Tunisie-Politique : le feu aux trousses
Incendies, parfois simultanés, à Ben Arous, El-Hamma, Gabès et Bizerte (de gauche à droite et de haut en bas).

Il y avait eu l’incendie de Rome qui avait marqué la fin de Néron. Il y a eu celui du Caire qui annonçait celle du Roi Farouk. De quelle fin les feux actuels en Tunisie marquent-ils le début ?

Par Dr Mounir Hanablia *

Depuis quelques jours, nous vivons dans ce pays au rythme d’incendies qui, de Bizerte à Gabès en passant par Kasserine, Ben Arous et Sfax, confèrent à l’affrontement entre une présidence aux abois et un parlement dissous qui s’accroche à sa déchéance, une lueur macabre.

L’immolation par le feu du petit marchand de légumes de Sidi Bouzid, le 17 décembre 2010, avait marqué une ère nouvelle au crépuscule de celle qui ne l’était plus, celle de l’irruption de coutumes plus que toutes autres étranges, venues d’ailleurs et véhiculées par la mondialisation, dans notre réalité quotidienne.

Les Zoroastriens ont l’habitude de laisser les cadavres pourrir sur les tours du silence pour être dévorés par les vautours. Les Hindous eux les incinèrent, et il est étrange que deux religions issues du même substrat culturel indo-aryen aient fait place à des pratiques mortuaires complètement différentes.

Des actes pas très spontanés

Dans l’imaginaire musulman, qui constitue le substratum de notre être, le feu représente la souffrance éternelle, celle dont après la mort on n’émerge pas, la punition absolue contre tous ceux qui dans ce monde-ci, ont trop péché et ayant bénéficié des accointances nécessaires, n’ont jamais rendu compte de leurs actes. Mais après l’auto-immolation de Mohamed Bouazizi, et dans les jours ayant suivi le départ de Ben Ali, le 14 janvier 2011, les résidences du clan Trabelsi avaient toutes été «visitées» par des foules surgies d’on ne sait où, prévenues par on ne sait qui, qui avaient pris soin après avoir tout emporté d’incendier les lieux de leurs forfaits. L’hypermarché Géant, pourtant équipé de caméras de surveillance, n’avait pas été épargné; aurait-on pu en blâmer les forces de l’ordre qui n’avaient même pas pu protéger leurs locaux dans plusieurs quartiers de la capitale?

Plus de dix années après, il n’a selon toute vraisemblance jamais été question de poursuites engagées pour ces faits, contre quiconque. Apparemment les autorités, du temps de Béji Caïd Essebsi et d’Ennahdha, n’ont jamais été désireuses d’apporter la lumière sur ces actes qui n’étaient pas aussi spontanés qu’on veut bien l’affirmer, et les victimes, les propriétaires des lieux, avaient bien évidemment d’autres chats à fouetter que de porter plainte, c’est le moins que l’on puisse dire.

Si on remet cela ces jours-ci, c’est donc probablement parce que dans les faits, les incendies n’ont jusqu’à présent pas, ou presque jamais, été punis. Et les fumées qui s’en dégagent sont suffisamment inquiétantes et parlantes pour signifier, d’où qu’on les regarde, que le pays est en train d’aller à la dérive, et, sous-entendu, que l’Etat ne fait plus son travail, il ne protège pas les biens, et par voie de conséquences, les personnes.

Nejib Chebbi brûle ses dernières cartouches

En ce sens, les incendies ont ce côté publicitaire inné que les terroristes recherchent tant , avec un avantage supplémentaire, celui de ne pas engendrer les pertes en vies humaines qui aliéneraient tout soutien éventuel de l’opinion. Seulement en réalité tous les citoyens s’estiment légitimement menacés par de tels actes et nul parti politique ne prendrait le risque de les cautionner.

Néanmoins un parti politique, Ennahdha, que pour d’évidentes raisons d’aucuns  soupçonnent d’être à l’origine de cette nouvelle campagne terroriste, a accusé les autorités de ne pas être intervenues avec la célérité nécessaire pour éteindre les sinistres.

Outre le ridicule de cette accusation qui laisserait supposer une intervention au plus haut échelon de l’Etat pour empêcher la protection civile de faire son travail, il s’agirait là d’un «false flag», ou pour être plus précis, d’un nouvel incendie du Reichstag, un acte de provocation pour discréditer l’opposition avant de l’exclure définitivement du champ politique, ainsi que l’avaient fait les nazis contre les communistes.

On imaginerait cependant mal qu’une présidence qui n’est pas capable de protéger certaines conversations confidentielles de ses membres soit suffisamment sûre pour recourir ou émettre les ordres nécessaires à de tels actes sans s’inquiéter des conséquences, pour s’assurer le soutien de l’opinion publique, qui lui est toujours dans sa plus grande partie déjà acquise.

Ces sous-entendus sont suffisamment graves, mais en réalité le terrorisme actuel se situe en droite ligne de la contestation de la légitimité du président Kaïs Saïed, il remet en question son autorité réelle sur le pays. C’est donc de la capacité de ses services à traduire les coupables devant la justice que l’on jugera de son emprise réelle sur l’appareil de l’Etat. En attendant, Nejib Chebbi devrait être bien inspiré de ne pas brûler ses dernières cartouches au feu de la politique. 

* Médecin de pratique libre.

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