Hier, dimanche 8 décembre 2024, c’est la Syrie de la dynastie Al-Assad qui est tombée et sa chute va impacter toutes les données géostratégiques des pays de la région Mena et au-delà, en fragilisant la position russe auprès de ses alliés. C’est la poursuite du «Printemps arabe» tel que voulu par l’axe américano-sioniste, soutenu par le «frère musulman» turc, nostalgique de l’empire ottoman.
Sémia Zouari *
L’armée syrienne et la garde républicaine ont refusé de soutenir Bachar Al-Assad, un despote qui a bombardé son propre peuple avec l’aide des puissances étrangères russe et iranienne, pour conserver son pouvoir, d’où le pourrissement interne et la facilité de sa chute.
A-t-il été miné par les services de renseignements occidentaux et sionistes, par la corruption de ses officiers de hauts rangs, systématiquement visés par les limogeages intempestifs? Certainement… et l’on sait l’efficacité de la stratégie américaine des valises de dollars pour acheter les «consciences» fatiguées, lorsqu’elles subsistent encore….
«Talibanisation» de la société syrienne
Un scénario qui rappelle le lâchage de Ben Ali en 2011 avec la bénédiction des États-Unis, sous les applaudissements d’Al-Jazeera et via les flux financiers du Qatar pour faciliter les défections militaires et les «passations» de pouvoir au profit des islamistes.
Dès aujourd’hui le pillage, la régression et la destruction commencent, comme partout où les Frères musulmans sévissent, au nom de leur pseudo démocratie car, en dépit des déclarations rassurantes de leur chef Al-Joulani et du leader islamiste Mouadh Al-Khatib, les dérives sectaires seront inévitables et ils ne vont pas tarder à persécuter et marginaliser les minorités ethno-confessionnelles de la mosaïque syrienne, qui résistait sous la poigne de fer de la dynastie Al-Assad, et commencer par «talibaniser» la société aux dépens des femmes, comme de bien entendu….
Demain, l’on assistera au morcellement de la Syrie, au nom des divisions communautaires et au profit de la Turquie qui continuera de piller les industries d’Alep en engrangeant un énorme tribut de guerre tout en re-déversant les millions de réfugiés syriens accueillis à contrecœur depuis plus de 10 ans sur son territoire, contre compensations sonnantes et trébuchantes de l’Union européenne (UE).
Kurdistan, Iran, Irak
Quant à la cause kurde dans la région, elle reste un point d’interrogations car si Erdoğan a eu l’ambition de la liquider, au grand soulagement de l’Iran, elle a de fortes chances de se retourner contre lui qui persécute plus de 12 millions de Kurdes de Turquie depuis des décennies. Et si cette cause reprenait ses droits? Comme en Irak? Avec l’autonomisation des territoires kurdes syriens? Leur rattachement au Kurdistan irakien dans l’espoir de restitution des territoires kurdes en Iran où la révolte sera activement fomentée par l’axe américano-sioniste?
Une autre stratégie perfide pour fragiliser l’Iran de l’intérieur, au-delà de la perte de ses alliés régionaux du Hamas, du Hezbollah et de la minorité alaouite chiite tombée du pouvoir.
L’Iran subit actuellement une grande menace, d’autant plus que ses défenses antiaériennes, ses sites de fabrication de missiles et d’armement nucléaire ont été plus lourdement impactés par les bombardements israéliens qu’il ne le reconnaît….
Le ciblage de l’Iran par les États-Unis vise également à tarir les sources d’approvisionnement en hydrocarbures de la Chine et de l’Inde et à freiner leur ascension économique et politique qui hypothèque la domination militaire, financière et économique des États-Unis et du monde occidental.
Le Qatar et le financement du jihadisme
N’oublions pas que le Qatar avec son arme médiatique Al-Jazeera est partie prenante au conflit, qu’il a largement financé depuis 2011, via le recrutement actif de dizaines de milliers de jihadistes (près de 120 000), des Tunisiens et d’autres nationalités, qui ont ensanglanté la Syrie où ils sont arrivés via un véritable pont aérien co-organisé par les islamistes d’Ennahdha et Erdoğan.
Tous ces jihadistes, volontiers terroristes, ont été libérés des prisons syriennes et sont prêts à s’engager dans toutes les guerres par procuration et les attentats terroristes que leurs donneurs d’ordre auront décidés pour remodeler le Grand Moyen Orient tel que l’axe américano-sioniste l’a conceptualisé au service de ses intérêts de domination suprémaciste néo-impérialiste.
Le Qatar n’est pas désintéressé dans le financement de la chute de la Syrie dans l’escarcelle «frériste» car il compte bien engranger les bénéfices résultant de l’autorisation du passage de son gazoduc stratégique via le territoire syrien, dès lors ouvert à ses ambitions néo-impérialistes de connivence avec l’incontournable allié ottoman qui avait permis de sauver le régime de Tamim en 2018, en contrant les manœuvres de coup d’Etat fomenté contre lui par la «grande sœur» saoudienne.
Israël, Liban, Jordanie, Palestine et Egypte
Contrairement à ce que prétendent les médias occidentaux, le grand gagnant de la chute du régime Al-Assad reste Israël qui profitera de la débâcle syrienne pour rafler d’autres territoires au-delà du Golan tout en coupant le flux de l’aide iranienne à la résistance palestinienne et libanaise d’obédience islamiste.
Tous les autres pays de la région vont subir une fragilisation dévastatrice inéluctable….
Le Liban est livré au risque d’une autre guerre civile sous-tendue par la volonté du camp occidental de hisser à la présidence un maronite, hostile aux chiites (majoritaires démographiquement) et prêt à des concessions autant politiques que territoriales au profit d’Israël via un «accord de paix» qui ne serait qu’une capitulation déshonorante, source de sanglants conflits interconfessionnels….
La Jordanie ne tirera pas son épingle du jeu malgré toute la collaboration du régime hachémite, qui n’a cessé de subir des tentatives internes de destitution, révélatrices de sa vulnérabilité et de l’inconstance de son «soutien populaire». Son importante population palestinienne autochtone plie sous le poids d’une dictature militaire assumée, largement soutenue par le camp occidental, mais fragile et en déficit de légitimité du fait de sa création en tant qu’Etat-tampon, par les accords franco-britanniques de Sykes Picot, aux dépens de la Palestine et de l’Irak.
Le plan d’Israël est de déverser en Jordanie les Palestiniens de Cisjordanie occupée au motif qu’ils ont également été privés de leurs territoires suite à la création de la Jordanie….
Quant à l’Égypte de Sissi, elle est loin de jouir de la stabilité politique et sociale et de la prospérité que chante la propagande officielle et l’on a vu que son armée est susceptible d’opérer des «changements» musclés voire des coups d’Etat, lorsque sa survie et ses privilèges sont menacés, au niveau interne.
N’oublions pas le «contrat du siècle» cher à Donald Trump et à son gendre Jared Kuchner, sioniste convaincu, qui prévoit la cession d’une partie du Sinaï pour y jeter les Palestiniens de Gaza, tout en les maintenant sous la féroce domination israélienne. Une exigence d’autant plus insistante que le projet de ré-annexion de Gaza et d’ouverture d’un canal concurrent de celui de Suez fait partie du plan de domination d’Israël sur toute la région.
Arabie saoudite et Yémen
L’Arabie Saoudite n’échappera pas aux tentatives de déstabilisation et au chantage intempestif de Trump pour la reconnaissance d’Israël et la normalisation politique et économique aux dépens de la cause des Palestiniens. Une humiliation qui renforcera l’impopularité de MBS auprès des Saoudiens dont 40% de la population est d’origine yéménite (la région de Hadhramout principalement dont était issu Ben Laden et qui domine l’important secteur BTP du royaume).
Le Yémen restera une zone d’instabilité impossible à occuper ou pacifier et alimentera les risques d’attentats sur toutes les infrastructures pétrolières et gazières aussi bien fixes que maritimes de toute la région.
Ainsi, si les jihadistes libérés de Syrie se repositionnent en Libye, ils pourraient changer la donne du gouvernement islamiste de Tripoli et reconquérir la Cyrénaïque conquise par Khalifa Haftar et tombée sous la coupe de l’Egypte avec l’aide russe….
Et la Tunisie dans tout cela ?
Le retour des jihadistes tunisiens qui étaient emprisonnés en Syrie pour crimes de guerre se fera inéluctablement, en douce, via les frontières tuniso-libyennes, terrestres ou maritimes. C’est un risque sécuritaire à ne pas négliger pour notre pays avec les tentations de violation de ses territoires du Sud, à l’instar de l’attaque de Ben Guerdane, avec le soutien des islamistes qui réclament la libération de leur Gourou.
C’est pourquoi la Tunisie doit préserver sa coopération avec les États-Unis et l’Otan afin de pouvoir actionner, en cas de besoin, les mécanismes de soutien, de défense, de lutte contre le terrorisme, prévus dans l’accord de partenariat en tant que pays allié, non membre de l’Otan conclu en 2015, et assurer la concrétisation opérationnelle efficace du projet de surveillance électronique de ses frontières avec la Libye, engagé en coopération avec les États Unis, le Royaume Uni, l’Allemagne et l’Otan.
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