Les cardiologues, qui ont subi un véritable parcours du combattant au cours de leur cursus universitaire, après avoir sacrifié leur jeunesse sur les bancs de l’université, se retrouvent au moment où ils commencent leur vie professionnelle, la trentaine passée, dépendants de tiers souvent incultes, toujours avides, contrôlant le flux de la clientèle. À force de subir cette situation, certains collègues, en général les plus jeunes, finissent, l’ambiance politique locale aidant, par craquer, et préfèrent repartir du bon pied, sous d’autres cieux.
Par Dr Mounir Hanablia *
Le Dr Khaled Bouzouita, cardiologue de libre pratique, a fermé son cabinet et s’est installé en France. C’est en tous cas ce qu’ont déclaré certains de ses patients. À la Marsa, où il exerçait, il jouissait d’une bonne réputation, lui valant de toute apparence une clientèle nombreuse et fidèle. Il était également inclus dans les tableaux de garde de plusieurs cliniques privées. On ignore donc les raisons qui l’ont poussé à prendre une décision aussi radicale.
Les milieux de la cardiologie ne se révèlent en général pas très loquaces quand des situations semblables se produisent, ce qui est en soi assez révélateur d’un manque d’intérêt, plutôt surprenant.
Ils préfèrent repartir du bon pied, sous d’autres cieux
Le cardiologue Mohamed El-Fajraoui avait lui aussi choisi de s’expatrier après quelques années d’activités dans le privé, sans susciter plus de commentaires de la part de ses collègues. Il faut reconnaître qu’il avait au cours d’une discussion sur la page fb de l’Association des cardiologues libéraux (ACL) exprimé le fond de sa pensée relativement à la prédation qui régnait au sein de la profession.
Depuis lors, les choses n’ont apparemment pas changé. Le problème demeure ainsi posé dans sa globalité. Les cardiologues, qui ont subi un véritable parcours du combattant au cours de leur cursus universitaire, après avoir sacrifié leur jeunesse sur les bancs de l’université, se retrouvent au moment où ils commencent leur vie professionnelle, la trentaine passée, dépendants de tiers souvent incultes, toujours avides, contrôlant le flux de la clientèle autant dans les cliniques, qu’en provenance de la Libye. Et ils ne peuvent le plus souvent s’en faire concéder une partie qu’au prix de compromissions dont ils sont, s’il y a lieu, le cas échéant face à la justice, les seuls à payer le prix.
Le système de prédation empêche l’éclosion des nouveaux talents
À force de subir cette situation, certains collègues, en général les plus jeunes, finissent, l’ambiance politique locale aidant, par craquer, et préfèrent repartir du bon pied, sous d’autres cieux. Ceci est regrettable parce que le système de prédation, intrinsèque à l’activité libérale et hospitalière, empêche l’éclosion des nouveaux talents, s’oppose au renouvellement des générations, perpétue les pratiques anti-déontologiques, et appauvrit en fin de compte la compétence professionnelle disponible. Au vu de cela, le silence tonitruant de la corporation acquiert ses raisons, que la raison désapprouve. On préfère se taire parce que le milieu professionnel sait punir dans leurs revenus ceux qui ne se plient pas aux règles de prééminence. La richesse étant en la circonstance considérée comme un don de Dieu «maktoub», écrit par le Destin, ne pourront y accéder que ceux qu’il aura bénis, même s’ils usent pour cela de procédés inspirés par des saints pas toujours regardants sur les moyens…
Mais ce défaut de communication, interdisant tout changement, a des effets autres que professionnels. Le pays investit financièrement à perte dans la formation de compétences, dont d’autres pays tireront profit sans avoir fourni l’effort nécessaire pour le faire, et sans contrepartie.
En tous cas, le départ du Dr Bouzouita aura occasionné le désarroi de sa clientèle, tiraillée entre les «conseils» pas toujours désintéressés sur l’identité du cardiologue disponible à même de leur assurer après lui la meilleure prise en charge. On le regrettera certainement pendant longtemps !
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
Donnez votre avis