Les récits narratifs arabes au cours des deux premiers siècles de l’Hégire signalent ce curieux incident de la vie du prophète Mohamed, celui dit des versets sataniques, faisant l’apologie de trois idoles de la Mecque dites El Gharaneq, qui ont été récités publiquement puis supprimés après avoir été considérés comme étant inspirés de Satan.
Par Dr Mounir Hanablia *
L’auteur de ce livre rapporte près de 50 commentaires qui remontent tous à des témoignages de rares personnes présentes, et des circonstances ayant entouré leur récitation, puis leur abrogation.
D’une manière générale tous les commentaires s’accordent à dire que la nouvelle communauté de l’islam était alors en butte à une grande pression économique, sociale, politique, et même judiciaire de la part du pouvoir politique de la Mecque qui lui reprochait de mépriser et de dénoncer le culte des idoles, et que lorsque ces versets sont apparus une grande partie des convertis à la nouvelle religion ont été pris d’euphorie parce qu’ils ont été convaincus que les persécutions dont ils étaient les victimes allaient enfin cesser.
Le prophète était-il infaillible ?
Ces versets correspondaient donc à une nécessité politique du moment mais en fin de compte ils ont été supprimés parce que d’autres nécessités se sont imposées qui font qu’aujourd’hui l’islam se situe dans la tradition du judéo-christianisme.
L’auteur distingue donc deux époques: une première au cours de laquelle la réalité de l’épisode était communément admise, et dans laquelle le prophète était considéré à l’instar de quelques autres cités dans le Coran, comme un être humain passible d’erreurs au point d’altérer le contenu des versets issus de la révélation divine; une seconde époque, à partir du deuxième siècle de l’Hégire, correspond, avec le Califat Abbasside, au déni des faits, au point de considérer leur évocation en tant qu’apostasie. Cette attitude perdure jusqu’à aujourd’hui.
Il a donc bien fallu qu’à un certain moment se mettent en place les outils nécessaires à l’instauration d’une discrimination entre de ce qui serait considéré comme étant la vérité, ou orthodoxie, la croyance juste, et ce qui serait considéré comme kufr, apostasie. Cela a correspondu à l’instauration de la Sunna, c’est-à-dire la prise en compte dans les hadiths se rapportant à la vie du prophète Mohamed, uniquement de ceux corroborés par des sources considérées comme fiables.
L’autorité politique décide seule de la vérité
La Sunna en tant qu’organisation académique et surtout institutionnelle, a ainsi instauré l’autorité d’une hiérarchie du savoir légitimée par l’autorité politique qui seule décide de la vérité, relativement à la vie du prophète Mohamed et de la révélation divine. Elle a ainsi instauré la notion de l’infaillibilité du Prophète Mohamed (îsma), et par voie de conséquence, de la charia qu’il a transmise, ainsi que bien évidemment, des docteurs de la loi qui l’ont interprétée.
Une grande partie du tafsir (exégète), de la Sira Maghazi, dont la véracité était solidement établie durant le premier siècle de l’Hégire chez les musulmans, a commencé à être considérée à partir du deuxième siècle, comme mensongère, par les docteurs de la loi, en vertu des critères discriminants instaurés, ou dans le meilleur des cas comme erronée.
Il est nécessaire de s’en souvenir alors que la constitution de la Tunisie se réfère désormais relativement aux droits humains fondamentaux, à une construction idéologique issue des nécessités politiques de l’Etat Abbasside du VIIIe – IXe siècles de l’ère universelle, et qui continue d’être considérée jusqu’à l’époque contemporaine comme étant la Loi de Dieu.
* Médecin de libre pratique.
«Before Orthodoxy. The Satanic Verses in Early Islam», essai de Shahab Ahmed, Harvard University Press, avril 2017, 497 pages,
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