Alors que dans les médias internationaux, il n’est question que des détenus israéliens à Gaza qui sont pourtant très bien traités de l’avis même de ceux qui ont été libérés, les Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est victimes d’arrestations arbitraires et ceux de Gaza kidnappés subissent les pires sévices et beaucoup finissent par mourir sous la torture. Les geôles israéliennes sont de véritables Guantánamo où y survivre relève du miracle. (Illustration : Prison d’Ofer près de Ramallah en Cisjordanie (Ph. Heidi Levine pour le Washington Post).
Imed Bahri
Le Washington Post a publié une enquête préparée par Lovedi Morris et Sufian Taha intitulée «Des Palestiniens racontent des abus meurtriers dans les prisons israéliennes: C’est Guantanamo» dans laquelle ils ont révélé la violence et les privations pratiquées dans les prisons israéliennes après s’être entretenus avec 11 anciens prisonniers palestiniens et un certain nombre d’avocats et avoir examiné les rapports d’autopsie. Un prisonnier palestinien est mort d’une rupture de la rate et de côtes cassées après avoir été battu par des gardiens de prison. Tandis qu’un autre a connu une fin douloureuse parce qu’il souffrait d’une maladie chronique non soignée. Un troisième a crié à l’aide pendant des heures avant de mourir.
Les détails de la mort des prisonniers ont été rapportés par des témoins oculaires et confirmés par les médecins de l’organisation Médecins israéliens pour les droits de l’homme qui ont assisté aux autopsies dont les résultats ont été partagés avec les familles et obtenus par le Washington Post. Les trois hommes font partie d’au moins 12 Palestiniens de Cisjordanie et d’Israël morts dans les prisons israéliennes depuis le 7 octobre, selon l’organisation israélienne. Un nombre indéterminé de prisonniers de la bande de Gaza sont également morts.
Les groupes de défense des droits de l’homme affirment que les conditions dans les prisons israéliennes surpeuplées se sont sérieusement détériorées depuis les attaques du Hamas contre Israël. D’anciens prisonniers palestiniens ont décrit des passages à tabac systématiques qui étaient souvent infligés à des cellules ou à des sections entières, généralement à coups de matraque et parfois avec des chiens. Ils ont déclaré avoir été privés de nourriture adéquate et de soins médicaux et avoir été victimes de violences psychologiques et physiques.
Alors que l’attention et les condamnations internationales se sont concentrées sur le sort des détenus à Gaza -en particulier sur le célèbre site militaire de Sde Teman-, les défenseurs des droits de l’homme affirment qu’il existe une crise plus profonde et plus systémique dans le système carcéral israélien.
Israël a du mal à repousser les allégations portées contre lui
Interrogé sur les prisonniers morts derrière les barreaux depuis le 7 octobre ainsi que sur d’autres faits détaillés dans cet article, l’administration pénitentiaire israélienne a déclaré dans un communiqué: «Nous ne sommes pas au courant des allégations que vous avez décrites et à notre connaissance, aucun événement de ce type ne s’est produit. Toutefois, les prisonniers et détenus ont le droit de déposer une plainte qui sera pleinement examinée et traitée par les autorités officielles.» Circulez, il n’y a rien à voir !
Dans une lettre adressée aux autorités pénitentiaires le 26 juin, le directeur du Shin Bet (renseignements intérieurs israéliens) Ronen Bar a averti que les conditions dans les prisons du pays pourraient conduire à de nouvelles poursuites judiciaires internationales. «Israël a du mal à repousser les allégations portées contre lui dont certaines sont au moins justifiées», a-t-il écrit dans une lettre publiée par le journal Yedioth Ahronoth. La lettre ajoute que le système pénitentiaire qui a été construit pour accueillir 14 500 prisonniers en détient 21 000 et cela n’inclut pas environ 2 500 prisonniers de Gaza dont la plupart sont détenus dans des installations militaires. «La crise des prisons crée des menaces pour la sécurité nationale d’Israël, ses relations extérieures et sa capacité à atteindre les objectifs de guerre qu’il s’est fixés», a conclu Bar.
Toutefois, le fasciste et suprémaciste juif Itamar Ben Gvir, le ministre de la Sécurité nationale qui supervise le système pénitentiaire assume totalement «sa guerre» contre les détenus palestiniens. Dans un post X ce mois-ci en réponse à Bar, il s’est vanté d’avoir «considérablement réduit» l’heure de leur bain et réduit la nourriture qui leur était servie. Selon lui, la solution la plus simple au problème de la surpopulation carcérale serait la peine de mort.
Al-Bahash, Al-Maari, Hamad et les autres
Pour le défunt Abdul Rahman Al-Bahash, 23 ans, son séjour en prison s’est transformé en une condamnation à mort. Sa famille a déclaré qu’il était membre des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa et qu’il avait été arrêté en relation avec des affrontements armés avec les forces israéliennes à Naplouse en Cisjordanie. Deux des camarades d’Al-Bahash dans la prison de Megiddo ont lié son assassinat à un passage à tabac sévère infligé par des gardiens dans leur cellule en décembre. Tous deux ont parlé sous couvert d’anonymat par crainte de représailles.
Un prisonnier de 28 ans détenu dans la même section a déclaré que les policiers avaient fait irruption dans toutes les cellules du quartier et avaient menotté les prisonniers avant de les battre et de leur donner des coups de pied d’une manière folle. Cela se répétait deux fois par semaine. Il a déclaré qu’après le passage à tabac, Al-Bahash et d’autres membres ont été transférés de sa cellule vers la zone d’isolement surnommée Tora Bora, du nom du réseau de grottes afghanes d’Al-Qaïda. «Le bruit des cris était partout dans la section», a-t-il déclaré.
Al-Bahsh est revenu avec de profondes contusions et s’est plaint que ses côtes auraient pu être cassées. Son codétenu a déclaré que lorsqu’il a demandé une aide médicale, on lui a tendu des pilules d’Acamol, un simple analgésique. Al-Bahash est décédé environ trois semaines plus tard, le 1er janvier.
L’autopsie a montré «des signes d’ecchymoses sur la poitrine droite et sur l’abdomen gauche provoquant de multiples fractures des côtes et une blessure à la rate probablement à la suite de l’agression», selon un rapport de Daniel Solomon, médecin appartenant à Médecins israéliens pour les droits de l’homme qui a obtenu l’autorisation des autorités pénitentiaires pour assister à l’autopsie. Le choc septique et l’insuffisance respiratoire consécutifs à des infections ont été répertoriés comme causes possibles de décès. Les résultats officiels de l’autopsie n’ont pas été communiqués à la famille tout comme le corps d’Al-Bahash qui ne leur a pas été rendu.
Abdul Rahman Al-Maari, 33 ans, est décédé à Megiddo le 13 novembre. Al-Maarri était menuisier et père de quatre enfants. Il était en prison depuis février 2023 selon son frère Ibrahim qui a déclaré qu’il a été arrêté à un poste de contrôle provisoire et accusé d’appartenance au Hamas et de possession d’une arme à feu. Ses proches ont perdu contact avec lui après le 7 octobre, date à laquelle les visites familiales ont été interrompues. Ils tentent toujours de reconstituer les détails de sa mort. Le rapport d’autopsie du docteur Danny Rosen des Médecins israéliens pour les droits de l’homme a révélé que «des ecchymoses étaient visibles sur la poitrine gauche avec des côtes et un sternum cassés en dessous». Des ecchymoses externes ont également été observées sur le dos, les fesses, le bras gauche, la cuisse, le côté droit de la tête et le cou.
Khairy Hamad, 32 ans, un prisonnier de la même section, a déclaré qu’Al-Maarri avait été jeté dans un escalier métallique composé d’environ 15 marches alors qu’il était menotté en guise de punition pour avoir répondu aux gardes lors d’une fouille dans une pièce alors que les prisonniers ont été déshabillés et battus. Hamad a déclaré que lui et ses compagnons de cellule avaient reçu l’ordre de descendre au rez-de-chaussée et qu’Al-Maarri avait atterri à environ cinq mètres de lui. Il a déclaré qu’il était conscient mais qu’il saignait de la tête. Al-Maarri a également été transféré à l’isolement à «Tora Bora».
Depuis la cellule adjacente, l’avocat Sari Khoury, 53 ans, l’a écouté pleurer de douleur pendant des heures. «Il criait toute la journée et toute la nuit», a déclaré Khoury. Il se souvient avoir crié à plusieurs reprises: «J’ai besoin d’un médecin.» À quatre heures du matin, il finit par se taire. Dans la matinée, Khoury a entendu les gardes découvrir le corps sans vie et appeler un médecin. Il les a entendus essayer de réanimer Al-Maarri avec un défibrillateur puis les a vus le sortir dans un sac pour les cadavres.