A Charm El-Cheikh, la Palestine réduite à une carte postale égyptienne

Le 13 octobre 2025, les dirigeants du monde se sont réunis à Charm El-Cheikh, au bord de la mer Rouge, pour parler de paix à Gaza. Autour de la table : Abdel Fattah Al-Sissi, Donald Trump et une vingtaine de chefs d’État venus d’Europe, du Golfe et d’Afrique du Nord. Le décor était parfait : drapeaux, caméras, formules calibrées. Mais derrière la mise en scène, un vide régnait. Les corps étaient là, l’esprit non. La diplomatie parlait encore, mais le sens avait quitté la salle. Et les mots flottaient comme des drapeaux sans vent. 

Manel Albouchi *

Donald Trump a déclaré : «La phase deux a déjà commencé… Gaza, c’est un nettoyage à faire.»  Des mots d’entrepreneur, pas de bâtisseur d’humanité. Il parlait en mètres carrés, en contrats, en «reconstruction rentable».

Ce sommet, prétendument pour la paix, sonnait comme une transaction immobilière sur les ruines d’un peuple. Et les représentants paraissaient lourds de pouvoir, mais légers de sens. Ils incarnent la matière : l’économie, les intérêts, les chiffres sans plus porter d’idéal. Ils n’ont plus le poids des pères fondateurs, ni la parole : seulement la posture de gestionnaires du visible. Comme si leur gravité vient de la matière, non de la conscience. Comme un Moi hypertrophié, sûr de ses moyens, mais vidé de son âme. 

Les absents, eux, pesaient autrement : le peuple palestinien n’a eu aucune voix (celle de Mahmoud Abbas, présent, compte pour des prunes), Netanyahu s’est retiré, le Hamas et l’Iran n’ont pas droit de cité. Mais l’absence la plus lourde était celle des mères de Gaza; celles qui dorment entre les décombres, respirent la poussière des écoles détruites et bercent encore des enfants qu’elles n’ont plus. Leur douleur ne figure dans aucune déclaration finale. Elle brûle sous la cendre diplomatique, comme une braise sous la peau du monde. Et sous cette cendre, il y a aussi les souffles à venir : les enfants qui ne sont pas encore nés, ceux dont le monde prépare déjà le certificat de martyr avant même leur naissance. 

Au même moment à Téhéran 

Pendant que les puissants jouaient la gravité à Charm El-Cheikh, un autre sommet, plus discret, se tenait à Téhéran : la 8ᵉ Conférence internationale de solidarité avec les enfants palestiniens, organisée à l’occasion de la commémoration de l’assassinat de Muhammad al-Durrah, tué avec son fils, le 30 septembre 2000, à Gaza, par l’armée israélienne, lors d’un échange de tirs. 

Plus de cent participants venus de trente-deux pays d’Asie, d’Afrique, d’Europe et du monde arabe s’y sont rassemblés non pour négocier, mais pour penser et pleurer ensemble. Pas de tapis rouge, pas de promesses de milliards : seulement des visages marqués par la réalité. 

À Charm El-Cheikh, on parlait de bâtir des murs, on comptait des budgets de reconstruction.  À Téhéran, on comptait les cicatrices, on tentait encore de recoudre la peau du monde. Deux conférences, deux humanités : l’une dans la lumière artificielle des caméras, l’autre dans la clarté silencieuse de la conscience meurtrie. 

Freud parlait du trauma comme d’une effraction du pare-excitation. Aujourd’hui, c’est la peau du monde qui a cédé. Les guerres sont ses inflammations : elles surgissent quand le lien humain ne tient plus. 

Le sommet de Charm El-Cheikh n’a pas réparé cette peau; il a seulement posé un pansement diplomatique sur une brûlure encore vive. 

Pour Didier Anzieu, penser, c’est peau-tenir : tant que le monde n’aura pas retrouvé sa fonction symbolique, il continuera de se gratter jusqu’au sang. 

Le regard qui ne voit plus 

Tout se joue dans le regard : celui des puissants, des médias, des peuples, des algorithmes…  

À Charm El-Cheikh, les dirigeants regardaient la paix comme un objet à négocier, non comme une blessure à penser et à panser. 

La politique, autrefois espace de vision, est devenue un espace de gestion. Et dans ce glissement, la parole a perdu son poids symbolique : elle flotte, sans ancrage, comme un regard vide sur un monde épuisé.  

Et la paix dans tout cela ? 

Gaza n’est pas une géographie, c’est une peau blessée de l’humanité. Les représentants du monde se sont réunis pour la soigner, mais ils n’ont apporté ni souffle ni regard. Leurs mots ont du poids dans les bilans, mais aucune gravité dans la conscience. 

La paix ne viendra pas de ceux qui possèdent, mais de ceux qui ressentent. Elle ne se signe pas. Elle se respire. 

* Psychothérapeute, psychanalyste.

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