Comment Starmer a-t-il formé Zelensky à gérer Trump?

Difficile de trouver plus pragmatiques que les Britanniques. Après la rencontre chaotique du 28 février qui avait tourné au pugilat entre le président américain Donald Trump et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, le Premier ministre britannique Keir Starmer a pris les choses en main pour coacher Zelensky dans sa relation avec l’actuel président américain et son administration. L’actuel locataire du 10 Downing Street et d’autres dirigeants européens ont également décidé de ne plus laisser le président ukrainien seul à la manœuvre par crainte d’une capitulation américaine face à Poutine. 

Imed Bahri

Le journal britannique The Telegraph a révélé que le Premier ministre britannique avait joué un rôle essentiel dans la formation du président ukrainien pour maîtriser le langage du président américain et savoir le gérer.

Dans un article de Ben Riley-Smith, le journal rapporte qu’il était difficile d’exagérer l’anxiété et la frustration ressenties par le personnel de Downing Street en voyant Trump et Zelensky échanger des piques lors de leur rencontre du 28 février dans le Bureau ovale à Washington.

La veille, le 27 février, Starmer avait remporté ce que les médias et les partisans du Parti travailliste avaient qualifié de «triomphe diplomatique» lors de sa première rencontre avec le président américain. Il avait fait preuve d’un remarquable sens politique, trouvant un équilibre entre satisfaire l’ego de Trump et transmettre les points clés de la politique britannique. 

Dans un rare hommage du Telegraph, connu pour son parti pris pro-conservateur, l’issue de la rencontre entre le Premier ministre britannique et le président américain a été qualifiée de satisfaisante. Trump s’est réjoui de l’invitation officielle à se rendre en Grande-Bretagne, a soutenu l’accord de Starmer sur la restitution des Îles Chagos, contestées à Maurice et a fait des commentaires positifs sur un accord commercial conclu. 

La rencontre de M. Zelensky le lendemain s’est déroulée différemment, lorsqu’il a été sermonné par le vice-président américain J.-D. Vance pour ne pas avoir remercié l’Amérique. Une scène chaotique qui avait horrifié des alliés de l’Ukraine.

Le contraste entre ces deux rencontres –et la façon dont le clash lors de la seconde a sapé les progrès réalisés sur la question ukrainienne lors de la première– a laissé Sir Keir et son équipe s’en vouloir.

Ne pas laisser Zelensky seul face à Trump

Pourquoi n’avaient-ils pas fait davantage pour préparer le président ukrainien alors qu’ils l’avaient fait pour leur propre Premier ministre ? De hauts responsables du 10 Downing Street ont depuis confié au Telegraph avoir le sentiment d’avoir manqué leur coup.

Dès lors, Londres, comme d’autres capitales européennes, a adopté une nouvelle approche, qui semble se traduire par la rencontre qui s’est tenu lundi à la Maison-Blanche entre Zelensky et Trump avec la participation sans précédent d’éminents dirigeants européens. Ils n’ont pas voulu laisser Zelensky seul face à Trump cette fois-ci. 

Un voyage similaire avait failli avoir lieu quelques jours après l’escarmouche du Bureau ovale de février alors que Starmer, Emmanuel Macron, le président français et d’autres tentaient de réparer les dégâts. Cependant, ces tentatives pour ramener M. Zelensky à la Maison Blanche, accompagné des dirigeants européens, n’avaient finalement pas abouti à l’époque.

Le Premier ministre a finalement fait autre chose pour véhiculer un message similaire : il a serré M. Zelensky dans ses bras devant la porte noire du 10 Downing Street.

Apprendre à parler le langage de Trump

Depuis ce jour, un travail en coulisses a eu lieu pour «apprendre» au président ukrainien à «parler le langage de Trump». The Telegraph précise que Zelensky entame désormais ses discussions avec les responsables américains en remerciant les États-Unis pour leur soutien à son pays face à la Russie, en réponse directe à la demande de Vance lors de leur première rencontre il y a plus de six mois, un clin d’œil à l’escarmouche avec M. Vance.

Les leçons de Starmer à Zelensky pour pouvoir gérer Trump et essayer de l’influencer reposent sur trois point :

– ne pas répondre à chaque déclaration provocatrice du président américain;

– ne pas débattre publiquement avec Trump ni l’assaillir de questions car une réaction négative peut avoir lieu de sa part s’il sent que son orgueil a été entaché;

– le couvrir d’éloges en public, tout en exerçant pression et influence en coulisses pour servir les intérêts nationaux.

Le journal britannique explique que Jonathan Powell, conseiller à la sécurité de Starmer et l’un des esprits les plus éminents de la politique étrangère britannique, était responsable de la formulation de cette approche et de son élaboration auprès de la délégation ukrainienne pour la rencontre de lundi avec Trump.

Cependant, la décision des responsables européens de se rendre à Washington n’est pas uniquement motivée par la volonté de ne pas laisser Zelensky tout seul face à Trump. C’est aussi un signe d’inquiétude. Le fait que les dirigeants les plus influents abandonnent leurs plans de vacances en plein mois d’août et se rassemblent, passant de nombreuses heures de voyage loin de chez eux, accentue le sentiment d’incertitude et de peur.

Deux anciens ambassadeurs britanniques à Washington ont déclaré au Telegraph que la ruée vers la Maison Blanche montre qu’ils savent combien il est important de décrypter ce qui s’est passé en Alaska entre Trump et Poutine.

Lord Darroch, ancien ambassadeur pendant le premier mandat de M. Trump, a déclaré : «Cette délégation européenne de haut niveau, rapidement constituée, accompagnant Zelensky à Washington témoigne d’une profonde inquiétude quant à deux aspects de l’issue du sommet en Alaska. Premièrement, l’annonce selon laquelle le président Trump estime désormais qu’un accord de paix global devrait précéder un cessez-le-feu. Et deuxièmement, les suggestions selon lesquelles la voie de la paix pourrait impliquer que l’Ukraine cède encore davantage de territoire dans le Donbass».

Sir Peter Westmacott, représentant du Royaume-Uni à Washington sous Barack Obama, a déclaré : «Cela me montre que plus ils examinent ce qui s’est passé en Alaska, plus ils se rendent compte que tout a mal tourné et que Trump s’est fait avoir. Poutine n’a rien cédé et est rentré chez lui très satisfait. Ainsi, quels que soient les arguments qu’il a fait croire à Trump concernant la responsabilité de Zelensky dans le conflit ou le droit de la Russie à reconquérir ses anciens sujets en Europe de l’Est, il faudra une riposte vigoureuse». Il ajoute : «Le président doit vraiment trouver une meilleure solution que de simplement remercier Poutine d’avoir reconnu sa victoire aux élections qu’il a perdues en 2020 et de renoncer à toutes ses menaces de sanctions contre la Russie simplement parce que Poutine dit ne pas vouloir de cessez-le-feu». Le Telegraph rapporte que les trois choses que les Européens souhaitent obtenir de Trump sont les suivantes : Premièrement, repousser l’idée de céder l’intégralité du Donbass à Poutine. Deuxièmement, exiger la fin des attaques russes avant de véritables négociations. Troisièmement, des garanties de sécurité significatives pour l’Ukraine après la paix, soutenues par les États-Unis.

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