Le pédiatre, les parents et l’annonce de mauvaises nouvelles

Cette tribune, fruit d’une expérience de 35 ans d’exercice en pédiatrie, traite de la relation pédiatres-parents et de l’annonce de mauvaises nouvelles. De nombreux praticiens trouvent cette interaction stressante et, faute de formation adéquate, peuvent adopter des méthodes inappropriées pour annoncer les mauvaises nouvelles et gérer les conséquences émotionnelles.

Dr Salem Sahli *

Dans la communication quotidienne, les mots peuvent être prononcés et entendus différemment. Un même message peut être compris de manière différente selon son contenu, la façon dont il est envoyé par l’émetteur et reçu par le récepteur.

Toutefois, lors de la conversation entre les pédiatres et les parents et enfants qui se confient à eux, la communication doit être sans ambiguïté. Elle doit informer factuellement tout en créant un espace pour la compréhension émotionnelle et les décisions prises conjointement. Et ceci à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’annoncer une mauvaise nouvelle.

Pendant longtemps, l’idée de tenir à l’écart les malades et leurs proches des nouvelles médicales accablantes «afin de les protéger» a été la règle. Elle a, par exemple, été intégrée au code de déontologie de l’American Medical Association en 1847. Ce n’est qu’au milieu du siècle dernier que cette perspective a changé. Actuellement, l’on ne discute plus du fait d’inclure les malades et leurs proches dans la discussion, mais de la manière de le faire.

Les médecins sont très peu ou pas du tout formés à affronter ce type de situation, ils tâtonnent, improvisent et font de leur mieux lorsqu’il s’agit de communiquer une mauvaise information médicale aux parents et à leurs enfants malades. Cette communication est parfois adéquate, mais elle peut être inappropriée et sera donc perçue de façon négative. Le fait qu’il y ait peu d’espoirs de guérison, que la vie du malade soit en jeu ou que les projets d’avenir soient menacés, a une influence majeure sur les personnes qui donnent et celles qui reçoivent l’information. Néanmoins, même ces nouvelles doivent être annoncées, et il semble indispensable de s’entendre sur le cadre. Car, en effet, des cadres existent et méritent d’être connus des médecins et du personnel médical. Ils proposent des méthodes et des comportements dont ils peuvent s’inspirer en les adaptant et en les considérant comme outils d’aides à la décision.  

Le modèle Spykes

Le modèle le plus évalué et le plus approprié pour la communication de mauvaises nouvelles médicales est celui que l’on désigne sous l’acronyme de Spikes. Il a été initialement développé pour le domaine de la cancérologie, mais il est aussi adapté à d’autres situations.

L’encadré ci-dessous illustre les différentes étapes de Spikes et présente des instructions d’action pour l’entretien avec les parents et l’enfant malade.

  1. Setting (cadre) : Le médecin doit brièvement réfléchir à sa tâche, parler aux parents et à l’enfant sur un pied d’égalité et exclure les interruptions.
  2. Perception : Initialement, le médecin doit évaluer la vision des parents et de l’enfant ; une écoute active et un niveau de langage adéquat sont importants.
  3. Invitation : Avant de donner de nouvelles informations, il convient de demander ce que les parents et l’enfant souhaitent savoir immédiatement ou plus tard (droit de ne pas savoir).
  4. Knowledge (connaissance) : Les nouvelles informations doivent être données de manière claire et sans jargon, et la compréhension doit être vérifiée.
  5. Empathy (empathie) : Un comportement empathique, reflétant les sentiments, les intérêts et les besoins, est une condition préalable au succès de l’entretien.
  6. Summary (synthèse) : Une stratégie de traitement commune nécessite la conciliation des idées et des informations ainsi qu’une clarification conjointe.

Le cas de Selim atteint d’une maladie chronique

Après la confirmation du diagnostic de diabète de type 1, l’annonce du diagnostic et la planification du traitement doivent suivre. L’entretien est planifié en présence de l’enfant, avec ses parents. La diabétologue pédiatrique arrive dans le service à l’heure convenue et a prévu suffisamment de temps et de calme (setting).

Le message central comprend le diagnostic d’une maladie chronique, incurable et modifiant le quotidien, mais qui est bien traitable grâce à une insulinothérapie à vie. L’interrogation sur les connaissances préalables sur la maladie est utile pour évaluer le niveau de détail et de technicité requis (perception, invitation).

Pour Selim, le «diabète» est totalement nouveau, et il demande si c’est contagieux. Les parents n’ont également aucune connaissance préalable. Les termes médicaux spécialisés doivent être utilisés avec parcimonie et un espace doit être laissé pour les questions (knowledge).

Selim est également encouragé à participer de plus en plus aux interventions médicales afin de renforcer son sentiment d’auto-efficacité (empathy) ; il se sent ainsi interpellé et peut lui-même faire quelque chose – avec une fierté visible.

Les parents ont déjà une vision à long terme : gestion future du quotidien, pronostic, guérison, conséquences à long terme… Pour une discussion plus ciblée, les procédures de traitement sont expliquées, les personnes-ressources sont nommées, les premières informations écrites sont remises, et un entretien de suivi est convenu uniquement avec les parents pour ne pas surcharger Selim (summary).

Conclusions pratiques

– La culture de communication de l’entretien médical est un facteur décisif dans l’évaluation d’une information médicale.

– Des conditions spatiales et situationnelles adéquates garantissent une conversation sans perturbation avec les professionnels de santé principalement responsables du traitement.

– Les informations factuelles se connectent aux connaissances préalables des parents et de l’enfant ; elles doivent également permettre une compréhension émotionnelle.

– Il est plus bénéfique d’impliquer les parents et l’enfant dans les décisions médicales que de leur transmettre ponctuellement des informations toutes faites.

– Il est nécessaire d’intégrer l’enseignement des compétences en communication appropriées dans la formation initiale et continue des professionnels de la santé.

* Pédiatre.

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