Le président de la république Kaïs Saïed se défend de toute volonté de marginaliser les partis, comme piliers de tout système démocratique digne de ce nom. Pourtant, toutes les mesures constitutionnelles et les décisions politiques qu’il a prises depuis la proclamation des dispositions exceptionnelles, le 25 juillet 2021, ne visent pas un autre objectif. Explications… (Illustration: l’excès de pouvoir fait tourner les têtes les mieux faites).
Par Ridha Kéfi
Répondant à cette accusation que ne cessent de lui porter ses opposants, en annonçant, hier, jeudi 15 septembre 2022, à l’ouverture d’un conseil des ministres tenu au palais de Carthage, la promulgation du décret-loi relatif aux élections et celui portant convocation des électeurs aux élections des membres de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), prévues pour le 17 décembre prochain, le chef de l’Etat a de nouveau critiqué le mode de scrutin proportionnel plurinominal (également appelé représentation proportionnelle à scrutin de liste), en vigueur durant la décennie écoulée, et qui, selon lui, fait que le député, que ce soit dans un parlement ou autres assemblées élues, ne tire pas sa légitimité de la volonté des électeurs mais plutôt de l’approbation de la direction de son parti, faisant ainsi la part belle aux appareils politiques, ce qui, de son point de vue, est un défaut majeur sinon le mal absolu.
L’exclusion… par le peuple !
Tout en soulignant sa préférence pour le système de scrutin uninominal majoritaire, finalement imposé de manière unilatérale et sans aucun débat digne de ce nom dans la nouvelle loi électorale publiée dans la soirée même au Jort, M. Saïed a cru devoir se défendre une nouvelle fois de toute volonté d’écarter certains partis des prochaines élections. Si exclusion il y aura, elle sera exprimée par le peuple le jour du scrutin, a-t-il soutenu, tout en exprimant le souhait de franchir l’étape de l’exercice de la «souveraineté effective du peuple.» Une souveraineté qui, a-t-il dit, ne s’exerce pas à travers des élections fictives où le citoyen est assimilé à un simple bulletin de vote, précisant que le député, qu’il soit issu d’un parti ou indépendant, est tenu responsable en premier et dernier ressort devant ses électeurs durant son mandat législatif.
Le scrutin uninominal est un mode électoral qui permettra au peuple d’exprimer librement sa volonté et de choisir souverainement la personne qui lui sied dans le cadre d’une circonscription électorale restreinte, tout en lui accordant la possibilité de retirer le mandat de cette personne au cours de la législature, a encore expliqué M. Saïed, tout en ajoutant que ceux qui ont préféré boycotter les élections législatives sont «libres». Et c’est là, on le devine, la clé de la stratégie d’exclusion des partis adoptée par M. Saïed. Le terme «libres» s’entend ici comme «au diable !» ou «bon débarras» !
Y aller ou pas, c’est kif-kif !
En effet, dans le nouveau système politique imposé par la constitution adoptée le 25 juillet dernier par un référendum boycotté par 75% des électeurs inscrits sur les listes électorales, et loi électorale promulguée hier soir par décret présidentiel, les partis sont mis devant le fait accompli et n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. D’autant que l’alternative qui se présente à eux (y aller ou pas ?) n’en est pas réellement une. Et pour cause: le résultat serait de toute façon le même. Et pour cause…
Si les partis acceptent de présenter des candidats dans les 161 circonscriptions mises en jeu, ils donnent automatiquement leur caution politique à ce qu’ils considèrent comme une dérive autoritaire, sans être récompensés en retour. D’autant que le nouveau mode de scrutin ne garantit nullement la primauté du parti et son contrôle sur «ses» supposés candidats, lesquels tirent leur légitimité directement des électeurs et ne sont redevables de rien à un parti qui, de toute façon, ne leur garantit pas grand-chose, un parti qui a besoin d’eux pour exister, plus qu’ils n’ont besoin de lui pour remporter une élection.
Sur un autre plan, à quoi servirait pour un parti d’avoir des élus sous la coupole, à supposer qu’ils seraient disciplinés et accepteraient de constituer un bloc uni susceptible de peser d’un quelconque poids au sein de l’Assemblée, du moment où la constitution «saïdienne» prive le parlement de tout poids politique : il ne donne ni ne retire sa confiance au gouvernement, lequel n’est finalement responsable que devant le président de la république, qui le nomme et le limoge à sa convenance, président qui, du reste, n’est pas responsable devant un parlement qu’il peut dissoudre à tout moment.
Une quasi-dictature
Le second terme de la fausse alternative qui se présente aux partis consiste à boycotter les prochaines élections, et là aussi, c’est Saïed qui imposerait sa volonté en plaçant ses pions dans un parlement de pur apparat, tout en garantissant le renforcement de ses pouvoirs régaliens dans un pays où il contrôle tout, sans être responsable de rien, puisqu’en vertu de la nouvelle constitution il n’est pas tenu de rendre compte de ses actes à aucune personne ni à aucune institution, ni pendant ni après l’exercice de ses fonctions.
Ce système quasi-dictatorial, même un atroce autocrate comme Zine El Abidine Ben Ali n’a pas osé le mettre en place. Et pourtant, on sait ce qu’il est advenu de son pouvoir… La dictature n’a jamais réussi nulle part au monde, et même si elle réussit un temps pour celui qui l’a mise en place, elle finit toujours par le broyer. Et M. Saïed, qui est si féru d’Histoire, devrait y réfléchir…
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