Hier, 1er janvier 2020, la Tunisie a inauguré son mandat de membre non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies alors que la diplomatie tunisienne se morfond dans une profonde léthargie et une inactivité troublante. Seule bonne nouvelle, les Palestiniens verront leur voix résonner au Conseil de sécurité grâce à Kaïs Saïed qui a fait de la Palestine la pierre angulaire de son discours et la colonne vertébrale de sa politique étrangère.
Par Imed Bahri
Nous avons parlé dans des articles précédents de la léthargie diplomatique dans laquelle se morfond la Tunisie hélas depuis l’élection du très atypique Kaïs Saïed. Les visites officielles étrangères à Tunis se font rares. Celles des chefs d’Etat se font rarissimes.
Le président Kaïs Saïed est cloîtré à Tunis et ne bouge pas, sinon dans certaines régions intérieures. On croyait que son «jeûne diplomatique» allait prendre fin avec l’élection du président algérien et bien pas tout. Abdelmadjid Tebboune est en place depuis trois semaines et Kaïs Saïed ne semble pas pressé d’aller à Alger, la capitale à laquelle il a réservé sa première visite à l’extérieur.
Une léthargie diplomatique tunisienne sans précédent
Concernant le dossier libyen, Kaïs Saïed a reçu Fayez Sarraj, président du Conseil présidentiel libyen qui gouverne quelques poches de la Tripolitaine seulement. Il a également reçu quelques chefs de tribus libyennes pour une médiation entre les différents protagonistes du conflit qui ravage le pays voisin. Il a reçu la visite, fut-elle très brève, de son homologue turc Recep Tayyip Erdoğan, qui prépare son intervention militaire en Libye. Par contre, la partie adverse, celle de Benghazi représentée par le maréchal Khalifa Haftar, il n’y a eu aucun contact avec elle. Egalement, l’Egypte, puissance régionale et Etat central dans le Moyen-Orient, qui croise le fer avec la Turquie en Libye, il n’y a eu aucun contact avec elle. Aucun officiel égyptien n’a débarqué à Tunis et aucun officiel tunisien n’a été dépêché au Caire pour rencontrer le président Abdelfattah Al-Sissi.
Aussi la médiation de M. Saïed dans le conflit libyen, comment peut-elle aboutir alors qu’il dialogue avec une seule partie du conflit ? Peut-on voler avec une seule aile?
M. Saïed boude-t-il Le Caire car il y a l’ambassade israélienne comme l’a fait un certain temps le très lunatique et irrationnel Mouammar Kadhafi? Notre président doit cependant se rappeler que Le Caire abrite aussi le tombeau de Gamal Abdel-Nasser. C’est aussi la patrie de Taha Hussein, d’Abbas Mahmoud Al-Akkad, de Taoufik Al-Hakim et de Mohamed Hassanine Heikal. Nous ne dirons pas des grands Naguib Mahfouz et Anis Mansour car ces deux-là soutenaient Anouar Sadate ce qui fâcherait M. Saïed, qui n’aime pas (c’est un euphémisme) les normalisateurs avec l’Etat sioniste.
De même, M. Saïed n’a eu aucune concertation avec les Français, les Italiens ou les Russes sur le dossier libyen alors qu’ils sont influents sur le dossier libyen.
Egalement, en plus de deux mois, rien n’a été entrepris dans nos relations avec les pays Occidentaux, rien avec les pays arabes et aucun geste envers notre continent africain alors que les potentiels y existent pour que la Tunisie trouve un poumon économique qui lui permet de respirer. Les occasions pour ouvrir les portes et booster l’exportation existent, encore faut-il bouger et surtout que le président se déplace en personne ce qui est très bien vu (on connaît la place symbolique et importante du président chez les Africains). Continuer à snober et à bouder l’Afrique est démagogique et ne peut que nuire aux intérêts de la Tunisie.
La Palestine vénérée par Kaïs Saïed, colonne vertébrale de sa politique
Qu’à cela ne tienne, seule la Palestine tire son épingle du jeu et trouve grâce aux yeux de notre président qui ne manque aucune occasion pour montrer non pas son amour non pas sa passion mais sa vénération pour la Palestine. Il n’a pas d’ailleurs manqué de le rappeler dans son discours du nouvel An. Il en a même commencé à évoquer le volet international en parlant de la Palestine, avant même la Libye. D’ailleurs le volet international s’est résumé à la Palestine, au dossier libyen et à une note poétique parlant d’humanisme et d’universalité.
Rappelons aussi que depuis l’investiture de M. Saïed, les communiqués des Affaires étrangères concernant la Palestine se font de plus en nombreux, dans un ton plus militant que diplomatique et dans un arabe parfait et poétique rappelant celui de M. Saïed. Le journaliste originaire de Gaza Abdelbari Atwan, qui a rencontré M. Saïed, a déclaré dans l’émission dominicale ‘‘Kahwa Arbi’’ de la chaîne Watania et dans sa vidéo hebdomadaire qu’il a trouvé en Kaïs Saïed un homme qui suit et qui connaît dans les moindres détails ce qui se passe sur le terrain en Palestine aussi bien dans la Cisjordanie que dans la bande de Gaza.
Notons aussi, au passage, que le choix du diplomate Khaled Sehili, nommé aujourd’hui, jeudi 2 janvier 2020, ministre des Affaires étrangères, n’est pas anodin. Ce dernier a eu sa première affectation à l’étranger à l’ambassade Tunisie à Ramallah, en Cisjordanie. D’ailleurs pourquoi le président ne rend-t-il pas en Palestine où il ne manque pas de fervents supporteurs ? Là-bas, au moins, il sera en terrain conquis…
C’est dans ce contexte que la Tunisie inaugure son siège non-permanent au Conseil de sécurité de l’Onu, hélas dans un contexte de profonde léthargie et inaction déconcertante sur le plan diplomatique.
Dans ce contexte, seul la Palestine bénéficiera du mandat tunisien, notre président qui la vénère donnera ses directives aux diplomates tunisiens pour se battre pour elle dans le saint des saints de la diplomatie internationale. On ne sait pas si la vision du monde et des relations internationales se limitent à la Palestine chez M. Saïed mais c’est ce qui est saillant depuis sa campagne électorale et encore plus depuis son élection et son investiture. Tant mieux pour les Palestiniens qui ont trouvé un porte-voix et tant pis pour la diplomatie tunisienne.
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