Maghreb | Il est encore temps pour se ressaisir !

Les relations intermaghrébines sont aujourd’hui à leur plus bas niveau. La récente décision de l’Etat marocain d’exiger des visas d’entrée au Maroc à toute personne voulant assister à la CAN 2025 et à la Coupe du Monde de football 2030, coorganisé avec l’Espagne et le Portugal, y compris les ressortissants tunisiens, est un indicateur que le Maroc est soucieux de sa sécurité nationale au-delà de toute autre considération, y compris dans ses relations mutuelles avec ses voisins maghrébins, arabes et africains. 

Raouf Chatty *

Cela confirme, si besoin est, que le Maroc n’accorde aujourd’hui aucune importance au projet d’Union du Maghreb arabe (Uma), d’ailleurs complètement délaissé par les autres protagonistes depuis des décennies et progressivement tombé en désuétude, en raison des désaccords profonds entre l’Algérie et le Maroc sur la question du Sahara occidental. 

Les tentatives déployées par l’Algérie depuis deux ans pour ressusciter autour d’Alger le projet de construction maghrébine, en excluant le Maroc, restent inopérantes. 

Pour certains analystes, ces efforts ne sont guère dépourvus de visées politiques servant strictement les intérêts de l’Algérie, ce qui est de bonne guerre, mais ne fait nullement avancer le projet d’intégration régionale, car cela ne semble pas une urgence pour l’Algérie. 

Dans ce cadre, il faut rappeler que les idées sincères de construction d’une confédération maghrébine, voire d’une entité maghrébine unifiée, avancées par le nationalistes maghrébins dans les années 1940/ 1955 précédant l’indépendance des États maghrébins et ressuscitées en 1988 avec l’institution de l’Union Maghreb Arabe (UMA) sont tout simplement restés en l’état face à des réalités géopolitiques complexes favorisant le sentiment d’appartenance nationale aux dépens de toute velléité unificatrice régionale.

Un projet abandonné à mi-chemin

Les crises politiques nées des divisions, divergences et oppositions d’intérêts entre pays maghrébins ainsi que de leurs alliances stratégiques se sont conjuguées ces dernières décennies avec des ingérences extérieures pour défavoriser tout projet d’unification du Grand Maghreb.

Pis, depuis des années, une ambiance de tensions, de ressentiments et de compétition avait envahi les peuples de la région contribuant à créer chez eux une profonde désaffection pour ce grand projet Maghrébin.

Cette ambiance malsaine est alimentée par des campagnes médiatiques conjoncturelles opposant de part et d’autre deux importants protagonistes à savoir l’Algérie et le Maroc, chacun des deux se renvoyant la responsabilité de l’escalade et de l’échec du projet d’intégration régional et impactant ainsi négativement les relations inter maghrébines.

Pis, des courants de haine sans précédent envahissent de plus en plus les réseaux sociaux, vantant le nationalisme dans les pays maghrébins et empêchant tout rapprochement constructif entre eux.

Quant aux détracteurs étrangers du projet maghrébin, ils sont aujourd’hui rassurés pour les prochaines décennies. Ils savent maintenant que les motifs de division entre les pays de la région sont tellement forts que tout projet d’unification maghrébine sous quelque forme que ce soit, juridique ou politique ne pourrait voir le jour du moins à moyen terme.

Le nœud du problème demeure bien entendu, des années 1970 jusqu’à ce jour le conflit crucial opposant l’Algérie au Maroc sur le statut du territoire du Sahara occidental, depuis sa décolonisation par l’Espagne en 1975. 

L’Algérie soutient avec force l’indépendance du Sahara occidental alors que le Maroc proclame haut et fort sa souveraineté totale sur ce territoire, considérant qu’il fait partie intégrante du Royaume Chérifien. 

Cette affaire a été déclenchée par le président algérien Houari Boumediene et portée par sa propre volonté au sommet des priorités politiques et stratégiques de l’Algérie et ce pour des motifs historiques induits par le combat héroïque de l’Algérie pour son indépendance, également pour des motifs de puissance et de politique étrangère.     

En effet, forte de son histoire anticoloniale et de l’abondance de ses richesses naturelles, l’Algérie nourrissait depuis l’époque Boumediene l’ambition d’être la locomotive politique et économique exclusive au Maghreb. Elle mettait à profit sa lutte pour la libération nationale, avec près d’un million de martyrs, pour s’auto-proclamer porte-voix des mouvements de libération nationale à travers le continent africain et de par le monde. 

Pour plusieurs analystes politiques, cette politique était chère au président Boumediene. Mais, sous couvert du droit inaliénable des peuples à l’autodétermination, elle trahissait des velléités hégémoniques de l’Algérie sur ses voisins.

Pour ces derniers, cette politique de Boumediene, voulant que l’Algérie soit le pivot et le cœur  battant au Maghreb, a été poursuivie par tous ses successeurs, a coûtant cher à l’Algérie  et à toute la région dans tous les domaines. 

Sur le plan politique, force est de relever que ce choix a contribué, depuis l’ère Boumediene jusqu’à ce jour à l’instabilité politique dans la région maghrébine. Il a aussi contribué à l’émergence des questions sécuritaires, éveillant des ingérences extérieures, faisant monter en flèche les dépenses militaires, réduisant d’autant les budgets consacrés au développement durable et induisant des changements des alliances politiques extérieures.  

C’est également cette politique qui semble avoir poussé le Maroc à établir des relations diplomatiques avec Israël par souci de réunir le maximum de soutien des puissances occidentales amies d’Israël, du puissant lobby juif aux États-Unis d’Amérique et autres pays à la question de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental…

Le loup israélien dans la bergerie maghrébine

Résultat : Israël est désormais présent avec force au Maroc dans les domaines économiques et militaires. Cette position est difficile à faire accepter longtemps par les Marocains qui, comme la plupart des Arabes, sont attachés à la cause palestinienne.

L’Algérie est consciente de la gravité de cette situation. Elle l’avait dénoncée franchement en raison de son impact grave sur ses frontières et sa sécurité globale. Elle y pare comme elle peut, en consacrant un budget conséquent aux dépenses militaires, ce qui la prive de fonds devant être alloués au développement économique et social. 

Sur le plan économique, le non Maghreb coûte à l’économie maghrébine, selon la plupart des experts, deux points de croissance chaque année.

Sur le plan diplomatique, la politique de l’Algérie n’a pas manqué de créer des tensions vives avec la France. L’appui officiel manifesté par le gouvernement français à la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental a contribué à la dégradation des relations entre Alger et Paris, qui n’ont d’ailleurs jamais été bonnes.

Sur le plan militaire, c’est cette politique qui a favorisé la course aux armements en Algérie et Maroc, les deux pays dépensant ainsi des milliards de dollars pour l’achat d’armes sophistiquées… dont ils n’auront probablement pas à se servir.

Sur le plan humain, on assiste malheureusement à la prolifération de ressentiments, de méfiance, voire de la haine entre les peuples maghrébins.

Ce phénomène qui s’accentue de plus en plus sape tout désir de rapprochement et de construction du Maghreb. 

Bref, aussi longtemps que le Maghreb n’arrête pas de cultiver cet état d’esprit isolationniste qui le ronge et s’entête à poursuivre dans cette voie, fuyant ses responsabilités historiques, notre région sera davantage un butin facile pour les grandes puissances alors qu’elle dispose de ressources immenses, intellectuelles comme matérielles, pour changer de logiciel de réflexion et se consacrer au développement durable. 

* Ancien ambassadeur.  

.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!