Le poème du dimanche : ‘‘Sang d’Homme, la main du cœur qui bat’’ de Gabriel Okoundji

Né en 1962, dans le village d’Okondo, dans la République du Congo (Congo-Brazzaville), le poète Gabriel Okoundji est psychologue clinicien dans les hôpitaux de Bordeaux.

Son œuvre poétique est marquée par sa terre natale, dans une écriture où se mêlent, évocations, invocations, appels, échos, sagesses et résonances. Où l’Homme est au centre de la dimension cosmique. De langue française, sa poésie est traversée de vocabulaires de langue africaine, dans intertextualité volontaire.

Gabriel Okoundji est un écrivain qui compte dans la nouvelle génération littéraire congolaise et francophone.

Quelques titres (en poésie) : L’âme blessée d’un éléphant noir, Ed. William Blake & Co. 2002 ; Bono le guetteur de signes, Ed. Elytis, 2005 ; Ne rien perdre, ne rien oublier, Ed. Fédérop, 2017.

Tahar Bekri

Pour Cettina Rizzo

– Cetti ! –

Parce que le cœur du monde est dans ton cœur

Tout humain à ta rencontre est comblé.

Tout Homme a deux mains, crois-moi Cetti ! amie, ma parole

         – ici, la main qui nourrit, ici la main qui reçoit

la main qui nourrit tient sa promesse au jour, au temps, à la vie 

la main qui reçoit enserre son geste pour se sauver du désespoir

         – ici, la main qui reçoit, ici la main qui nourrit

aucune main ne joue à cache-cache avec ses propres doigts

la main qui nourrit et la main qui reçoit ont même enfance

les doigts de l’une possèdent le monde dans les doigts de l’autre

                   la main est parole limpide, signe, épopée et consolation

main ouverte au matin de la terre, mémoire des siècles

main absente à l’appel, avènement du vocable enfoui

                   de l’instant dans l’instant

du jour dans le jour

de la nuit dans la nuit

de l’éternité dans l’éternité

la voix qui a connaissance de la voie invoque :

                                      observez, ô témoins !

                            main nue et main pleine partagent ensemble la destinée

main nue et main pleine ont chacune cinq doigts

en voici deux, en voici trois, et cinq et cinq font dix

                   – « qui suis-je ? » se demande la main nue

                   – « qui suis-je ? » lui répond la main pleine

l’une et l’autre ont même rite, même lien, même sang

l’une et l’autre sèment le bonheur que désire le cœur

                   humanité, justice, amour

humilité, piété ! Conscience d’une

accolade d’accomplissement avant la tombée de l’existence

toute parole est élan de la sève sous l’écorce

– c’est ainsi ! – 

la sève s’écoule libre de souci et d’ambition

– c’est ainsi ! – 

multiples feuilles et fleurs s’en nourrissent

– c’est ainsi ! –

l’offrande de la sève ne désire pas de contre-don

                   – c’est ainsi ! –

entre Terre et Ciel, la genèse ne s’improvise pas

la voix qui a connaissance de la voie invoque :

                                      observez, ô témoins !

                            on ne mord pas la main qui nourrit

                            il n’est pas bon d’ôter les ténèbres à la nuit

                            il n’est pas bon d’exiger au sel d’être sucré

                            il n’est pas bon d’espérer du pied gauche sa marche à droite

                            assez !

la voix qui a connaissance de la voie invoque :

                                      observez, ô témoins !

                            on n’offense pas la main qui reçoit

                            il n’est pas bon d’apprendre aux abeilles de danser au vent

                            il n’est pas bon d’étouffer un papillon la paume fermée

                            il n’est pas bon de vanter la splendeur du feu à la saison sèche

                            assez !

Cetti ! crois-moi amie, tout Homme a deux mains

que jamais cette confidence ne se réfugie dans l’oubli

là où le destin place l’Homme s’érige un temple

et le temple des humains c’est d’abord le cœur

Cetti ! crois-moi amie, tout Homme a un cœur qui bat

que jamais cette confidence ne se meurt dans le sommeil

         cœur gauche et cœur droit sont même cœur

l’un et l’autre messagers des humeurs du sang

le sang en sa cadence est écho de la musique du cosmos

l’acoustique de son rythme accompagne la danse des étoiles

quand un souvenir que nous aimons enchante sa source

le sang nous élève au-delà des astres invisibles ;

                            dépassement de soi :

le jour sera de naissance

et viendra le chant de l’augure

tantôt le sang nous fait choir en deçà du vide ;

                            tourments de l’âme :

la nuit mêlera ses ténèbres aux nuages

le remords franchira d’immenses déserts

et si dans l’après-nuit du doute le sang boude sa cadence

le soleil qui se mire au visage ne sera d’aucune gloire

Cetti ! crois-moi amie, le monde est un visage en mouvement

         visage qui change sans fin ni cesse le visage de qui l’observe

         depuis le jour jusqu’à l’étincelle surgie d’une nuit irrévélée

         ainsi donc, nul humain ne peut conquérir le monde entièrement

car l’Inconnue jamais ne se nomme, elle fait signe

         elle est tous les âges, à la fois être et objet

         elle attise la soif de s’appuyer sur l’air

         elle avive le rêve de s’envoler avec le vent

et l’Inconnue toujours s’abrite sans dénuder son nom

toute quête est prouesse humaine en harmonie avec le temps

et depuis l’aube la quête se vêt de mythologies

                            honneur au ciel

                            gloire à l’éveil

ainsi pour qui cherche l’insondable secret de l’éternité

                   il y a l’absolue sensation religieuse de qui a vu Dieu

                   il y a le souverain mystique de qui a vu les ancêtres

entre la religion et la mystique

le sentier est commun, les humains multiples, les étoiles infinies

                   le Dieu de l’humain, c’est d’abord sa pensée

                   l’Ancêtre de l’humain est assurément son âme.

*

 Cetti ô permets-moi : qui a conscience d’avoir reçu la grâce d’une amie, sait en sa modeste attention, qu’aucune parole ne peut suffire. Le plus digne oracle demeure prudent : aucun poème ne saurait célébrer la part du don. Paix, paix, paix à toi.

Bègles le 16 mars 2023.

(Remerciements à l’auteur)

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