L’attitude du peuple tunisien s’abstenant dans sa majorité de participer au référendum constitutionnel ne s’expliquerait ni par un appui à la démocratie, ni par un refus de la dictature, mais par la plus élémentaire des prudences, les acteurs politiques occupant la scène médiatique étant tous dénués de crédibilité et de légitimité.
Par Dr Mounir Hanablia *
Je me suis abstenu de participer au référendum du 25 juillet 2022 sur le projet de constitution proposé par le président Kaïs Saïed, je ne m’en cache pas. La raison n’en est pas qu’il n’existe plus de séparation des pouvoirs dans le pays, ni qu’une menace y pèse sur la démocratie. Et après tout, afin de lui rendre justice, cet homme, après tout, a mené une campagne réussie contre la pandémie, et rétabli la production de phosphate ou le tourisme. Mais comme prévu, il s’est accordé les pleins pouvoirs grâce à son projet de constitution adopté par, au mieux, un peu moins d’un tiers de l’électorat.
L’habileté du professeur de droit constitutionnel a été de présenter ce succès comme un plébiscite contre le parlement et les partis et, en particulier Ennahdha, discrédités par dix années de manœuvres politiques obscures, de corruption et de népotisme, de concordances inavouables avec des milieux d’affaires, des intérêts étrangers, et tenus par l’opinion publique pour responsables du terrorisme et de la situation catastrophique que traverse le pays.
Ces mêmes partis politiques, au lieu de prendre acte des nouvelles réalités contre lesquelles ils ont été incapables de s’opposer de quelque manière que ce soit, choisissent maintenant un combat d’arrière-garde en en contestant la légitimité, arguant du faible taux de participation et d’approbation au référendum.
Ce qui est scandaleux de ce qui ne l’est pas
Pourtant, lors des élections de la constituante, en 2011, considérés comme son heure de gloire, le parti Ennahdha n’avait pas réuni plus de 25% de l’électorat. La constituante avait passé plus de trois années à palabrer aux frais du contribuable avant de publier en 2014 un texte qui évoquait l’islam en tant que religion de l’Etat, il est vrai repris de la constitution de 1959, et des lois conformes aux objectifs de l’islam (la charia). Elle avait appelé cela l’État civil (sans jeu de mots).
Cela n’avait alors suscité aucune protestation puisque des partis politiques et des organisations de la société civile, censés défendre la laïcité, avaient contribué à la rédaction du texte et avaient transigé sur le caractère universel des droits humains au nom de leurs intérêts politiques du moment, qu’ils ont nommés compromis.
Kaïs Saïed, lui, a sorti une constitution en l’espace d’un mois, situant la Tunisie comme une obscure province de la oumma arabe et musulmane, ignorant complètement dans son préambule celle de 1956 du président Bourguiba, et concédant une Magna Carta, une grâce du prince, reprenant spécifiquement le thème du respect du droit à la vie, la propriété, l’honneur, au nom de ces mêmes objectifs, ceux de l’islam.
Si demain nous entrions en guerre, les objectifs de la charia imposeraient selon certains de retirer aux non-musulmans ces droits humains fondamentaux. Cette fois, cela a fait scandale, non pas à cause du texte, instituant à titre d’exemple cette nouvelle assemblée prévue, celle des régions et des territoires, qui risque de consacrer une division territoriale dont nul ne peut prévoir à l’avance les conséquences, mais pour un motif politique, parce que tout cela est né d’une seule volonté, celle du président excluant tous ceux tenant leurs précieuses personnes en haute estime au point de se juger indispensables à la survie du pays. Et ce sont ceux qui se qualifient d’opposition qui s’arrogent le droit de discerner ce qui est scandaleux de ce qui ne l’est pas.
Une coalition hétéroclite d’inutiles et d’incompétents
Mais de quelle opposition s’agit-il ? De celle qui ne se renouvelle pas et qui reprend toujours les mêmes pour recommencer. De tous ceux auxquels seule la stupidité de Ben Ali avait conféré l’aura de résistants à la dictature et qui continuent ad vitam aeternam d’occuper le champ politique médiatique sans les électeurs nécessaires pour soutenir leurs thèses. Ce sont tous ceux qui ne peuvent pas se targuer d’avoir réalisé un seul projet utile au peuple de ce pays les dix années où ils avaient disposé du pouvoir.
Cette coalition hétéroclite d’inutiles et d’incompétents possède néanmoins suffisamment de morgue en prétendant s’unir dans un front qualifié de salut, et sauver le pays des problèmes qu’elle a elle-même créés et qu’elle n’a pas su résoudre.
C’est cette coalition de personnalités âgées dénuées de popularité érigées en défenseurs de la démocratie et de partis politiques réalisant régulièrement aux élections des scores médiocres les empêchant d’accéder au parlement, qui prétendent aujourd’hui que la majorité du peuple tunisien en s’abstenant de participer au référendum s’oppose à la dictature.
Samira Chaouachi, la vice-présidente du parlement dissous n’a pas semblé faire la part belle au patriotisme en demandant au FMI de ne pas discuter avec le gouvernement nommé par Kaïs Saïed, de l’aide financière sans laquelle le pays cesserait de fonctionner. Il est vrai qu’elle est issue d’un parti, Qalb Tounès, qui avait donné une idée peu reluisante de la démocratie en promettant dans un premier temps à ses électeurs de s’opposer à Ennahdha, et qui une fois au parlement, avait apporté les voix nécessaires pour que le chef islamiste, Rached Ghannouchi, en devienne le président envahissant, empiétant sur les prérogatives du chef de l’Etat, outrepassant les siennes propres en établissant des relations directes avec l’étranger, et débauchant ou renvoyant les chefs du gouvernement nommés par le président de la république.
C’est ainsi que le conflit institutionnel avait débuté, il ne faut pas l’oublier, et ce n’est pas le président Kaïs Saïed qui l’avait initié, mais le chef du parti Ennahdha soutenu par les excités d’Al-Karama et les affairistes de Qalb Tounès. Ces trois partis ne font pourtant pas 20% de l’électorat, mais leurs erreurs réunies et l’antipathie qu’ils ont suscitée au sein de l’opinion publique ont valu au président plus que l’apport d’une division blindée dans sa marche vers la concentration des pouvoirs entre ses seules mains.
Soutien à un président aux tendances autocratiques affirmées
Il y a donc quelques bonnes raisons à ce qu’une part, que je qualifierai de majorité, de l’opinion publique, plus que tout, ne veuille pas du retour de ces gens-là, ni même du système politique ayant permis leur accession au pouvoir.
Quoiqu’on en dise, le fait que Kaïs Saïed ait voulu situer la question du référendum dans son conflit avec Ennahdha lui a apporté certes des voix, il lui en a néanmoins aliéné d’autres parce que jusqu’à présent toutes les soi-disant actions en justice entreprises contre les chefs du parti islamiste se sont avérées être de simples exercices de propagande électorale sans portée réelle.
Ennahdha est toujours là et la majorité de l’électorat a sans aucun doute jugé, à juste titre, plus prudent de ne pas hypothéquer l’avenir en soutenant un président aux tendances autocratiques affirmées et qui semble néanmoins ne pas vouloir ou ne pas pouvoir se débarrasser de ses opposants, malgré tous les moyens et les preuves matérielles en sa possession pour le faire.
L’attitude du peuple tunisien s’abstenant dans sa majorité de participer au référendum ne s’expliquerait donc ni par un appui à la démocratie, ni par un refus de la dictature, mais par la plus élémentaire des prudences.
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