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La nuit des longs couteaux n’aura pas lieu en Tunisie

Kais Saied dirait aujourd’hui comme Charles de Gaule en 1958,: «Croit-on qu’à soixante-sept ans, je vais commencer une carrière de dictateur ?»

Certains le comparent à un vulgaire putschiste et, au regard de ses manières frustes, disent craindre, la montée d’un dictateur en puissance. S’il est furieux contre les lobbys de la corruption et se donne même pour mission prioritaire de les combattre, Kaïs Saïed n’a rien d’un Führer. «Qu’on sache en Tunisie et à l’étranger que nous respectons la loi…», dit-il la main sur le cœur. Beaucoup le croient, en attendant d’en avoir le cœur net.

Par Mohsen Redissi *

L’Oberstführer, le guide suprême, dans sa fureur vient de mettre fin à la descente en enfer de son chancelier et son gouvernement. Las des soins d’ici-bas, il le limoge avec deux de ses acolytes pour mauvaises notes.

Le putsch est-il tenu dans le secret et mûrement réfléchi ? Ou l’exaspération de son impatience à mettre un terme à cette fin de règne qui s’éternise : une brouille avec son chancelier, une campagne de vaccination qui prend l’eau ? Ou le tir d’obus dans le Reichstag (1) qui remplace l’échange d’idées et de civilité ? Les yeux des Tunisiens se tournent toujours vers lui à chaque fois, leur bouche l’accuse de vaines palabres et d’inertie.

L’accueil de son coup d’éclat constitutionnel du 25 juillet 2021 fait apparaître aux yeux d’une très large majorité de la population l’Oberstführer comme l’unique garant de l’ordre et de la discipline. Ses bains de foule prouvent le fondé de son action. Un blanc-seing pour lui pour mener sans précipitation son œuvre.

Der Kampf (2)

En fin tacticien, il limoge dans la foulée trois autres obstacles majeurs dans sa reconquête du pouvoir ou plutôt dans sa tentative de redresser le tort : le ministre de l’Intérieur par intérim, le ministre de la Défense et la ministre de la Justice par intérim. Des ministres détenteurs de secrets d’Etat et de portes-feuilles sensibles. Leur mise sur la touche est cruciale. Il frappe fort dans les rangs de ses opposants. Il les écrase tel un panzer préparant ainsi tactiquement l’épuration des services infiltrés.

Il couvre ses arrières en s’accordant un délai de trente jours, pas une trêve, pour mener à bien son dessein sans coup férir. Il multiplie les interventions, envahit les rues, supervise les dons… Il intimide ainsi ses rivaux et perturbe leur plan. C’est à lui qu’incombe la responsabilité de défendre le pays des menaces internes et externes.

Dans son allocution tardive de la nuit du 25 juillet, il met l’accent sur le partage des biens de la Tunisie par des ministres chefs de clans et des élus contrebandiers siégeant en toute impunité dans le Reichstag sans être inquiétés. Ils sont au-dessus des lois qu’ils taillent à leurs souhaits.

Touché dans son amour propre, lui le constitutionnaliste accusé d’être un prédateur des droits civiques et constitutionnels des Tunisiens, il réagit. Il rétorque à celui qui veut l’entendre «Qu’on sache en Tunisie et à l’étranger que nous respectons la loi…» et d’ajouter que ce n’est pas à cet âge qu’il va devenir un Bismarck. Le Kaiser souligne à chaque apparition publique ou en privé qu’il a respecté à la lettre l’essence de la Constitution. Ses décisions sont justes et qu’il ne viole aucun de ses articles.

Il lance des messages des plus rassurants en recevant les hauts responsables de diverses institutions tunisiennes : les unions nationales et la société civile. Tous s’accordent à avoir transmis au président leurs griefs et leur crainte et surtout la peur des Tunisiens du retour du régime d’un Tout Puissant Président.

La tendance populiste que prend la suite des événements secoue les visées des grands lobbys. Leurs intérêts sont en danger. Ils forment leurs bataillons et leurs pelotons d’exécution en dressant la liste des violations hypothétiques du président. Ils prétextent qu’en accaparant le pouvoir le risque est élevé devoir revivre les horribles souvenirs de la répression, le matraquage de la presse et l’usage de la force pour faire taire tout autre velléité d’élever la voix comme au temps de la Gestapo, la police secrète.

Inglourious Basterds

Sa Blitzkrieg (3) sur les malversations financières est déclarée quatre jours après sa reprise du pouvoir. C’est une approche réconciliatrice. Le Chef suprême est indulgent et magnanime avec les pilleurs de banques. Une liste comprenant 460 noms de voleurs de haute voltige classés par ordre de mérite : du plus grand des voleurs à celui qui est à sa première malversation bancaire. Celui qui vole un œuf vole un bœuf. Il les absout et lave leurs fautes. Aucune surenchère, ni vengeance. Rendre au peuple ce qui lui appartient. Une idée chère à lui. Ce qui a été dérobé en liquide doit être réinvesti sous forme de projets dans les régions déshéritées selon une liste de priorité. Une façon de laver un argent sale mal acquis.

Il est aux abois. La roue de la fortune tourne inexorablement. Il multiplie les initiatives personnelles. Il reçoit le directeur général de la Pharmacie centrale, le président du Conseil et le secrétaire général du Syndicat des pharmaciens et les exhorte à réduire les prix des médicaments. Les pilules passent mieux ainsi chez certaines catégories de la population. Le lendemain, il touche la fibre patriotique des Rothschild et des Goldman tunisiens en recevant le président de leur association. Il lui demande de prêter une oreille attentive à ses clients passant par une période difficile en abaissant de quelques points les taux d’intérêt.

Les industries pharmaceutiques et les activités annexes, avec les banques et la Société de fabrication des boissons de Tunisie, ont enregistré des bénéfices conséquents durant la pandémie au contraire d’autres secteurs. L’oisiveté est la mère de tous les vices. Les Tunisiens se sont dopés de médicaments et d’alcool avec l’appui financier des banques. Chacun a sa façon de se prémunir de la Covid-19.

Va-t-il procéder crescendo ? Des enquêtes judiciaires refont surface. Des poursuites sont lancées contre des députés, des juges, d’anciens ministres et autres hauts fonctionnaires accusés dans le passé pour malversation sans jamais être inquiétés. Les vents ont tourné. Ce regain d’affaires sales est-il fortuit ou légitime ?

Le chef suprême est-il l’agent d’une paix sociale globale et le défenseur de la moralité publique ? Une occasion s’offre à lui de laisser une trace indélébile dans l’histoire de la Tunisie. Ses intentions et ses déclarations fracassantes ne doivent pas être accompagnées par des arrestations arbitraires ou une chasse à l’homme. Il y refuse de prendre part pour l’instant.

Seule une justice équitable fera entrer la Tunisie dans le concert des nations éprises de liberté et de justice.

* Fonctionnaire international à la retraite.

Notes :

1- Reichstag : parlement.
2- Der Kampf : le combat.
3- Blitzkrieg : guerre-éclair.

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