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Tunisie : Le gouvernement d’union nationale rend inutiles les élections

Conseil-du-gouvernement-Carthage

Les Tunisiens devront réapprendre à lire le Saint Coran qui dit : «Cramponnez-vous tous ensemble au ‘‘habl’’ (câble) d’Allah et ne soyez pas divisés».

Par Ezzedine Kaboudi *

La situation de la Tunisie aujourd’hui est délicate en référence aux difficultés économiques et au vu des dangers qui menacent le pays, lequel connaît depuis quelque temps une grogne sociale sans précédent. Manifestement, la période post révolution n’a pas été mieux jugée par les différents gouvernements qui ont tardé à entreprendre les bonnes réformes.

Le Tunisien est quotidiennement confronté à une réalité qui montre tout l’intérêt majeur qu’a le pays à faire preuve de discernement pour assurer sa stabilité, voire son autonomie. Les nombreux problèmes délicats auxquels la Tunisie est confrontée conditionnent largement son évolution actuelle et future, et constituent autant de défis qu’elle devra relever.

Une situation préoccupante

Vraisemblablement, la Tunisie a besoin de sortir de l’ornière où elle se morfond depuis un certain janvier 2011.

Malheureusement, il y a un moment où les faits qui sont têtus deviennent souvent parlants et parfois inquiétants:

En effet, la Tunisie «postrévolutionnaire» se retrouve aujourd’hui fragilisée par les contrastes régionaux : la pauvreté et les inégalités frappent de façon très variable les localités. La Tunisie profonde souffre encore de marginalisation et de précarité. Certaines régions se heurtent encore à certains problèmes existentiels tels que l’accès à l’eau potable, à l’électricité et aux soins de santé de base. Manifestement, le calvaire de certains citoyens reste total. Il faut, peut-être, remonter assez loin pour retrouver pareille progression des inégalités sociales.
Quant à la situation sécuritaire du pays, elle reste encore précaire. Malgré les politiques de prévention de la criminalité et les multiples arrestations de présumés jihadistes, la Tunisie n’est pas encore à l’abri d’une menace terroriste.

La croissance économique est quasiment à l’arrêt : absence de perspectives, récession, marchés parallèles et syndicalisme paralysant. Une dégradation sans précédent : fuites de capitaux, chômage endémique et pas d’amélioration en vue. Ajoutées à cela, une dépréciation alarmante du dinar tunisien et une détérioration importante du pouvoir d’achat, qui suscitent de plus en plus l’inquiétude et interpellent vivement.

Bien évidemment, ce qui se dissimule derrière, c’est l’ampleur d’un déficit budgétaire qui ne cesse de se creuser, et qui semble désormais échapper à tout contrôle. Cela a contribué non seulement à la persistance d’un déséquilibre financier permanent, mais a été accompagné d’un surendettement non réfléchi et non viable.

En plus, les Tunisiens ont été, tout au long de cette période, confrontés à un certain nombre d’événements qui ont mis à mal la construction de l’Etat de droit qui peine à se consolider et à se frayer un chemin. Sous prétexte de protéger les gens contre une menace considérée comme potentielle et éminente, on a fait la guerre aux démunis, et on a accordé prétexte au retour de la violence et impunité à la répression policière.

Ce qu’il y a de plus est à déplorer est que cette Tunisie, nouvellement promue au rang de pays dit démocratique, fait face à une corruption politique et économique sans précédent. Les dirigeants qui sont supposés montrer l’exemple se sont rangés du côté des malfrats et des délinquants de la mafia économiques. Cela, on le voit sous nos yeux. Personne ne peut le nier. Les Tunisiens ne font plus confiance ni en l’État ni en ses structures pour redresser la situation du pays et résoudre leurs problèmes de vie quotidienne.

Entre-temps, le citoyen tunisien est confronté au drame quotidien d’un environnement en dégradation. Cela est visible partout à travers le pays où la situation devient critique dans certains quartiers. Les détritus s’accumulent et le ramassage des ordures ménagères n’est assuré que sur certaines parties visibles des villes. Les poubelles s’accumulent et les municipalités semblent s’enfoncer dans une léthargie qui ne dit rien de bon.

Comment est-on arrivé là ?

En même temps, le Tunisien assiste, désarmé, à un phénomène tout à fait étonnant : le recul fâcheux des valeurs humaines et spirituelles : exhibitionnisme, luxure, dévergondage, égotisme, vulgarité, bêtise et autres écarts de conduite sont partout dans la société. À l’opposé, la droiture, la pudeur, la discrétion, la gentillesse, le respect et autres qualités sont désormais considérés comme grotesques voire ridicules.

C’est un triste et sombre tableau d’une souffrance vécue au quotidien, et d’un désespoir qui s’empare des Tunisiens. Cette dramatique réalité est préoccupante et de loin éloignée de celle que les Tunisiens convoitaient et attendaient, au lendemain de la révolution de janvier 2011. Ils aspiraient, pourtant, à plus d’égard, à plus de liberté, de justice, et d’égalité. Bref, à une patrie meilleure susceptible d’assurer le bien-être à tous.

Reste une question qui interpelle forcément : quelles seraient, alors, les raisons de ce travestissement de la réalité des choses et du cauchemar vécu ?

Mais, pourquoi est-on arrivé à ce point ?

En fait, touts ces tourments sont autant de signes révélateurs du recul de la cohésion sociale en Tunisie et du retour à la division, au désaccord, à la discorde et aux clivages. Ce peuple qui était uni, solidaire qui vivait dans la communion fraternelle et qui ne faisait qu’un est devenu désuni et divisé.

Désormais, le Tunisien est en guerre continuelle contre lui-même et contre tous. Après la révolution, ce peuple cohérent et homogène s’est disloqué à tous les points de vue : politique, institutionnel, économique, et social, comme un château de sable emporté par une vague.

Il serait temps de se demander qu’est-ce qui a changé? À quoi est dû ce chaos?

Répondre à ces deux questions c’est se situer par rapport au paysage institutionnel et politique de la Tunisie qui s’est considérablement métamorphosé.

En effet, le peuple Tunisien emporté par l’élan de son courage, assiste depuis quelque temps à des transformations profondes et à de nombreuses réformes qui ont remodelé de manière considérable l’espace politique du pays. Ces changements profonds visent à affirmer un, soi-disant, idéal de démocratie, qui devait permettre aux citoyens de prendre eux-mêmes les décisions concernant la gouvernance de la cité, à l’instar de la Grèce antique où l’on faisait usage véritable de la démocratie.

Seulement, le chemin vers la démocratie authentique et véritable n’est pas facile et les écueils sont de tous ordres. C’est même une grossière méprise, que celle de convenir que l’on puisse de nos jours faire participer directement tous les citoyens dans la gouvernance du pays. C’est non seulement un mensonge, mais cela rassemble un canular digne des plus grands. Un tour de passe-passe que seuls les Occidentaux pouvaient imaginer.

D’ailleurs, c’est en se rendant à l’évidence qu’ils n’ont ni la possibilité, ni la facilité, ni celle des moyens pour réaliser ce rêve, que les Occidentaux se sont ralliés à contrecœur à la démocratie dite représentative, une vulgaire et pâle copie de la démocratie directe.

La démocratie représentative : un canular

En fait, notre ainsi dite démocratie représentative n’est pas une démocratie du tout. Elle est, en réalité une particratie, mettant le pouvoir entre les mains de partis politiques dirigés par une grappe d’hommes désabusés, poussés par l’instinct de cupidité et par un impérieux besoin de s’accaparer le pouvoir. On usurpe, de la sorte, au peuple son droit à la démocratie et au lieu de protéger sa souveraineté, on la spolie ouvertement et légalement au vu et au su de tous.

En réalité, la course au pouvoir en démocratie représentative instaure la médiocrité et cultive la discorde et la bêtise. Elle opère une sélection naturelle qui met au-devant de la scène les individus les plus débrouillards, les plus futés et exclut les plus intègres, les plus compétents et les plus habiles.

Il faudrait savoir qu’il n’y a plus rien à espérer, plus rien à attendre de ces démocraties représentatives. Le cheminement naturel est le même et c’est un éternel recommencement depuis la nuit des temps : au tout début, tout parti en accédant au pouvoir fera tout pour traduire sa suprématie électorale en une mainmise durable sur les rouages du système. Il sera très vite déconnecté de la réalité des masses populaires et consacrera tout le reste de son mandat à formuler des alliances, à positionner ses membres les plus proches à tous les échelons de l’administration et de l’appareil de l’État et à en débusquer tous les autres.

L’originalité de l’expérience tunisienne forme un bel et unique exemple. Il montre que le système qui caractérise les États dits démocratiques, présente de nombreuses lacunes et qu’en réalité le peuple souverain y est dépossédé de son pouvoir. Et c’est cette prétendue démocratie qui est l’origine de dégradation de la situation en Tunisie. En renvoyant dos-à-dos les Tunisiens, comme autant d’ennemis irréductibles, elle a créé un climat social dans lequel les fossés ou les clivages se creusent et la solidarité s’affaiblit. Les anciens conflits du sombre Moyen Âge réapparaissent : musulmans contre non musulmans, nord contre sud, sahéliens contre non sahéliens et jeunes rénovateurs contre anciens du régime. Des divisions qui viennent creuser le fossé d’une société en déperdition. On va même plus loin en reproduisant l’ancien cliché ridicule du sexe masculin contre le sexe féminin. Tout est bon pour diviser les Tunisiens.

La Tunisie est devenue une sorte d’arène fermée où l’on s’affronte pour la quête du pouvoir. C’est la tarte à partager et l’on voit les opportunistes qui rôdent autour de la table. Tout est permis, même les associations contre nature.

Manifestement, Bourguiba et son successeur Ben Ali, dans un élan bien qu’égotique, avaient, vraisemblablement, évité pendant un demi-siècle de telles déconvenues à la Tunisie, en lui imposant le parti unique. Pendant bien longtemps les Tunisiens avaient oubliés leurs désaccords et leurs troubles et étaient soudés et unis contre un seul ennemi : la dictature.

L’espoir d’une «vie heureuse» et «vraie» pour tous

Les Tunisiens, quoi qu’ils n’aient pas encore terminé avec l’expérience des déviances, se sont pourtant rendus à l’évidence : le bonheur auquel tous les citoyens tunisiens aspirent se situe dans les valeurs de l’union : la Tunisie a un besoin impérieux de cohésion sociale.

Désormais, tous les Tunisiens doivent s’investir dans la construction de ce que l’on doit appeler la «société d’union nationale», et qui n’est que l’expression de la responsabilité de chacun pour assurer le bien-être de tous ses membres, à minimiser les disparités.

La cohésion sociale prend ainsi en compte la façon dont les différents acteurs de la société interagissent, se confrontent et parviennent à assurer le bien-être de tous, tout en étant unis. La cohésion s’oppose, donc, à la désagrégation, à la décomposition et à la division.

Les Tunisiens doivent continuer à faire de l’éthique de la cohésion sociale le fondement de leurs comportements individuel et collectif et doivent surtout favoriser les facteurs qui permettent aux éléments d’une société de rester unis et de rechercher le bien-être collectif ?

Deux expériences l’attestent déjà…

Tout d’abord, la recherche du compromis dans les décisions d’ordre stratégique et politique. D’ailleurs, ce n’est pas sans raison que le comité Nobel norvégien a décidé de récompenser le Quartet menant le dialogue national en Tunisie. C’est que les jurés du Nobel ont rendu hommage à une structure issue de la société civile tunisienne qui a poussé à l’union et qui a permis de sauver provisoirement une transition démocratique qui menaçait d’avorter, deux ans et demie après le fameux «printemps» de 2011.

Ensuite, en cherchant à instituer un gouvernement d’union nationale. Sauf, que démocratie représentative (particratie) et gouvernement d’union nationale sont incompatibles. C’est même un paradoxe contre nature.
C’est reconnaître l’échec définitif du schéma traditionnel du débat entre majorité et opposition. À quoi bon faire, alors, des élections dans ces conditions? Quelle peut être l’utilité de ces partis et groupements politiques qui concourent à l’expression du suffrage? Que serait la démocratie pluraliste, sans l’existence de différentes formations politiques, elles-mêmes représentatives des grandes familles idéologiques qui structurent et orientent la vie publique? Et, finalement, peut-on rallier tout le monde à une même finalité?

Quoi qu’il en soit et en attendant des jours meilleurs, les Tunisiens devront commencer au moins à comprendre leur responsabilité causale collective et percevoir les phénomènes nouveaux et extrêmement importants qui se passent dans leur pays. Dieu nous demande bien : «Cramponnez-vous tous ensemble au ‘‘habl’’ (câble) d’Allah et ne soyez pas divisés»,(S3, V103).

Les Tunisiens devront, certainement, réapprendre à lire le Saint Coran et à mieux l’interpréter.

* Docteur en management.

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