Il aurait pu être un personnage de roman de John Updike ou de John Le Carré. Il avait été salué par les médias d’État chinois comme un modèle pour ses efforts visant à promouvoir les intérêts de Pékin aux États-Unis, il s’agissait en fait d’un agent du Bureau fédéral d’investigation (FBI). Il s’appelle John Leung. Son histoire est aussi celle de la guerre de l’ombre que se livrent les deux principales puissances mondiales à savoir les États-Unis d’Amérique et la République populaire de Chine. Sans sa libération la semaine dernière, il aurait terminé ses jours dans les geôles chinoises.
Imed Bahri
Dans un rare échange de prisonniers, la Chine a libéré mercredi dernier un espion qui avait été reconnu coupable d’espionnage pour le compte des États-Unis après avoir été arrêté par les autorités chinoises en 2021. Il a ensuite été condamné à la prison à vie. Le New York Times a rapporté dans une enquête que l’espion était monté à bord d’un avion à destination des États-Unis avec deux citoyens américains détenus en Chine ainsi que trois Ouïghours, membres d’un groupe ethnique confronté à la répression du gouvernement chinois.
Le journal américain a publié les détails de l’échange et affirme que Washington a libéré en échange deux espions chinois dont le premier nommé Xu Yangun a été condamné à 20 ans de prison. Le deuxième était Ji Zhaochun qui travaillait sous la direction de Xu et purgeait une peine de 8 ans de prison.
Une ordonnance de grâce a également été signée pour un troisième citoyen chinois, Jin Shanlin, emprisonné pour possession de pédopornographie, le même jour que l’ordonnance de grâce visant l’espion Xu. La Chine a déclaré que les États-Unis avaient également extradé un fugitif qui fuyait la justice.
Dans les détails, le journal a rapporté que l’espion libéré par Pékin s’appelait John Leung -un Américain d’origine chinoise- qui, selon deux hauts responsables américains, travaillait comme informateur pour le FBI pour lequel il collectait des informations sur la Chine.
Organisateur d’événements politiques à Houston
Leung était un espion inattendu. Lorsqu’il vivait dans une petite ville de l’Oklahoma, les gens le connaissaient comme un ancien restaurateur et père de famille. À Houston (dans le Texas), où il voyageait fréquemment, on le connaissait comme organisateur d’événements politiques au sein de la communauté chinoise dynamique de la ville.
En Chine, il est connu comme un philanthrope, un patriote, un organisateur de spectacles musicaux et un défenseur de causes officielles telles que l’unification de la Chine continentale avec Taiwan. Or, il était en réalité un informateur du FBI avant que Pékin ne l’arrête en 2021 après un voyage en Chine. Il était alors âgé de 75 ans. Il a ensuite été condamné à la prison à vie, ce qui est la première fois depuis des décennies qu’un Américain accusé d’espionnage écope d’une telle peine, précise le NYT.
Leung avait cherché à se faire passer pour un philanthrope ce qui lui donnait accès aux cercles de pouvoir chinois. À Houston, au Texas, il a dirigé des groupes promouvant les intérêts politiques de Pékin. Il a assisté à des banquets d’État chinois et a interagi avec de hauts responsables chinois notamment son ministre des Affaires étrangères, son ambassadeur et trois consuls généraux aux États-Unis. Mais cette couverture était faite pour tromper.
Pour relier l’extraordinaire histoire de l’espion Leung, de restaurateur d’une petite ville à prisonnier dans un conflit géopolitique aux grands enjeux avec la Chine, le NYT a interviewé des dizaines de personnes qui l’ont connu notamment des proches aux États-Unis et à Hong Kong, des hommes d’affaires, des associés à Houston et des connaissances dans le quartier chinois de New York. Les journalistes se sont également appuyés sur registres de l’entreprise, les documents d’archives et d’autres documents.
L’influence «maligne» de Pékin aux États-Unis
Le journal américain affirme que les relations de Leung avec le FBI restent entourées de nombreuses ambiguïtés car il cite le ministère chinois de la Sécurité d’État qui aurait déclaré qu’il espionnait pendant son séjour en Chine. Cependant, des responsables américains ont déclaré que Leung n’avait pas travaillé pour le FBI depuis des années et que l’agence ne l’avait pas encouragé à faire le voyage durant lequel il a été arrêté. Autant dire qu’il était une sorte d’électron libre, qui travaillait aussi pour son propre compte.
Le rapport du journal indique que Leung entretenait des relations avec certains groupes pro-Chine dont un affilié à l’Association nationale pour la réunification pacifique de la Chine que l’administration de Donald Trump a accusée en 2020 de chercher à étendre l’influence «maligne» de Pékin aux États-Unis.
«Il est connu que les agents du renseignement chinois utilisent ces organisations comme couverture pour leurs opérations secrètes», a déclaré Dennis Wilder, ancien analyste du renseignement américain sur la Chine et chercheur principal à l’Université de Georgetown.
Pour sa part, Nigel Inkster, ancien directeur des opérations et du renseignement au sein des services secrets britanniques, a déclaré que le travail de Leung avec de tels groupes aurait pu faire de lui un informateur utile.
Quant à Christopher Wray, le directeur du FBI, il a décrit Pékin comme «la plus grande menace pour notre sécurité nationale à long terme».
Des «pièges pornographiques» pour des responsables chinois
Le journal américain a rapporté que les services de renseignement chinois ont révélé que Leung avait collecté une grande quantité d’informations de renseignement liées à la Chine, qu’il avait attiré des responsables chinois dans des chambres d’hôtel aux États-Unis et qu’il leur avait tendu des «pièges pornographiques» dans les chambres d’hôtel aux États-Unis ce que des responsables anciens et actuels du FBI considèrent comme incorrecte.
D’après le NWT, les services de renseignement chinois ont également publié un clip vidéo filmé pendant la détention de Leung dans lequel il exprime ses remords pour son acte.
Un tribunal chinois avait déclaré, en 2023 que Leung avait été arrêté deux ans plus tôt par des agents de la sécurité de l’État de la ville de Suzhou dans la province du Jiangsu, dans le sud-est de la Chine, où il se rendait régulièrement et où il a réussi à communiquer avec ses supérieurs.
Le NYT a rapporté que l’arrestation et la condamnation à perpétuité de Leung avaient été bien accueillies en Chine où ils considéraient cela comme une victoire mais son cas a reçu peu de couverture médiatique aux États-Unis.
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