Réforme de l’enseignement, la vision d’une enseignante

Le constat est là, implacable, têtu, effrayant: et les enseignants, et leurs élèves ne sont pas heureux à l’école. Ils sont tous les deux déprimés et extrêmement malheureux. Si cette sonnette d’alarme ne vous inquiète pas, ne soyez pas inquiétés par l’effondrement de tout un pays.

Olfa Rhymy Abdelwahed *

Il suffit de prendre le temps de lire ce que les élèves ont gravé sur leurs pupitres, vous découvrirez l’étendue de leur détresse.

Tout d’abord je ne prône aucune réforme, car toutes réformes viseraient les symptômes du mal et non ses racines.

Je suis pour une révolution profonde et intrinsèque. Un chambardement  total du système.

Le diagnostic est là, implacable, sans recours. Le pronostic vital de l’acte éducatif est engagé. Nous sommes dans une espèce de fuite vers l’avant qui ne mènerait qu’à plus de désarroi.

 Aucune commission, aucun think tank ni cellule de crise ne saurait établir un bon constat s’ils ne sont pas dans l’œil du cyclone.

Je peux prétendre que seuls mes collègues enseignants, qui sont amenés, chaque jour, à côtoyer les apprenants et à manipuler les programmes, peuvent évaluer l’état des lieux.

La première question que je pose chaque jour est celle-ci: Est-ce que les élèves sont  épanouis à l’école? Est-ce qu’ils aiment ce qu’ont leur sert? Est-ce que les enseignants sont comblés par leur mission?

Nos élèves n’aiment pas l’école et n’y sont aucunement épanouis, leurs professeurs encore moins.

Inutile de mettre des mots sur les maux de l’enseignement. Nous les connaissons tous.

Une infrastructure digne du moyen-âge. Des salles de classe insalubres. Manque de moyens et de matériel affligeant. Pas de verdure. Des bâtiments austères où on a jugé bon de transcrire des anathèmes sur les murs histoire d’imposer la morale. Aucune activité ni distraction n’est proposée. Pas de clubs, ni de sorties en groupe. À penser que l’école est une espèce de punition ou de  purgatoire où l’on se doit de souffrir pour se purifier et aboutir à la salvation.

Faute de moyens, me direz-vous.

Accordé, dirai-je.

Mais alors, ces programmes longs, compliqués, ennuyeux et ternes sont la faute à qui?

Pourquoi l’élève a-t-il l’impression qu’il est constamment piégé? Il ne s’agit plus d’apprendre à déceler les astuces et les résoudre, mais de déjouer les attrape-nigauds.

Pourquoi l’élève a-t-il l’impression qu’il est constamment traqué et mis à rude épreuve ?

Les professeurs sont amenés à inculquer des programmes conçus ailleurs et parachutés de je ne sais quelle orbite.

Une autre chausse-trappe sont ces coefficients des matières qui partent dans tous les sens et qui n’obéissent à aucune logique, mettant l’élève dans l’obligation de se concentrer sur des matières aux dépens d’autres. Vous trouverez, ainsi, un élève de section technique ou informatique qui ne sait pas formuler une phrase correcte ou soutenir une conversation en arabe ou en français.

Des programmes qui vous noient dans la théorie et l’abstrait, qui n’incitent pas à la pensée critique ni à la créativité ni à l’épanouissement des dons individuels.

Un bourrage de crâne et un gavage d’oies par des notions qui s’évaporeront une heure après l’interrogation.

Des écoles sans assistance sociale, ni psychologique, ni médicale ni rien. Des adolescents livrés aux aléas de la vie.

Des enfants aux regards de déportés ou de détenus assis de longues heures à des pupitres sur lesquels ils ont gravé leurs douleurs.

Des enseignants débordés, accablés qui doivent s’oublier le temps d’une année scolaire pour faire office de parent, de psychologue, de médecin, d’avocat, d’ami, de soutien moral et souvent matériel. Des professeurs tout aussi désemparés, mais dignes.

Je propose que l’Etat s’implique avec les moyens qui lui sont propres pour sauver l’enseignement qui reste une question de sécurité nationale.

Ne révisez pas les programmes. Changez les radicalement de façon qu’ils soient plus adaptés à l’ère moderne, qu’ils soient plus intéressants, plus motivants et attractifs.

Si vous ne pouvez pas rénover les établissements, au moins plantez des arbres et des fleurs et faites que l’environnement éducatif soit plus agréable.

Allégez les programmes, aérez-les. Faites qu’ils soient attrayants, captivants et instructifs. Favorisez la qualité de l’information sur la quantité ingurgitée. Unifiez les coefficients mais donnez une place prépondérante à la lecture. La majorité de nos bacheliers n’ont jamais lu un livre. C’est l’avenir de tout un pays qui est mis en jeu.

Habituez vos jeunes au travail de groupe. À l’échange et l’interactivité. Ils seront de bons citoyens. Intercalez l’environnement et le civisme dans le programme. La vie n’est pas faite que de mathématiques.

Unifiez l’enseignement. Il n’y a pas un élève plus futé qu’un autre. Il y a des intelligences multiples propres à chacun et c’est le rôle de l’enseignement de les détecter. La «ghettoisation» de l’intelligence est la chose la plus cruelle et la plus méprisable qu’un pays a fait subir à ses enfants et leurs parents.

Libérez-les après-midis pour qu’ils puissent réviser où pratiquer une activité de leurs choix.

Accompagnez les élèves psychologiquement si nécessaire.

Impliquez les parents même contre leur gré.

Collectez des fonds pour le développement de l’école. Les banques et les grosses boîtes tout comme les particuliers doivent s’y mettre. Tous les acteurs économiques doivent apporter leur soutien.

Consacrez-leur un temps d’écoute et de dialogue. Ce ne sont pas des machines.

Cessez de créer de clivages entre les professeurs et les élèves. C’est avec nous qu’ils passent le plus clair de leurs journées. Nous sommes sur la même rive. Leur succès est le nôtre, leur échec aussi.

Combattez vigoureusement le passage automatique de classes. Tolérance zéro.

Attaquez les lobbies des manuels parascolaires dont les intérêts financiers colossaux font qu’ils s’opposent à toutes réformes des programmes. Histoire de vendre chaque année encore plus de titres.

Faites que les enseignants vivent dignement. 

* Enseignante.

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