La politique étrangère des États-Unis, entre rupture et continuité

Jamais la politique étrangère des États-Unis n’a suscité autant de controverses, de critiques et d’incompréhensions que durant les mandats du président républicain Donald Trump. Même les alliés les plus solides des États-Unis se sont retrouvés déconcertés par les décisions parfois belliqueuses et imprévisibles de son administration. Du rapprochement avec la Corée du Nord, aux gestes d’amitié envers la Russie sur le dossier ukrainien – en rupture avec les positions de l’Otan – jusqu’aux mesures de rétorsion contre certains partenaires commerciaux historiques, la politique étrangère américaine semble osciller entre rupture et continuité.

Noureddine Horchani *

Au  milieu de cette confusion et face à l’imprévisible, notre article se propose de déceler un fil conducteur permettant de trouver de la cohérence entre des décisions de politique étrangère, en apparence contradictoires. Nous explorerons les fondements philosophiques, politiques et juridiques de la politique étrangère américaine afin de déterminer si les transformations apparentes traduisent un véritable changement de cap, ou simplement une adaptation conjoncturelle des mêmes principes stratégiques.

I. Les fondements philosophiques et politiques : entre le constant et le variable

En principe, la politique étrangère américaine ne devrait pas être soumise aux aléas électoraux. Les grandes puissances définissent leurs orientations stratégiques sur le long terme.

Toutefois, la personnalité du président et les circonstances historiques peuvent influencer la mise en œuvre de cette politique sans en modifier profondément les fondements.

1- Le multilatéralisme, pilier pragmatique de la diplomatie américaine

Historiquement, les États-Unis ont toujours oscillé entre isolationnisme et multilatéralisme.

Si le discours isolationniste a souvent servi d’argument populiste, il a rarement résisté à la réalité des interdépendances internationales. Depuis George Washington jusqu’à Woodrow Wilson, l’Amérique a tenté de se tenir à l’écart des conflits européens avant de s’y engager par nécessité. Le wilsonisme, avec ses quatorze points, érigea la coopération multilatérale en principe doctrinal. Aujourd’hui encore, le slogan «America First» ne saurait masquer l’implication constante des États-Unis dans les affaires mondiales.

En fait, la politique étrangère américaine, oscillait en permanence, depuis le 5e président James Monroe en 1823, un chantre de l’isolationnisme, entre le repli isolationniste de façade et l’implication dans la coopération multilatérale. 

Les prises de positions isolationnistes adoptées aujourd’hui en général par les administrations républicaines de la Maison blanche ne s’élèvent pas au rang de politiques ou de stratégies mais  constituent des parenthèses vite refermées.

Le retrait américain de l’Unesco en soutien à Israël ou son retrait du traité de Paris sur le climat ont été annulés aussitôt les démocrates revenus au pouvoir.

En fait les présidents américains qui ont le plus prêché l’isolationnisme par populisme ont été les plus interventionnistes.

2. Entre illusion isolationniste et fatalité interventionniste

Les tensions entre unilatéralisme et multilatéralisme traversent toute l’histoire américaine.

Même lorsque certaines administrations républicaines affichent une hostilité envers les organisations internationales comme l’Onu, l’OMS ou l’Unesco, il ne s’agit souvent que de stratégies de pression visant à imposer la ligne américaine.

En réalité, le multilatéralisme demeure la règle, l’unilatéralisme n’étant qu’une exception opportuniste. Comme le soutient si bien Bertrand Badie : «Le multilatéralisme constitue, pour le puissant aussi, la seule stratégie sensée dans un monde interdépendant».

3. Le conflit israélo-palestinien : entre réalisme et légalité internationale

Le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël constitue une constante stratégique.

Cependant, la guerre à Gaza et la réaction mondiale qui s’en est suivie ont amorcé une inflexion perceptible dans l’opinion publique américaine, y compris au sein du Parti démocrate.

Ce changement progressif pourrait, à terme, ouvrir la voie à une approche plus équilibrée de la politique américaine au Proche-Orient.

Attachée au réalisme nonobstant la couleur politique de ses artisans, la politique étrangère des États Unis ne saurait à terme ignorer l’émergence d’un mouvement universel pro palestinien qui nous rappelle mais en plus grande dimension, le mouvement de la jeunesse révoltée porteuse de nouvelles valeurs des sixtes dans le monde et de Mai 68 en France.

II. Le containment, une stratégie réaliste à toute épreuve

La stratégie du containment ou endiguement est  un autre fondement sur lequel repose la politique étrangère US. Elle a été conceptualisée par George Kennan puis théorisée par Kenneth Waltz.

Le containment est défini comme l’ensemble de mesures à caractère politique économique, culturelle et militaires, le cas échéant par pays interposés, appliquées à l’encontre d’une puissance hostile. Ce principe vise à contenir l’expansion d’une puissance rivale tout en maintenant l’équilibre des forces. Elle a guidé la politique étrangère américaine durant la guerre froide et continue d’influencer ses rapports avec la Russie et la Chine. Le succès du containment dans la chute de l’URSS illustre la pertinence durable de cette approche pragmatique. Mais le succès des stratégies américaines de politique étrangère n’auraient jamais pu se réaliser sans un socle juridique et constitutionnel les encadrant scrupuleusement.

III. Les fondements constitutionnels et institutionnels de la politique étrangère américaine

La Constitution américaine répartit les compétences en matière de politique étrangère entre le président et le Congrès, selon le principe du check and balance. Le Congrès dispose du pouvoir de déclarer la guerre, de ratifier les traités et de contrôler le budget, tandis que le président conduit la diplomatie au quotidien. En pratique, les circonstances exceptionnelles – guerres, crises internationales, attaques terroristes – ont souvent renforcé l’autorité de l’exécutif au détriment du législatif.

Les élites politiques américaines ont admis depuis des décennies, un relatif dépassement de  l’esprit constitutionnel équilibriste et accordent dans certaines circonstances, au président ,confronté à l’urgence de l’actualité, une liberté de manœuvre qui ne tranche qu’en apparence avec l’orthodoxie constitutionnelle.

Pourtant  malgré la montée en puissance de la personnalité du président Trump, à tout moment le Congres peut récupérer son leadership sur la politique étrangère en mobilisant les mécanismes constitutionnels que lui offre le texte constitutionnel et la pratique notamment le contrôle de l’allocation du budget fédéral.

Aujourd’hui encore le Sénat refuse de valider le budget 2026 proposé par l’exécutif à quelques jours de la fin de l’échéance de validation provoquant un shutdown (paralysie de l’administration fédérale privée de fonds financiers) que seuls les citoyens américains comprennent.

Conclusion

L’analyse de la politique étrangère américaine montre que, malgré les discours populistes et les ruptures apparentes, ses fondements demeurent remarquablement stables. Le réalisme, plus que l’idéalisme, guide l’action des États-Unis. L’alternance entre démocrates et républicains modifie les styles, non les principes. Dans un monde interdépendant, le multilatéralisme reste un passage obligé, même pour la première puissance mondiale. Ainsi, la politique étrangère américaine oscille entre la recherche d’efficacité stratégique et la volonté de préserver son leadership global – une continuité sous des apparences de rupture.

Paradoxalement la gestion atypique  de la politique étrangère par l’administration Trump, aussi chaotique et imprévisible soit elle, reposant sur la force brute, arrive à débloquer des situations complexes  comme on l’a vu avec le plan Trump à propos du dossier de Gaza.

Ces «succès» tranchent avec l’inertie , les échecs et la stérilité des prédécesseurs du président Trump même si on est bien loin avec le plan Trump de tenir compte des droits inaliénables des palestiniens du fait que  l’alignement à l’entité sioniste demeure une donnée stratégique.

Assistons nous aujourd’hui  au triomphe de la philosophie du chaos «productif» chère aux néoconservateurs au pouvoir aujourd’hui aux USA et qui se démarque des politiques conformistes, conventionnelles et plus prévisibles qui ont caractérisé les précédentes administrations américaines  ?

* Enseignant universitaire en science politique. Ancien cadre de banque.

Références bibliographiques :

1. Waltz, Kenneth. Man, the State, and War: A Theoretical Analysis. 2001 edition,

New York, Columbia University Press.

2. Badie, Bertrand. L’impuissance de la puissance: essai sur les nouvelles relations

internationales. CERI – Centre de recherches internationales.

3. Parmentier, Guillaume. “Politique étrangère et politique intérieure aux Etats-Unis : Revue Politique Étrangère.

4.Gilles Vandal: Rev: Perspective Monde ‘ “La politique du chaos du président Trump”.

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