Officiellement, le mouvement Echaâb (nationaliste arabe) soutient le projet politique du président sortant Kaïs Saïed, mais tout aussi officiellement, il présente un candidat contre lui aux élections présidentielles dont le 1er tour est prévu le 6 octobre 2024. Allez chercher une cohérence politique dans cette démarche !
Imed Bahri
Conscient de la position saugrenue du mouvement Echaâb, dont il est le secrétaire général et le candidat à la présidentielle, Zouhair Maghzaoui a déclaré, lors d’une conférence de presse organisée au siège de son mouvement à Tunis, mardi 23 juillet, comme pour ajouter encore plus d’ambiguïté (et d’absurdité) à sa démarche: «Notre candidature à la présidence n’implique pas l’abandon du processus du 25-Juillet, que notre mouvement a été le premier à soutenir», par allusion au processus politique initié par le président Saïed en proclamant l’état d’exception le 25 juillet 2021.
Quelqu’un a-t-il compris quelque chose ? Nous, en tout cas, on a beaucoup de mal à se retrouver dans cet imbroglio conceptuel.
L’art de couper le cheveu en quatre
Comme pour expliquer l’inexplicable, insultant au passage l’intelligence de 12 millions d’électeurs, Maghzaoui a déclaré : «Nous nous positionnons comme une alternative engagée à répondre aux attentes des populations concernant ce processus [du 25-Juillet]».
Est-ce à dire que ce processus s’est écarté de la voie qu’il s’était tracé au départ et qu’il n’a pas répondu aux attentes des Tunisiens qui l’ont soutenu ? Si c’est le cas, Maghzaoui et son mouvement se proposent donc comme une alternative à Saïed.
Ce n’est pas le pas là le point de vue du nationaliste arabe, qui n’est pas à une contradiction près. Affectionnant les acrobaties politiciennes comme un funambule marchant sur un fil au dessus du vide, il a tenu à préciser qu’il «ne se présente contre aucune autre personne, mais se présente comme porteur d’un projet alternatif visant à réaliser les réformes attendues dans divers domaines». Que Saïed se rassure donc : s’il a gagné un concurrent potentiel pour la prochaine présidentielle, il n’a pas perdu pour autant l’un des soutiens les plus engagés en faveur de son projet politique.
Pour ceux que la position du mouvement Echaâb risque d’induire en erreur, Maghzaoui a expliqué qu’il continue, lui et ses camarades, de soutenir «le processus» et de s’aligner sur les objectifs du président Saïed et sur la date du 25-Juillet, la considérant comme «un moment historique significatif visant à protéger la révolution».
Protéger la révolution ? Venant d’un mouvement qui a été associé à la «décennie noire» à laquelle Saïed s’est donné pour mission de mettre fin, cette prétention révolutionnaire a de quoi faire sourire. Mais passons, et suivons notre Maghzaoui national dans son raisonnement alambiqué !
La faute à Sidi Ali Errih
Plusieurs réformes auraient pu être réalisées au cours des trois dernières années, a déploré le candidat à la présidentielle, mais cela n’affecte en rien son soutien indéfectible à celui qui est le principal responsable de ces manquements, à savoir Saïed, qui s’est donné tous les pouvoirs depuis le 25 juillet 2021 et ne peut par conséquente se défausser sur d’autres pour tout ce qu’il n’a pu réaliser. Si des réformes importantes n’ont pu être mises en œuvre ces trois dernières années à qui doit-on en imputer la responsabilité? A l’opposition, complètement muselée ? Aux médias réduits au silence par le fameux décret-loi 54 qui mène les libres penseurs directement en prison? A Sidi Ali Errih, comme disent les Tunisiens ?
Il convient de rappeler aux oublieux et aux amnésiques que le très révolutionnaire mouvement Echaâb a fait partie du gouvernement Elyes Fakhfakh aux côtés d’Ennahdha et de Qalb Tounes (que du beau linge!), et que son très révolutionnaire secrétaire général et candidat – non vraiment assumé – à la présidentielle, Zouhair Maghzaoui, était membre de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) qui a été gelée puis dissoute par le président Saïed après le 25 juillet 2021.
Libre à Maghzaoui de jouer les utilités et de postuler à un rôle de figurant dans une élection où il n’a aucune chance de gagner, même si par un très heureux concours de circonstances , il parvient à passer le cap du 1er tour – ce qui serait déjà une très grosse surprise –, mais de grâce, qu’il ne prenne pas ses compatriotes pour des idiots !