Migration : le Nord néo-libéral dresse les victimes les unes contre les autres

A propos des campagnes racistes contre les migrants au Sud comme au Nord : devoir de solidarité entre les victimes des politiques néolibérales qui soufflent sur les braises de la xénophobie.

Mohamed Chérif Ferjani *

Partout, au Nord, comme au Sud et à l’Est, les migrants sont la cible de campagnes de haine raciste les accusant d’être à l’origine de tous les maux de la société : violences, vols, trafics de toutes sortes, prostitution, insécurité, etc.

Les tenants  de la théorie xénophobe du «Grand remplacement» y voient les instruments d’un complot visant à submerger les sociétés des pays par lesquelles passent les migrants, ou cherchent à s’y installer, pour en changer l’identité, la culture et l’ordre social et politique.

On s’obstine à refuser de voir les raisons pour lesquelles ils se sont arrachés à leur pays, et aux leurs, pour risquer leur vie en traversant des déserts hostiles, la mer sur des embarcations de fortune, des frontières et des pays où ils s’exposent à toutes les formes d’humiliation et de persécution, en livrant leur sort à des trafiquants sans scrupules qui leur prennent leurs économies pour les livrer à d’autres trafiquants encore plus cupides et moins soucieux de leur sort.

Ceux qui les persécutent et les pourchassent se recrutent parmi les victimes du même ordre néolibéral imposant partout des politiques agressives détruisant les systèmes de solidarités traditionnelles et les solidarités fondées sur les droits économiques, sociaux, politiques et culturels arrachés par les luttes de plusieurs générations depuis des décennies, voire des siècles.

Les lois impitoyables de l’économie de marché

Très rares sont ceux qui réalisent les catastrophes qui les poussent à partir de chez eux : calamités naturelles aggravées par la destruction des écosystèmes naturels et de l’environnement, conflits ethniques, tribaux, confessionnels, guerres entre des pays auxquels le même système néolibéral a imposé des politiques de «réajustement structurel», de «vérité des prix», de «libre circulation des capitaux et des marchandises», aggravant les inégalités au sein de toutes les sociétés et entre les pays, au profit d’une minorité de nantis accaparant l’essentiel des richesses de la planète.

Selon le rapport de l’observatoire des inégalités publié le 18 septembre 2020, la part du patrimoine mondial que possède le 1% le plus fortuné est passée de 41,7% en 2008 à 45% en 2019.

Les migrants des pays du Sud et de l’Est, comme les chômeurs, les sans toits ni droits dans les pays du Nord et partout dans le monde, sont les victimes de ce système fondé sur les lois implacables et impitoyables d’une économie de marché visant à réaliser les plus gros profits, dans les plus brefs délais, aux moindres coûts et au détriment de la majorité écrasante et écrasée des humains réduits au statut d’auxiliaires facultatifs de ce système.

En quittant les pays du Sud et de l’Est pour rejoindre les pays où s’accumulent, par le biais de l’échange inégal fondé sur la libre circulation des capitaux et des marchandises, les migrants ne font  que suivre le mouvement des richesses pillées de leurs pays. Ils reproduisent ce que les humains ont fait de tout temps : quitter les endroits où ils ne peuvent plus vivre comme avant – en raison de catastrophes naturelles, des guerres ou de politiques comme celles qu’imposaient hier la colonisation et qu’imposent aujourd’hui le néolibéralisme – pour aller là où ils espèrent mieux vivre : Quoi de plus légitime? Au nom de quelle morale voudrait-on le leur interdire ? N’est-ce pas là un droit fondamental à la base de la liberté de circulation dont on veut priver les humains en la réservant aux capitaux, aux marchandises, aux ressortissants des pays nantis et en ne l’accordant qu’à ceux dont les compétences sont nécessaires à la croissance de l’ordre économique dominant?

Les victimes dressés les unes contre les autres

En demandant à des pays du Sud et de l’Est – comme le Rwanda, la Tunisie, l’Egypte, la Turquie, la Roumanie, etc. – de jouer le rôle de garde frontières de l’Italie et de l’Europe, et en soufflant sur les braises de la xénophobie sur laquelle surfent les différentes expressions de la révolution conservatrice au Nord, comme au Sud et à l’Est, le système néolibéral adopté par les grandes puissances et imposé à tous les pays, cherche à dresser ses victimes les unes contre les autres pour perpétuer son règne. Il veut ainsi les empêcher de s’unir contre lui.

En succombant aux sirènes de la xénophobie, en se livrant à pourchasser et à persécuter les migrants, comme on le voit dans certains pays soumis aux mêmes politiques poussant leurs jeunes et leurs forces vives à l’exil, et en s’attaquant aux militants et aux organisations de défense des droits humains qui dénoncent le sort réservé aux étrangers indésirables, on devient les auxiliaires des politiques néolibérales dont les victimes se sont pas seulement les migrants accusés de tous les malheurs des sociétés soumises à ces politiques.

Les victimes du système néolibéral, du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, n’ont aucun intérêt à s’opposer les unes aux autres en se laissant manipuler par les maîtres de ce système aidés par les idéologies xénophobes des différentes expressions de la révolution conservatrice. Elles doivent être solidaires entre elles, et avec les migrants, et unir leurs luttes contre le système néolibéral à l’origine de leurs malheurs.

* Professeur honoraire à l’Université Lyon 2, président du Haut conseil de Timbuktu University.

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