Tunisie : Hausse des taux directeurs, chute du dinar

Une vraie guerre mondiale s’annonce sur le front des politiques monétaires. Les fantassins de cette guerre sont les banques centrales et leurs comités d’économistes aviseurs. Leur arme principale est le taux d’intérêt directeur. Ces taux montent en flèche, propulsant le dollar américain à des sommets. Face au dollar, le dinar tunisien a récemment perdu 13%, et la chute ne fait que commencer. Sans comité d’économistes aviseurs et apolitiques, la Banque centrale de la Tunisie (BCT) est mal partie…

Par Moktar Lamari *

Au niveau des pays de l’OCDE, les banques centrales renversent la vapeur, pour lutter contre la pire inflation depuis une génération. Les banques centrales et les économistes des comités liés renversent les politiques d’argent facile de la dernière décennie.

La hausse des taux d’intérêt !

Le 4 mai, la Réserve fédérale (FED) a relevé les taux d’intérêt d’un demi-point de pourcentage et a annoncé qu’elle réduirait bientôt son portefeuille d’obligations. Face à une inflation de 8%, la FED augmente son directeur timidement et avec doigté, pour ne pas sanctionner la reprise économique et le pouvoir d’achat. La FED prend soin de la croissance, son taux directeur est de seulement 1%.

La Banque centrale d’Australie, qui prévoyait il n’y a pas si longtemps qu’elle maintiendrait les taux proches de zéro jusqu’en 2024, a surpris les investisseurs en les augmentant le 3 mai d’un quart de point.

La Banque d’Angleterre a augmenté ses taux le 5 mai à leur plus haut niveau depuis 2009, soit 1%.

Bien que les cours des actions aient un peu bondi après la hausse des taux de la FED – apparemment soulagés qu’ils ne se resserrent pas encore plus rapidement – les marchés financiers se sont péniblement adaptés à la réalité du resserrement monétaire. Les marchés boursiers mondiaux ont chuté de 8% en avril, les investisseurs anticipant des taux plus élevés et une croissance économique plus faible. Les marchés financiers s’adaptent péniblement à la réalité du resserrement monétaire.

Le 2 mai, le rendement des bons du Trésor américain à dix ans, qui évolue à l’inverse des prix, a brièvement atteint 3%, soit près du double de son niveau du début de l’année.

L’une des conséquences du resserrement des conditions financières est une forte réévaluation des devises. Le dollar est en hausse de 7% contre un panier de devises au cours de l’année écoulée. Une parité euro-dollar est à notre porte, et cela va chambarder les rapports de prix dans le commerce mondial.

Chaud devant!

L’Amérique a besoin de taux d’intérêt plus élevés que toute autre grande économie riche, en raison de la surchauffe de son économie et de son marché du travail sous pression, ayant un taux de chômage très, très bas.

Des taux d’intérêt plus élevés augmentent l’appétit des investisseurs pour les dollars, ajoutant à la demande de dollars causée par une baisse de leur désir de prendre des risques ailleurs alors que la guerre fait rage en Ukraine et que la Chine lutte contre une épidémie de coronavirus. Des taux d’interêts plus élevés génèrent indirectement la dévaluation des taux de changes des devises étrangères face au dollar.

Le plus frappant a été l’appréciation du billet vert par rapport au yen japonais, la seule monnaie d’un grand pays riche dans lequel les taux d’intérêt ne devraient pas augmenter de sitôt. En termes réels, le yen est au plus bas depuis les années 1970.

Un autre résultat est la croissance des primes de risque alors que les investisseurs s’inquiètent des écueils du nouveau paysage économique. Aux États-Unis, les mesures de la «prime de risque d’inflation», qui augmente lorsque les prix deviennent difficiles à prévoir, sont à leur plus haut niveau depuis 1994.

Resserrement des politiques monétaires

La liquidité sur le marché du Trésor semble s’amenuiser. L’écart entre les titres adossés à des créances hypothécaires et les bons du Trésor à dix ans a doublé depuis le début de l’année, reflétant les craintes que la Fed ne vende activement ses obligations hypothécaires.

Il y a eu une légère augmentation des écarts de crédit des entreprises alors que les investisseurs évaluent la possibilité que des taux plus élevés rendront plus difficile pour les entreprises le service de leurs dettes. Et en Europe, la différence entre ce que les gouvernements allemand et italien doivent payer pour emprunter pendant dix ans a augmenté en raison du danger qu’une politique monétaire plus stricte rende plus difficile pour l’Italie de faire face à ses dettes élevées.

Un troisième effet est lié à la mauvaise performance de portefeuilles d’investissement, même diversifiés, conçus pour être relativement insensibles aux chocs. Selon The Economist, aux États-Unis, un portefeuille composé à 60% d’actions et à 40% d’obligations, qui a produit un rendement annuel moyen de 11% de 2008 à 2021, est en baisse de près de 12% cette année.

Alors que 2021 a marqué le point culminant du «tout au top» au cours duquel la plupart des prix des actifs ont augmenté, 2022 pourrait marquer le début d’un «tout effondrement», avec la disparition des taux bas rendue possible par une faible inflation – le fondement macroéconomique des rendements élevés des investissements.

Alors que les investisseurs souffrent, les responsables de la politique monétaire pourraient être tentés de changer de cap. S’ils cessaient d’augmenter les taux et laissaient l’inflation monter en flèche, les détenteurs d’obligations perdraient de l’argent, mais des actifs plus résistants à l’inflation, tels que les actions en profiteraient. Le dollar chuterait, aidant les nombreux pays qui libellent certaines de leurs exportations ou dettes en dollars.

Pourtant, il est du devoir des banques centrales, y compris la FED de réagir pour empêcher l’inflation de se maintenir à un niveau intolérable. Le resserrement des conditions financières est la conséquence naturelle de la hausse des taux, et l’ajustement risque de faire dévaluer plusieurs devises et monnaies au niveau international.

Les investisseurs parient toujours que les taux d’intérêt américains culmineront à un peu plus de 3%. Il est peu probable que ce soit suffisamment élevé pour contenir l’inflation sous-jacente, qui a dépassé 5% selon la mesure préférée de la FED. Et cela va impacter les taux d’interêt du FMI et de la Banque mondiale.

Money is money!

Pour des pays sur-endettés, comme la Tunisie et où l’inflation a résisté aux hausses successives et continues des taux directeurs, les marges de monoeuvres s’amenuisent, et pour deux raisons majeures.

la première tient à l’inefficacité des dernières hausses des taux directeurs sur la maîtrise d’une inflation principalement importé, par les mécanismes du marché. En Tunisie, par exemple l’ouverture des frontieres et l’importance du tourisme (expats de retour, tourisme européen, tourisme libyen…) véhiculent la hausse des prix de façon continue, surtout que le dinar continue sa chute inexorablement face aux devises fortes. Continuer à augmenter le taux directeur ne fait qu’étioler l’investissement et compromettre la relance d’une économie en panne de croissance.

La deuxieme raison tient à l’indicipline des politiques fiscales. L’Etat continue d’injecter des sommes importantes, financées par la dette, pour financer plusieurs centaines de milliers de fonctionnaires fantômes et fictifs. Des employés en sureffectif, souvent employés par les partis politiques, et qui n’ajoutent pas de valeur ajoutée additionnelle nette à la collectivité.

La politique monétaire dans ces pays mal gouvernés, surendettés et politiquement instables doit innover ses instruments et paradigmes. Elle doit sortir des sentiers battus et des recettes usées, désuètes et un peu trop passe-partout.

la remontée des taux d’intérêt directeurs va impacter aussi le trésor public de l’Etat tunisien. L’argent devient plus cher, et le gouvernement déjà surendetté va payer plus cher ses services de la dette, ce qui risque de creuser davantage les déficits budgétaires et augmenter les risques de cessation de paiement. la dette publique du pays est déjà insoutenable.

La Tunisie doit relever ces défis de manière apolitique et non partisane. À ce sujet, un débat franc et fondé sur les données probantes doit etre initié entre les économistes tunisiens non inféodés aux systèmes de partisanerie à l’oeuvre dans le pays. Ce débat peut être initié sous l’égide de la BCT, ou encore sous les auspices d’institutions universitaires neutres et ayant fait preuve d’objectivité dans l’évaluation de la performance des politiques monétaires en Tunisie.

La BCT doit se doter d’un comité d’économistes apolitiques pour mener des recherches empiriques, économétriques, évaluatives et utiles à la prise de décision dans le domaine des politiques monétaires en temps d’incertitude. La BCT doit arrêter de faire plus de ce qui n’a pas marché par le passé.

Il est temps d’ajuster la loi liée à la banque centrale pour mieux lutter contre l’inflation en même temps que de stimuler l’investissment et la croissance.

* Universitaire au Canada.

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