Après Bruxelles, Rome et Amsterdam, le weekend dernier, Paris et Berlin accourent à Tunis ce weekend. Mais pour quoi faire ? Carthage brûle-t-il ?
Par Ridha Kefi
Le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et son homologue allemande, Nancy Faeser, se rendront à Tunis, dimanche 18 et lundi 19 juin 2023, pour une série de rencontres consacrées à la question de l’immigration.
C’est ce qu’ont affirmé des sources proches de Darmanin, ajoutant que les deux ministres arriveront, de Paris et de Berlin, dimanche après-midi dans la capitale tunisienne pour repartir le lendemain après-midi.
Darmanin et Faeser devraient rencontrer le président de la république Kaïs Saïed et le ministre de l’Intérieur, Kamel Feki.
L’objectif de la visite, souligne-t-on, est «de renforcer la coopération entre la France, l’Allemagne et la Tunisie, en liaison avec l’Union européenne». C’est à dire ?
Début juin, Saïed s’était entretenu au téléphone avec le président Emmanuel Macron sur la question de l’immigration clandestine, appelant à l’organisation d’un sommet avec les pays des deux rives de la Méditerranée qui en sont concernés.
Au chevet de Tunis
La semaine dernière, les États membres de l’UE et le Parlement européen ont conclu un accord sur une réforme du système d’asile dans l’Union permettant aux Etats européens de renvoyer les immigrés irréguliers non pas dans leurs pays d’origine (qu’ils ont toujours du mal à définir, ces derniers refusant souvent de décliner leur identité réelle), mais dans les pays de départ des barques les ayant ramenés en Europe. Or, les responsables tunisiens ne cessent d’en appeler à la solidarité européenne avec leur pays, territoire de transit mais également d’installation, afin qu’il puisse mieux gérer les flux irréguliers partant de ses côtes et souvent dirigés vers les pays de première arrivée comme l’Italie.
Cela dit, cette visite intervient une semaine après celle effectuée par la présidente de la Commission européenne Ursula va der Leyen, le Premier ministre de l’Italie Giorgia Meloni et son homologue des Pays-Bas, Mark Rutte. Les trois responsables européens ont rencontré le président Saïed et ont convenu d’un programme d’aide financière à la Tunisie d’environ un milliard d’euros (dont un prêt de 900 millions d’euros) comprenant un volet économique et un autre sécuritaire et social en lien surtout avec la lutte contre la migration irrégulière en direction de l’Europe.
Qu’est-ce qui explique cette nouvelle visite à Tunis effectuée une semaine après par le couple franco-allemand ? Est-ce que Darmanin et Faeser sont porteurs de nouvelles propositions ?
Même si on peut comprendre que Paris et Berlin ne soient pas souvent sur la même longueur d’onde que Rome et Amsterdam – les gouvernements en place dans ces deux pays étant de droite et adeptes d’un durcissement de la politique d’immigration –, il est peu probable que la France et l’Allemagne aient des réserves sur l’accord en voie d’être «arraché» par Bruxelles, et c’est le cas de le dire, au président Saïed. L’Europe est traversée par des divisions internes, mais sur le plan international, elle avance généralement en rang serré.
On peut cependant imaginer que le regain d’activisme de l’Italie au sud de la Méditerranée et le renforcement en cours de ses relations avec la Libye, la Tunisie et l’Algérie, autour des questions énergétiques et migratoires, a de quoi gêner la France, laquelle considère cette zone comme son pré carré, et à un degré moindre l’Allemagne, elle-même fortement investie dans la région.
Nécessaire clarification
La France, qui est en train de perdre du terrain en Afrique, au bénéfice de la Russie, de la Chine et de la Turquie, a également de bonnes raisons d’appréhender ces évolutions géostratégiques et de chercher les moyens de se repositionner ou, du moins, de ne pas perdre pied au sud de la Méditerranée. Et dans cette perspective, la Tunisie reste une carte majeure que la France a quelque peu négligée ces dernières années et qu’elle a intérêt à ne pas perdre, au moment où des voix, autour du président Saïed, appellent à un rapprochement avec Moscou et Pékin.
Enfin, on peut concevoir aussi que les déclarations contradictoires du président Saïed, sur la lutte contre l’émigration irrégulière et les relations avec l’Union européenne et les autres bailleurs de fonds occidentaux, puissent susciter un certain scepticisme chez les Français et les Allemands, les deux pays les plus influents à Bruxelles, qui voudraient bien savoir sur quel pied danser avec Tunis. Surtout que la prochaine réunion du Conseil européen devant examiner, entre autres sujets, le projet d’accord avec la Tunisie, approche à grand pas. Elle est prévue les 29 et 30 juin courant.
Dans ce cas, la visite de demain et après-demain servira à clarifier la position de la Tunisie au sujet de ce projet d’accord et la disposition de son exécutif à le ratifier et à le mettre en œuvre. Car des doutes commencent à s’exprimer à ce sujet, alimentés par un Kaïs Saïed qui souffle le chaud et le droid.
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