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Bruits de bottes et roulement de tambours en Libye

A quelques encablures du 9e anniversaire de l’intervention militaire occidentale (14 avril 2011), la Libye, livrée au chaos, est en train de glisser vers le néant, avec à la clé des interventions étrangères multiples obéissant à des agendas contradictoires ne tenant aucunement compte des intérêts des Libyens, ni de la stabilité de la région. Bruits de bottes et roulement de tambours.

Par Hassen Zenati *

On en est encore à une guerre de position entre belligérants non-déclarés convoitant une place dans la Libye post-Kadhafi. Bandant leurs muscles, ils menacent de se prendre à la gorge pour défendre ce qu’ils estiment être leurs intérêts dans un pays regorgeant de pétrole, et dont la longue façade sur la Méditerranée est un atout stratégique, qui a longtemps bénéficié à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

Les événements se sont précipitées depuis que le maréchal Khalifa Haftar a annoncé mi-décembre, qu’il allait lancer sous peu «l’assaut final» contre la capitale Tripoli pour imposer la solution militaire à laquelle il travaille depuis des années pour réunir la Libye à la dérive sous son autorité, et pour certains sous sa dictature.

Les troupes de Khalifa Haftar piétinent aux portes de Tripoli

Cela fait près de dix mois que Khalifa Haftar, glissé dans la peau d’un condottière rescapé de l’ancien régime, piétine devant la capitale à la tête d’unités disparates recyclées de l’ancienne Armée nationale libyenne (ANL), qui avait été bâtie par le Guide défunt et équipée à coups de milliards de dollars de matériels soviétiques.

Le maréchal a conçu la «capture» de la capitale et l’a «vendue» à ses soutiens étrangers, comme le point d’orgue d’une conquête du pays entamée à Benghazi quelques années plus tôt. Elle doit, espère-t-il, s’achever en apothéose par la capitulation des milices armées éparpillées dans plusieurs quartiers de la ville (1,8 millions d’habitants) et la reddition du gouvernement d’union nationale de Fayez Sarraj, sa bête noire, parce que seul détenteur de la légitimité internationale qui lui est reconnue par l’Onu. «L’heure zéro a sonné pour déclencher l’assaut total attendu par tout Libyen libre et honnête», a-t-il déclaré, emphatique, le 12 décembre dans un discours télévisé.

Pourtant, malgré l’encerclement de la ville, infligeant à ses habitants des souffrances terribles, des pertes humaines et des dégâts matériels, les troupes de Khalifa Haftar n’avancent plus depuis des semaines. Elles sont comme prises au piège d’une «drôle de guerre». Cette stabilisation est soulignée par l’un des derniers rapports de l’Onu sur l’évolution de la situation militaire aux portes de la ville, depuis que les groupes armés enrôlés sous la bannière de Fayez Sarraj ont mis un coup d’arrêt à la progression des troupes de Khalifa Haftar, avant de les contre-attaquer en leur reprenant la ville stratégique de Ghariane, fin juin. La «bataille de Tripoli» a déjà fait en dix mois plus de 1000 morts et 140.000 déplacés, selon l’Onu.

L’escalade, pour l’instant plus verbale que réelle, à laquelle s’est livré Khalifa Haftar a sonné l’alarme dans le camp en face. Fayez Sarraj, qui craint plus que jamais pour «sa» capitale et son pouvoir, en a aussitôt appelé à cinq pays qu’il a désignés comme «pays amis»: les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Algérie et la Turquie, pour leur proposer de conclure des accords militaires bilatéraux afin de contrer l’offensive de son pugnace rival. Aucun des trois premiers sollicités n’a réagi à sa proposition, tandis que l’Algérie, par la voix de son nouveau président Abdelmadjid Tebboune, a déclaré qu’elle ne pouvait rester indifférente à ce qui se passe en Libye, dont elle est séparée par une frontière de près de mille kilomètres, sans indiquer jusqu’où irait son intérêt si les choses venaient à se dégrader jusqu’à mettre en péril sa sécurité nationale. Il est cependant admis, que selon une constante de sa doctrine militaire officielle, Alger ne peut envisager d’intervenir militairement hors de ses frontières, dans un pays tiers, sous quelques circonstances que ce soit.

La Turquie est prête à dépêcher des troupes

S’agissant de la Turquie, membre de l’Otan, comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Italie, et pilier sud de sa défense face à la Russie, Ankara a affiché d’emblée la couleur : à la première demande du gouvernement d’union nationale, elle n’hésiterait pas à dépêcher des troupes sur place pour le soutenir contre son adversaire. L’engagement turc en faveur de Sarraj est intervenu quelques jours après la signature entre les deux parties d’un accord de coopération militaire élargi ouvrant précisément la voie à une éventuelle intervention directe des armées d’Erdogan en Libye. Au grand dam de l’Onu qui avait décrété dès 2011 un embargo sur les fournitures d’armes en Libye, la Turquie n’a d’ailleurs jamais dissimulé l’aide en armes légères et lourdes, notamment des blindés et des drones, qu’elle n’a cessé de prodiguer à Sarraj et ses alliés, ce qui leur a permis de résister au rouleau compresseur de Khalifa Haftar alimenté par l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Arabie Saoudite et la Jordanie.

La Russie aurait pour sa part mis à la disposition du maréchal rebelle les milices armées de ses sociétés privées de sécurité, comme Wagner, mais peut-être aussi des militaires d’active, selon les sources américaines, pour l’aider à organiser ses troupes et à remettre en état les équipements défectueux, en particulier des chasseur MIG récupérés dans l’arsenal libyen en déshérence. L’enjeu pour Moscou est de prendre éventuellement pied sur la côte libyenne et d’accéder à la Méditerranée, vieux rêve des Tsar.

L’Egypte, qui a une longue frontière à l’est avec la Libye, a immédiatement riposté, le 17 décembre, aux tentations turques, en faisant savoir qu’elle «n’autoriserait personne à contrôler la Libye, car c’est une question qui relève de sa sécurité nationale», selon le maréchal Abdelfattah Sissi, qui souligne que le gouvernement de Tripoli est «otage de groupes armés et de groupes terroristes». Les relations diplomatiques entre Le Caire et Ankara sont gelées depuis la destitution par l’armée égyptienne en 2013 de Mohammed Morsi, membre de la confrérie des Frères musulmans, dont Erdogan se veut le protecteur tutélaire et bienveillant.

L’Onu et son représentant spécial Salame perdent pied

L’Onu, qui dispose sur place d’un représentant spécial, le Libanais Ghassan Salame, semble avoir perdu pied dans ce marigot. Elle se contente par intermittence de «regretter» ou au mieux de «condamner» l’intervention étrangère en Libye, en rappelant qu’elle prône une «solution politique inclusive» à une crise qui paraît échapper chaque un jour un peu plus aux acteurs locaux. «L’implication d’acteurs internationaux et régionaux, tant étatiques que non étatiques, persiste et va croissant. La fourniture de matériel militaire par des pays tiers et l’intervention directe de groupes armés étrangers dans les combats sont des facteurs de déstabilisation», relève ainsi l’Organisation, dans ce qui apparaît comme un clair aveu d’impuissance.

La France, enfin, semble jouer sur la corde raide, mais pencher finalement vers le maréchal Haftar, qui lui paraît le plus apte à juguler les groupes armés islamistes, les contrebandiers et groupes mafieux, les passeurs et les trafiquants d’êtres humains, qui ont trouvé dans l’Etat failli un terrain de jeu très propice à leurs juteuses affaires. Paris, qui souffre des retombées libyennes sur la guerre au Mali, où elle tente, sans y parvenir vraiment de stabiliser la situation en tenant à distance les jihadistes de son pré-carré, redoute aussi «l’invasion» des migrants clandestins passant par la Libye vers la France et l’Europe après une périlleuse traversée de la Méditerranée.

La «guerre par procuration» qui s’est installée depuis 2011 sur la rive sud de la Méditerranée, pourrait dégénérer en une confrontation plus chaude entre grandes puissances, menaçant de déstabiliser davantage le Maghreb et au-delà l’Afrique sub-saharienne. Celui qui tirera le premier prendra une lourde responsabilité. Car, selon un vieil adage, si l’on sait quand commence une guerre, on ne sait jamais quand elle finit.

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