La détention d’un célèbre écrivain franco-algérien en Algérie a mis en évidence les défis auxquels la France est confrontée pour protéger les écrivains qui critiquent l’islam et les gouvernements autoritaires.
Colette Davidson
L’arrestation le 16 novembre de Boualem Sansal, que certains appellent «le Voltaire des Arabe», met en évidence les limites de l’influence de la France sur son ancienne colonie, alors que les responsables français cherchent à obtenir la libération de M. Sansal.
La France a longtemps considéré sa tradition littéraire comme un espace où la liberté d’expression peut s’épanouir. Mais l’arrestation de M. Sansal a montré que ses protections ne peuvent aller plus loin, en particulier pour les écrivains franco-algériens qui portent le poids du passé colonial complexe des deux pays, vieux de 132 ans.
«Cinq générations d’Algériens se sont sentis ignorés, marginalisés et dominés par les puissances européennes», explique Alain Ruscio, historien et spécialiste de la colonisation française. «Le gouvernement algérien utilise cette mémoire collective et cette souffrance pour exercer son pouvoir sur son peuple. Dans le cas de Sansal, il peut avoir des idées extrêmes, mais on ne met pas quelqu’un en prison pour ses idées.»
M. Sansal est surtout connu en France pour son roman dystopique de 2015, ‘‘2084 : La fin du monde’’, un regard post-apocalyptique et orwellien sur un monde sous le contrôle d’un régime totalitaire religieux. Il a remporté plusieurs des plus grands prix littéraires français. Il a ouvertement critiqué le gouvernement autoritaire algérien.
À 80 ans et en mauvaise santé, M. Sansal risque non seulement la prison à vie, mais aussi de devenir l’un des quelque 200 prisonniers politiques actuellement détenus en Algérie.
La France, refuge littéraire
Le gouvernement français a rapidement demandé la libération de M. Sansal (il possède la double nationalité française et algérienne), et la prestigieuse Académie française a envisagé de l’intégrer dans ses rangs en signe de solidarité. Mais l’arrestation de M. Sansal intervient à un moment où les relations franco-algériennes sont particulièrement tendues. Malgré la mobilisation des intellectuels français, son avenir reste incertain. Le 11 décembre, une cour d’appel algérienne a rejeté une demande de libération de M. Sansal.
Bien avant l’arrestation de M. Sansal, la France a servi de refuge aux écrivains qui luttaient pour trouver la liberté dans leur pays d’origine. L’Américain James Baldwin (‘‘La Chambre de Giovanni’’), l’écrivain tchèque Milan Kundera (‘‘L’Insoutenable légèreté de l’être’’) et l’écrivaine iranienne Marjane Satrapi (‘‘Persépolis’’) ne sont que quelques-uns des écrivains qui ont fait de la France leur refuge littéraire.
M. Sansal avait trouvé refuge intellectuel en France, alors que son Algérie natale (où il vivait avec sa famille) devenait de plus en plus oppressive envers sa classe littéraire. Son livre, ‘‘2084, la fin du monde’’, a remporté le prestigieux prix de l’Académie française en 2015 et il est devenu un pilier du circuit des conférences littéraires françaises.
«L’Algérie a vu son espace littéraire se réduire énormément ou disparaître complètement. Il n’y a plus de place pour la liberté d’expression», explique Mounira Chatti, professeure de littérature francophone et postcoloniale à l’Université Bordeaux-Montaigne. «En France, cet espace est toujours ouvert et disponible. Boualem Sansal représente ce fantasme de la grande figure intellectuelle», ajoute-t-elle.
Il a utilisé sa plume comme une épée
Mais M. Sansal a longtemps utilisé sa plume comme une épée, critiquant le leadership autoritaire de l’Algérie, l’islam radical et l’idéologie religieuse.
En France, ses critiques de l’islam et d’Israël l’ont qualifié d’islamophobe et d’antisioniste parmi certains intellectuels de gauche, qui affirment que ses opinions politiques se rapprochent de celles de Marine Le Pen et de l’extrême droite.
En octobre, lors d’une interview avec le média français de droite Frontières, M. Sansal a déclaré que l’ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc à l’époque coloniale française, jetant ainsi le doute sur les frontières du territoire algérien.
Plus tard dans le mois, le président français Emmanuel Macron a affirmé son soutien à la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Le territoire est actuellement en partie contrôlé par le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, et est au cœur d’un conflit qui dure depuis des décennies.
Les propos de M. Macron mettent à rude épreuve les relations déjà tendues entre la France et l’Algérie, qui se remettent encore de la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et la France en 2021. Cela fait de M. Sansal, qui a atterri sur le sol algérien en novembre, une cible parfaite, selon son ami de longue date Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie.
«Boualem Sansal écrit et publie en français, a la nationalité française et est critique envers son pays d’origine», explique M. Driencourt. Pour certains Algériens, ajoute-t-il, «Sansal est considéré comme participant à une conspiration entre la France, le Maroc et Israël contre l’Algérie».
Ainsi, même si la France a intérêt à défendre M. Sansal, les observateurs estiment que toute intervention extérieure pourrait se retourner contre lui. «La France doit bien sûr défendre son citoyen, mais elle doit le faire discrètement et peut-être par l’intermédiaire d’un intermédiaire, comme l’Allemagne, la Suisse ou le Qatar», explique Bruno Péquignot, sociologue et professeur émérite d’arts et de culture à l’université de la Sorbonne Nouvelle à Paris. «Si la France défend M. Sansal de manière trop explicite, c’est une preuve de plus pour l’Algérie qu’il est un traître», ajoute-t-il.
‘‘Trop français’’ en Algérie, ‘‘bons Arabes’’ en France
Les opinions extrémistes de M. Sansal sur l’islam lui ont coûté des soutiens non seulement en Algérie mais aussi en France. Plusieurs commentateurs français ont justifié son arrestation par ses convictions politiques, et si la députée écologiste Sandrine Rousseau a dénoncé son emprisonnement, elle a également déclaré que M. Sansal n’était «pas un ange».
Ce double standard a frustré les membres du cercle littéraire franco-algérien en France. Kamel Daoud, ami de M. Sansal et premier Algérien à avoir remporté le prestigieux prix Goncourt en 2024 pour ‘‘Houris’’, a déclaré à la radio française début décembre : «Si vous parlez de l’islam, vous êtes islamophobe. Si vous critiquez votre pays d’origine, vous êtes contre l’immigration. En Algérie, on nous accuse d’être trop français et en France, on ne nous considère pas comme de ‘‘bons Arabes’’».
M. Daoud s’est également heurté au gouvernement algérien, qui l’accuse d’avoir volé l’histoire personnelle d’un patient de sa femme psychiatre pour écrire ‘‘Houris’’.
Malgré tout, la communauté littéraire et intellectuelle française, pourtant majoritairement de gauche, s’est mobilisée pour soutenir M. Sansal. Son éditeur, les Éditions Gallimard, a lancé le 2 décembre une collecte de fonds participative pour ses frais d’avocat, et une trentaine d’écrivains français lauréats du Grand Prix de fiction de l’Académie française ont publié une lettre ouverte demandant sa libération.
Traduit de l’anglais.
Source : The Christian Science Monitor.
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