Pendant longtemps, Israël et surtout le Likoud dirigé par Benjamin Netanyahu ont caressé le rêve de faire tomber le régime théocratique de la République islamique d’Iran. Par l’ampleur de la guerre israélienne, par son agressivité et par le large soutien occidental dont l’Etat hébreu bénéficie, renverser le régime n’est plus aujourd’hui un rêve mais un objectif stratégique.
Imed Bahri
Ce n’est plus cet objectif qui est sujet à discussion mais sa faisabilité et surtout ce qui remplacera le régime des mollahs. La chute du régime conduit par l’ayatollah Ali Khameneï peut déboucher sur davantage d’instabilité régionale voire vers un cauchemar, mais cela n’inquiète guère les apprentis sorciers qui veulent redessiner le Moyen-Orient. Les pulsions bellicistes ayant largement pris le dessus dans un monde devenu fou.
Dans une analyse publiée par le journal israélien Haaretz, l’éditorialiste spécialiste du Moyen-Orient Zvi Bar’el a rappelé qu’au cours de l’année écoulée, Netanyahu s’est adressé à plusieurs reprises aux citoyens iraniens, les appelant à renverser le régime et à se libérer du joug d’une dictature sanguinaire, ajoutant que le régime a dépensé des milliards de dollars pour ses milices au Moyen-Orient, une somme qui aurait pu être investie dans l’amélioration des services de transport, selon ses dires. Netanyahu a utilisé le slogan du mouvement pour les droits des femmes créé en 2022, Femmes, Vie, Dignité, espérant susciter la sympathie et l’adhésion des Iraniens.
Reza Pahlavi se rappelle au souvenir des Iraniens
Le fils du dernier Shah, Reza Pahlavi, souhaite qu’Israël renverse le régime. Dans une vidéo publiée sur X en début de semaine, il a déclaré: «La République islamique touche à sa fin. Nous sommes prêts pour les cent premiers jours après la chute, pour la période de transition et pour l’établissement d’un gouvernement national et démocratique par le peuple iranien et pour le peuple iranien».
Le fils du dernier chah affirme à qui veut l’entendre qu’il existe en Iran de nombreuses forces et mouvements puissants prêts à œuvrer pour renverser le régime.
Bar’el cite en exemple les vestiges du Mouvement vert né en 2009 et dirigé par Mehdi Karroubi et son ami Mir Hossein Mousavi, candidat malheureux à l’époque face à Mahmoud Ahmedinajad, cherchent à renverser Khameneï et l’appareil dictatorial et répressif du régime.
Les Moudjahidine du peuple (MEK), l’opposition armée au régime, attendent leur heure à l’étranger. Cette opposition a aidé Khomeiny à instaurer la Révolution islamique et a persécuté, voire tué, ses opposants mais elle a été expulsée sur ordre de Khomeiny qui la considérait comme une entité susceptible de le mettre en danger. Il n’avait pas tort. Cette organisation, qui, selon des rapports étrangers, soutient depuis des années Israël dans ses activités contre l’Iran, aspire à faire partie du nouveau régime qui émergera en Iran et à mettre en œuvre un certain nombre de principes spécifiquement incompatibles avec la démocratie occidentale.
Les réformistes se bousculent au portillon
L’Occident est bien conscient que le concept vague de «réformistes» sert de cadre général à tous ceux qui aspirent au changement en Iran. Moussavi est un réformateur, peut-être même un symbole de tous les réformateurs, mais il a tenu à montrer clairement qu’il ne soutient pas la démocratie à l’occidentale et s’oppose à l’ingérence étrangère dans les affaires de l’État. Hassan Rohani, l’ancien président iranien, est également un réformateur. Il a signé l’accord nucléaire de 2015 et soutenu le dialogue avec l’Occident mais s’est opposé à la modification des fondements du régime fondés sur la charia et les interprétations cléricales.
Certains dignitaires religieux se revendiquent même réformistes. L’un d’eux est le président Mohammad Khatamib qui a gelé le programme nucléaire iranien à la veille de la Seconde Guerre du Golfe avant de le relancer lorsque le président américain George W. Bush n’a pas répondu à sa proposition de négociations sur le nucléaire.
Parmi les réformistes susceptibles de constituer l’épine dorsale d’un changement de régime figurent des intellectuels, des étudiants et des organisations de défense des droits humains qui ont participé à de grandes manifestations comme celle du Mouvement vert ou celles de 2019 et 2022, des événements clés qui, à chaque fois, ont produit des prédictions avérées et confirmées selon lesquelles le régime était au bord de l’effondrement.
Cependant, face à tous ces prétendants se dressent des forces puissantes, armées et violentes ne connaissant aucune limite comme le Corps des gardiens de la révolution iranienne, la police «civile» et les Bassij qui sont des centaines de milliers (certains disent des millions) de volontaires que l’on a souvent vus dans les rues manifester agitant les mains et scandant «Mort à l’Amérique, mort à Israël». Ce sont eux qui dispersent les manifestations et brisent les grèves. Ils sont envoyés dans la population dès que le régime se sent menacé.
La structure du régime se compose de mouvements, de forces et d’organisations qui ont acquis une influence et une richesse considérables et qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir leur influence et leurs privilèges. Parmi eux figurent de hauts dignitaires religieux et des membres des conseils et comités qui approuvent les candidats aux élections législatives et présidentielles ainsi que ceux qui éliront le prochain Guide suprême de l’Iran. Il s’agit d’un mécanisme bureaucratique à plusieurs niveaux qui contrôle tous les pouvoirs du gouvernement, construit autour d’une «brique démocratique» où le peuple élit le président, les députés et les institutions municipales. Cependant, chaque élection est soumise à un contrôle strict et à une supervision constante du Guide suprême. À côté de cette brique se trouvent les institutions dont les dignitaires sont désignées –l’armée, les Gardiens de la révolution, la police, le pouvoir judiciaire et les ministres– dont l’approbation est soumise au Parlement élu mais dont les directives sont dictées par le Guide suprême.
L’assassinat de Khameneï ne garantit pas l’effondrement de ces puissants systèmes, il pourrait plutôt conduire à une guerre de succession caractérisée par une répression encore plus destructrice.
Les atouts d’un régime bien implanté dans le pays
Il est difficile, voire improbable, de prédire quand une révolution civile éclatera dans un pays même en présence de signes clairs indiquant cette possibilité. Aucune agence de renseignement ne savait quand l’Union soviétique s’effondrerait et aucun organisme d’analyse ne pouvait nous dire quand les Printemps arabes allaient se produire ni prédire la chute du régime d’Assad comme ce fut le cas.
Ce ne sont là que quelques exemples mais ils suffisent à comprendre que l’espoir d’un renversement du régime iranien repose désormais sur un vœu pieux, ancré dans des images et des métaphores émanant de ce pays. Il convient de noter dans ce contexte que l’Iran a déjà connu une guerre existentielle de huit ans avec l’Irak et est soumis à un régime de sanctions sévères. Jusque-là, la République islamique a survécu malgré les sanctions, a même développé des technologies de pointe et des armes modernes et continue de vendre du pétrole et d’autres produits.
Netanyahu a expliqué aux Iraniens et au monde dans le récit qu’il essaye de vendre que «la réalité au Moyen-Orient est le résultat d’une riposte en cascade, une riposte aux coups subis par le Hamas, à l’effondrement du Hezbollah et à l’élimination de Hassan Nasrallah.»
La «civilisation» israélienne contre la «barbarie» iranienne !
«Nous avons dirigé ces coups contre l’axe du mal. Tandis que l’Iran cherche à occuper d’autres pays et à imposer une dictature fondamentaliste, Israël cherche à se défendre, mais ce faisant, nous défendons la civilisation contre la barbarie».
Ces allégations messianiques, que des dirigeants occidentaux plus ou moins censés ont semblé gober sans difficulté, laissant leur raison critique dormir profondément, ne garantissent toutefois pas que le renversement du régime iranien soit possible de la même manière que celui d’Assad en Syrie ou du Hezbollah au Liban.
Il convient de noter que Netanyahu ne s’est pas précipité pour soutenir Ahmed Al-Charaa, le président syrien qui a renversé Assad, ni pour tendre la main au gouvernement libanais après l’élimination de Hassan Nasrallah.
Les États-Unis croyaient que les Irakiens déborderaient de joie après le renversement de Saddam Hussein et que la démocratie serait célébrée dans les rues de Bagdad. Le résultat est bien connu. Avant la guerre en Irak, d’éminentes figures de l’opposition irakienne installées à Londres et à Paris promettaient aux États-Unis une victoire absolue sur le dictateur sanguinaire et un triomphe des valeurs démocratiques occidentales.
Une guerre contre l’Iran pour protéger Israël est une tâche monumentale en soi et ne doit pas nécessairement s’accompagner d’une mission sacrée telle que la défense de la civilisation. Éliminer Khameneï ou d’autres hauts dirigeants iraniens ne garantit pas un meilleur résultat. L’Iran l’a lui-même démontré lorsque des millions de personnes sont descendues dans la rue à la fin des années 1970, ont chassé le Chah et couronné Khomeini.
Renverser le régime qui était jadis un rêve est désormais un objectif stratégique mais sans preuve de sa faisabilité. Et même s’il se concrétise, rien ne garantit que le résultat ne serait pas un cauchemar encore plus grave.
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