d’enfants palestiniens avaient été amputés d’une ou des deux jambes et a récemment déclaré: «Il est très probable que ce chiffre ait été largement dépassé».
Le docteur Bseiso n’a pas pu stériliser le couteau de cuisine qu’il a utilisé pour amputer la jambe de sa nièce ce jour-là et il n’a utilisé que de l’eau et du savon. Il a déclaré que la situation n’était pas sûre pour transférer Ahed à l’hôpital avant 4 jours, où elle a subi par la suite un certain nombre d’opérations chirurgicales avant d’être finalement évacuée vers l’Égypte puis vers les États-Unis pour y être soignée avec l’aide d’un médecin d’une fondation caritative américaine. Il a ajouté: «Dans d’autres circonstances, il y aurait eu 20% de chance qu’Ahed garde sa jambe mais dans ces circonstances, sa chance était littéralement inexistante.»