La toile d’araignée tissée par l’espionnage israélien en Iran

Mossad -le service de renseignement extérieur d’Israël-, Aman -son service de renseignement militaire-, des Israéliens travaillant dans le secteur privé, des membres de la diaspora israélienne travaillant dans le secteur des télécommunications, des Iraniens recrutés comme agents, la technologie de pointe et des moyens matériels colossaux ont été mobilisés pour tout savoir sur l’Iran et mener la guerre actuelle contre ce pays. Une véritable toile d’araignée a été tissée par l’espionnage israélien qui a fait que l’Iran est devenu un véritable livre ouvert ce qui donne un avantage clé à l’État hébreu sur son ennemi.

Imed Bahri  

Le Financial Times a publié une enquête de Mehul Srivastava, Neri Zilber et John Paul Rathbone sur la guerre secrète menée par Israël en Iran. Elle revient sur le modus operandi du renseignement israélien en indiquant à titre d’exemple qu’un cadre israélien du secteur des télécommunications travaillant en Europe a reçu l’année dernière un appel d’un ami à Tel-Aviv lui demandant: «Pourriez-vous contribuer à la conception d’un téléphone bon marché, de type Android, capable de transmettre des données cryptées?».

Au même moment, un réserviste travaillant pour une start-up israélienne opérant dans le secteur de la santé a reçu un appel de l’Unité 9900, une petite unité de l’armée israélienne qui recherche des informations dans d’énormes volumes de données. Il lui a été demandé s’il pouvait modifier un algorithme qu’il avait développé pendant son service militaire afin qu’un serveur dédié puisse examiner les images satellite des camions-citernes et distinguer ceux qui transportent de l’essence de ceux qui transportent du carburant pour missiles.

Aucun des deux interlocuteurs n’a été informé que ses efforts joueraient un rôle dans la première attaque israélienne contre l’Iran la semaine dernière.

Une opération en préparation depuis des années

Plusieurs dignitaires des services de renseignement et de l’armée, ainsi que des savants nucléaires renommés ont été tués lors de l’attaque. La plupart des défenses aériennes ont été détruites avant le lancement des missiles intercepteurs. Bien que la manière précise dont Israël a organisé les opérations militaires en coopération avec le Mossad et l’Aman ne soit pas révélée, des informations filtrent progressivement, certaines visant à embarrasser l’Iran, d’autres provenant de personnes au courant des préparatifs ayant requis l’anonymat.

Tous ont décrit une opération multidimensionnelle, en préparation depuis des années, s’appuyant sur tout ce que les services de renseignement israéliens pouvaient utiliser: satellites commerciaux, téléphones piratés, agents infiltrés recrutés localement, entrepôts secrets d’assemblage de drones et même des systèmes d’armes légères fixés à des moyens de transport publics.

Les sources ont déclaré que l’objectif était de créer une base de données dense d’individus ciblés à éliminer dès les premières heures de l’opération militaire. Un ancien responsable israélien a indiqué que l’opération a coûté plusieurs millions de dollars et des années d’efforts pour répondre à ce qu’Israël considère comme une menace existentielle. «Quand vous travaillez pendant des années et des années et que vous investissez tout ce que vous avez –renseignement humain, renseignement de source ouverte (l’open source intelligence), l’argent– ​​vous finirez par obtenir un résultat», a-t-il indiqué. 

Des milliers de sources de renseignements

Durant la période précédant l’attaque, Aman a identifié des centres de gravité sur lesquels se concentrer, à savoir les sites du programme nucléaire et ceux du programme balistique.

L’équipe a comparé des milliers de sources de renseignements et, dès mars de cette année, a commencé à remplir une base de données sur les éventuelles cibles. La méthode de suivi des cibles est la même que celle ayant conduit à l’assassinat du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah. L’équipe technique derrière l’opération d’élimination de ce dernier a été consultée. Le FT indique que c’est un système de surveillance automatisé qui a localisé sa position avec une précision remarquable. 

Le journal précise que l’opération israélienne contre l’Iran n’a pas encore atteint ses objectifs ultimes à savoir détruire intégralement les capacités nucléaires et balistiques de la République islamique mais les premières heures de l’opération ont mis en évidence la liste ambitieuse et exhaustive des cibles que les services de renseignement israéliens ont constamment poursuivies.

Les premières frappes ont concerné quatre types de cibles: les hauts responsables militaires à la tête la chaîne de commandement, les défenses aériennes autour de sites stratégiques, des parties d’installations nucléaires et les sites de lancement de missiles balistiques dans l’ouest de l’Iran, tous perçus comme une menace. Israël a ainsi tenté de tirer parti au maximum de l’effet de surprise.

Miri Eisin, ancienne responsable des renseignements, a déclaré: «Lors de l’attaque initiale, la première salve, qui a marqué le début de l’offensive, nous n’avions pas terminé. Car cibler 15 personnalités différentes simultanément n’est pas chose aisée. Mais en éliminant tous les décideurs, on retarde la riposte et on gagne du temps»

Le journal note que la frappe israélienne a semé la panique au sein des services de sécurité iraniens, longtemps embarrassés par les infiltrations du Mossad. Un haut commandant des Gardiens de la révolution iraniens a exhorté les citoyens de vérifier à ce qu’il n’y ait pas de drones de petites tailles qui, selon lui, ont été introduites clandestinement dans les grandes villes par des groupes d’opposition.

Le chef de la police Ahmed Reza Radan a également exhorté ceux qui ont espionné pour Israël à se rendre et à bénéficier d’une amnistie. Le député Hamid Raisi a déclaré: «La décision la plus importante est la suivante: tous les téléphones portables appartenant à d’éminents dirigeants et scientifiques nucléaires et même à leurs familles doivent être mis de côté».

Le journal note qu’Israël continue de détruire les défenses aériennes restantes et a acquis la supériorité dans l’espace aérien iranien. Il a certes perdu des drones espions Hermes 900 sans pour autant perdre aucune de ses capacités militaires. L’armée de l’air israélienne jouit d’une liberté absolue pour frapper n’importe où en Iran.

En comparaison, les opérations de renseignement iraniennes en Israël sont minimes. Plusieurs citoyens israéliens ont été arrêtés et jugés pour avoir recueilli des informations pour l’Iran. Des pirates informatiques iraniens semblent avoir piraté le téléphone d’un membre de la famille de David Barnea, le chef du Mossad, ces dernières années, piratage que l’Iran a publiquement revendiqué.

En Iran, les équipes de contre-espionnage ont également arrêté plusieurs personnes, les accusant de travailler pour Israël et l’une d’elles a été exécutée récemment.

Cependant, aucune arrestation d’un espion israélien en Iran n’a été signalée, ce qui témoigne d’un recrutement massif d’agents locaux, involontairement ou contre rémunération ou d’opposants au régime.

Une infiltration à une échelle sans précédent

En revanche, le Mossad a procédé à de multiples assassinats de scientifiques nucléaires iraniens, dont un en 2020 qui semblait impliquer une mitrailleuse télécommandée montée sur un camion. Le Mossad a également volé des milliers de documents des archives nucléaires iraniennes que Netanyahu a montrés en direct dans une conférence de presse.

L’année dernière, Israël a assassiné le chef du Hamas Ismaïl Haniyeh dans une résidence des Gardiens de la révolution alors qu’il assistait à l’investiture du président Massoud Pezeshkian. Afin d’ajouter à son aura, le Mossad a diffusé des images montrant ses forces spéciales opérant en Iran, lançant des drones d’attaque et des missiles guidés qui ont détruit les défenses aériennes et les missiles iraniens.

«Du point de vue du renseignement, [cette campagne] est une prouesse remarquable et sans précédent dans la guerre moderne: une domination totale en matière d’espionnage et une infiltration à une échelle sans précédent dans l’histoire récente. Je ne me souviens pas d’un conflit où une partie a pris connaissance des plans d’urgence de son ennemi et des mouvements de ses dignitaires», a commenté un ancien responsable de la défense américaine. 

Le FT affirme que le récent succès d’Israël contre le Hezbollah lors d’une campagne surprise similaire l’année dernière et aujourd’hui au début d’un conflit à grande échelle avec l’Iran contraste avec son incapacité à prévoir ou à empêcher l’opération Déluge d’Al-Aqsa du 7 octobre 2023.

Miri Eisin a expliqué que ces récents succès démontraient les capacités des unités de renseignement et de l’armée israéliennes lorsqu’elles étaient bien préparées et dotées de ressources suffisantes. Elle a également indiqué que l’Iran était une priorité absolue pour le Premier ministre Benjamin Netanyahu et les responsables du renseignement en général mais elle a mis en garde contre le revers de la médaille de tels succès en matière de renseignement car elles peuvent engendrer de l’arrogance et un sentiment de supériorité.

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