Tunisie : un seul Etat, deux discours

Il y a actuellement en Tunisie un vrai problème de crédibilité qui entache l’image du pouvoir en place sur les plans aussi bien intérieur qu’extérieur, et qui ne va pas faciliter la sortie de la crise où le pays s’enfonce depuis plusieurs années. Car un Etat ne peut tenir indéfiniment deux discours; parce qu’il est censé n’avoir qu’une seule parole, surtout en direction de ses partenaires internationaux.

Par Imed Bahri

«Dans le cadre de l’exercice de son rôle dans la consécration de la justice sociale, l’Etat ne renonce pas à la subvention des produits de base, contrairement à ce qui a été relayé à ce sujet», a affirmé le président de la république, Kaïs Saïed, en recevant, jeudi 1er décembre 2022, la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, au palais de Carthage, en mettant l’accent sur l’impératif d’œuvrer constamment à baisser les prix.

«Ceux qui s’activent à augmenter les prix ou à stocker illicitement certains produits ont des desseins qui s’opposent aux revendications légitimes du peuple tunisien au travail, à la liberté et à la dignité nationale», a-t-il tenu à préciser, laissant entendre que les récentes hausses des prix dont se plaignent les citoyens, notamment celles des carburants et des tarifs de transport, ne sont pas l’œuvre de l’Etat qui les a décidées et annoncées, mais de quelques comploteurs qui cherchent à affamer le peuple.

Tout en réaffirmant son attachement au rôle social de l’Etat, Kaïs Saïed a aussi souligné qu’il n’est pas question de céder les entreprises et les établissements publics, qui doivent au contraire être assainis pour éliminer les causes qui ont conduit à la situation à laquelle font face la majorité d’entre eux. Et dans ce contexte, le chef de l’Etat a mis l’accent sur la nécessité de compter sur soi-même ainsi sur les capacités nationales.

L’Etat et son double

«La justice sociale est l’essence même de la stabilité et ne peut être réalisée que par la répartition équitable des richesses et l’éradication de la corruption qui gangrène plusieurs entreprises», a-t-il dit, en pointant, comme à son habitude, les réseaux de la corruption qu’il a été jusque-là dans l’incapacité d’identifier et de mettre hors d’état de nuire, alors qu’il détient en main, depuis la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021, tous les pouvoirs : exécutif, législatif et même judiciaire, à travers le ministère public.

Ces nouvelles déclarations présidentielles, qui sont des redites, sont destinées, on l’a compris, non pas à l’opinion publique intérieure, qui s’en est lassée, mais aux partisans du président de la république qui boivent ses déclarations comme paroles d’évangile. Mais le problème c’est qu’elles sont suivies aussi par toutes les parties étrangères qui s’intéressent, professionnellement, à notre pays : diplomates, journalistes, experts financiers, bailleurs de fonds, etc., et que, pour tous ces gens-là, ces déclarations posent vraiment problème et ne permettent pas une vision claire de la situation dans notre pays et des orientations qui y sont à l’œuvre et dont dépendra son avenir à court et moyen termes.

Ces déclarations posent problème car elles prouvent qu’au sein de l’Etat tunisien, et notamment au sein du pouvoir exécutif, il existe deux tendances complètement contradictoires : il y a, d’un côté, le gouvernement qui prend des décisions hyperlibérales dans le cadre de ses engagements envers ses bailleurs de fonds internationaux (réduction des dépenses de l’Etat, maîtrise de la masse salariale dans le secteur public, la suppression progressive de la subvention des produits de base, la cession totale ou partielle de certaines entreprises publiques opérant dans les secteurs concurrentiels, etc.), et de l’autre, le président de la république, qui, sacrifiant à son populisme électoraliste, ne cesse de s’inscrire clairement en opposition frontale à ces orientations.

Un problème de crédibilité

Qui doit-on croire ? Qui incarne l’Etat, honore sa signature et assume la responsabilité de ses engagements internationaux, notamment sur le plan financier, en ce qui concerne le remboursement des prêts contractés ?

Et sur le plan intérieur, les citoyens sont en droit de se demander eux aussi: Qui doit-on croire, le gouvernement qui annonce des hausses régulières des prix (carburants, tarifs des transports, etc.) et le marché où les prix de tous les produits flambent, ou le président de la république qui fulmine contre «ceux qui s’activent à augmenter les prix ou à stocker illicitement certains produits ont des desseins qui s’opposent aux revendications légitimes du peuple tunisien au travail, à la liberté et à la dignité nationale».

Il y a là un vrai problème de crédibilité qui entache l’image du pouvoir en place sur les plans aussi bien intérieur qu’extérieur et qui ne va pas faciliter la sortie de la crise où il s’enfonce chaque jour un peu plus depuis plusieurs années. Car, comme on le sait, un Etat ne peut tenir indéfiniment deux discours, car il est censé n’avoir qu’une seule parole, surtout en direction de ses partenaires internationaux.

On comprend dès lors pourquoi le FMI a exigé, cette fois, que le projet d’accord de prêt avec la Tunisie soit signé par le président de la république. Et ce pour au moins deux raisons : Kaïs Saïed tient en main la totalité du pouvoir dans le pays, alors que les différents gouvernements auxquels il avait eu jusque-là affaire n’ont jamais réussi à mettre en œuvre les réformes sur lesquelles ils s’étaient engagés dans le cadre des précédents accords en 2013 et 2016.  

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