Abdallah de Jordanie évite la confrontation avec Trump mais ne plie pas

Ce fut un exercice diplomatique compliqué auquel à été confronté Abdallah de Jordanie, mardi 11 février 2025 à la Maison-Blanche. Le souverain a été confronté à une équation très particulière, d’un côté il ne devait pas plier face à Donald Trump qui veut imposer son plan de déplacement des Palestiniens de Gaza et d’un autre, il ne pouvait pas entrer en confrontation directe, frontale et publique avec le président de la première puissance mondiale. Lors de la précédente présidence Trump, la Jordanie avait refusé catégoriquement les Accords d’Abraham ce qui avait valu à Abdallah II une animosité de la part du président américain. Le souverain hachémite semble avoir retenu la leçon et a été plus madré cette fois-ci. 

Imed Bahri  

Le magazine Politico a publié une analyse d’Eli Stokols dans laquelle il affirme que le roi Abdallah II a utilisé à la fois la flatterie et la subtilité pour tenter de gagner du temps concernant le plan de Donald Trump visant à contrôler Gaza, expulser ses habitants et la transformer en un projet immobilier. Il a été le premier dirigeant arabe à rencontrer Trump après son entrée à la Maison Blanche le mois dernier et depuis qu’il a annoncé son désir de prendre le contrôle de Gaza et de déplacer ses habitants vers la Jordanie et l’Égypte.

Le roi jordanien a diplomatiquement éludé les questions sur le sujet pour tenter d’éviter un désaccord direct et public avec le président Trump. Il a rejeté le plan lorsqu’il a été annoncé et a déclaré aux journalistes à la Maison Blanche qu’il accepterait 2 000 enfants blessés de Gaza. Parallèlement, en ce qui concerne les questions liées au déplacement des Palestiniens vers l’Egypte et la Jordanie, il a renvoyé les journalistes à la proposition sur laquelle travaille la Jordanie avec le reste des pays arabes concernant la reconstruction de Gaza et qui sera présentée ultérieurement à l’administration américaine. Trump a, quant à lui, déclaré, concernant l’accueil des 2000 enfants de Gaza ayant besoin de soins: «C’est vraiment un beau geste, c’est très bien et nous en sommes reconnaissants».

Eli Stokols estime que la tactique du monarque jordanien dont le pays est le troisième plus grand bénéficiaire de l’aide américaine et qui s’oppose obstinément à devenir une patrie de substitution pour les Palestiniens déplacés a peut-être réussi à apaiser les tensions entre les deux alliés et à gagner du temps.

Attendre que l’Égypte présente son plan

Politico estime qu’il existe dans tous les pays arabes une large opposition au déplacement des Palestiniens mais l’Égypte et d’autres pays coordonnent une stratégie régionale visant à satisfaire le désir de Trump d’imposer une solution à la crise humanitaire à Gaza dévastée par 15 mois de guerre avec Israël. Abdallah a tenu à exprimer une volonté plus large de travailler avec Trump, en suggérant que le président pourrait être un homme historique et un artisan de la paix. «Avec tous les défis auxquels nous sommes confrontés au Moyen-Orient, je vois enfin quelqu’un qui peut nous mener jusqu’à la ligne d’arrivée pour parvenir à la stabilité, à la paix et à la prospérité pour nous tous dans la région», a- t-il déclaré assis à côté de Trump dans le bureau ovale et d’ajouter: «Il est de notre responsabilité collective au Moyen-Orient de continuer à travailler avec vous et à vous soutenir pour atteindre ces nobles objectifs.»

Toutefois, le roi Abdallah a refusé de répondre lorsqu’on lui a demandé directement s’il voulait que les États-Unis contrôlent la bande de Gaza indiquant qu’il devait attendre que l’Égypte présente son plan.

Lors de la partie publique de sa rencontre avec le roi Abdallah, Trump s’en est tenu à son idée de déplacer deux millions de Palestiniens de Gaza et de transformer la zone en un projet immobilier piloté par les États-Unis bien qu’il ait eu du mal à expliquer comment l’Amérique contrôlerait la zone ou sous quelle autorité, affirmant catégoriquement et à tort que personne ne remettra cela en question.

Trump a également exprimé son optimisme quant au fait que son plan que beaucoup dans la région considèrent comme un nettoyage ethnique apporterait la paix dans une région longtemps en proie à la guerre.

«Cela fonctionnera», a-t-il lancé, promettant que les Palestiniens «vivraient magnifiquement ailleurs».

Le plus important pour le souverain jordanien est que Trump a renoncé la veille à sa menace de suspendre l’aide. «Nous donnons d’ailleurs beaucoup d’argent à la Jordanie et à l’Égypte. C’est beaucoup pour eux deux mais je n’ai pas besoin de menacer, je pense que nous sommes au-dessus de ça», a déclaré le président américain, sans vraiment rassurer définitivement son hôte à propos de ce sujet.

La position agressive de Trump

En même temps, Trump n’a pas renoncé à sa position plus agressive envers le Hamas qu’il a menacé de l’enfer s’il ne restituait pas neuf détenus supplémentaires d’ici samedi comme promis. Cet ultimatum et la rhétorique menaçante de Trump pourraient aider Israël à créer un prétexte pour mettre fin au très fragile cessez-le-feu avec le Hamas.

Malgré la diplomatie prudente et subtile du souverain jordanien à la Maison Blanche, l’engagement indéfectible de Trump envers un plan que les critiques ont décrit comme trompeur et irréaliste menace la stabilité générale du Moyen-Orient et met un certain nombre d’alliés arabes dans une position difficile. La Jordanie, par exemple, a connu des troubles dans le passé et alors que Trump a longuement parlé de sa vision du Moyen-Orient, Abdallah II n’a montré aucune réaction à la presse présente dans la salle. 

Marwan Muasher, ancien ministre jordanien des Affaires étrangères qui a participé aux négociations du traité de paix jordano-israélien de 1994, a déclaré la semaine dernière qu’accepter un grand nombre de Palestiniens était inacceptable pour son pays et constituerait une menace existentielle. «Ce n’est pas une question économique ou de sécurité pour la Jordanie, c’est une question d’identité», a déclaré Muasher.

De nombreux Jordaniens sensibles au sort des Gazaouis craignent qu’accepter le plan de Trump équivaudrait à abandonner la création d’un État palestinien et à renier aux Palestiniens leur droit au retour sur la terre qu’ils ont fuie en 1948 et 1967. Ces questions sont au cœur d’un projet de loi soumis au parlement jordanien la semaine dernière visant à interdire le transfert des Palestiniens dans le royaume. Ce projet de loi qui bénéficiera d’un examen prioritaire affirme dans le texte le rejet officiel et populaire de la Jordanie de tout plan visant à déplacer les Palestiniens vers la Jordanie comme patrie de substitution. Le projet de loi stipule explicitement que la Jordanie est aux Jordaniens et la Palestine est aux Palestiniens.  

Les analystes ont émis l’hypothèse que le roi Abdallah aurait averti Trump de l’impact de ses plans sur la région et sa stabilité mais le président américain depuis son entrée en fonction le mois dernier n’a montré aucune réserve dans la pression qu’il exerce sur ses alliés afin qu’ils acceptent ses conditions. Interrogé dans le Bureau ovale sur l’autorité légale sur laquelle les États-Unis peuvent se baser pour prendre le contrôle de Gaza, le président a répondu du tac au tac: «L’autorité américaine».

Après la fin de l’entretien, le Premier ministre jordanien Jaafar Hassan est intervenu sur CNN et a expliqué que la Jordanie où les réfugiés palestiniens représentent déjà 35% de la population, ne peut se permettre d’en accueillir plus. Il a également déclaré: «On ne peut pas reconstruire Gaza sans les Gazaouis. Nous sommes pour une paix durable, il faut une solution à deux Etats avec les Palestiniens qui restent chez eux»

Au lendemain de la rencontre, mercredi 12 février 2025, la porte-parole de la Maison-Blanche Karoline Leavitt a relayé lors de son point de presse que lors de son entretien avec le président Trump, le roi de Jordanie a indiqué qu’il souhaitait que les Palestiniens restent à Gaza et à œuvrer à y mettre en œuvre des projets de développement.

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