Tunisie : Kaïs Saïed, que sont vos promesses devenues ?

Comment Kaïs Saïed pourrait-il faire face à ses ennemis, de l’extrême droite conservatrice à l’extrême gauche archaïque en passant par le «ventre mou» (qui ira au plus offrant) ? Simplement, en tenant ses promesses tant de fois répétées depuis dix mois. En parlant un langage de vérité aux Tunisiens, et non les cajoler, en les remettant au travail, et en traduisant devant la justice les comploteurs et les affameurs dont il ne cesse de parler…

Par Samir Charbi

Des promesses, toujours des promesses ! Voilà ce que peut ressentir un Tunisien lambda près de dix mois après le coup d’éclat du 25-juillet 2021 par lequel d’une pichenette juridique extirpée d’un article alambiqué d’une Constitution, rédigée, comme il le dit, «sur mesure», celle du parti dominant qui l’avait tellement modelée et remodelée que tout le monde s’est pris les pieds dans le tapis le jour où il fallu l’interpréter. Les partis de la mouvance islamistes – comme d’ailleurs les autres – avaient, par la suite, tout fait pour empêcher la Cour constitutionnelle de voir le jour comme il se devait courant 2015. Mal leur a pris : ils ont été punis par là où ils ont péché…

Rien n’est vraiment clair

De report en report, la Tunisie a vécu sans cette institution fondamentale, seule à même de départager les adversaires et d’expliquer les passages flous d’une Constitution pourtant considérée par ses promoteurs comme la «meilleure du monde» !

Prenant ses adversaires par surprise, le Président de la République, trop tôt relégué avec des pouvoirs étriqués au Palais de Carthage, a d’un coup – grâce au soutien des forces armées dont il est le Chef – renvoyé tout le monde dos à dos : les dirigeants politiques, toutes tendances confondues, étaient – et le sont toujours – fort marris.

Depuis, Kaïs Saïed gouverne seul et prend ses responsabilités devant l’Histoire. Il décide après consultation de qui il veut parmi ceux qui l’ont soutenu dan son «aventure». Jusqu’à présent, malgré les effets qui perdurent de la crise du Covid (2020-2021) et en dépit des multiples sabotages et peaux de banane qui le visent, il tient bon. Droit dans ses bottes, il a tracé sa trajectoire… Référendum le 25 juillet 2022 sur l’instauration d’une 3e République, après celle de 1959-2011 et l’éphémère de 2014-2022.

Rien n’est vraiment clair pour l’instant, et rien ne se passera facilement ! Les enjeux sont énormes : tous ceux qui ont profité (abusé de l’Etat et de ses entreprises) au cours de la décennie «noire» vont perdre définitivement avec le risque d’être traduits devant la justice, cette fois, pour de bon. Ceux-là vont multiplier les bâtons dans les roues du carrosse brinquebalant : un incendie par-ci, une explosion par-là, sans parler du risque terroriste.

Coups de semonce ou coups de bluff

Comment Kaïs Saïed pourrait-il faire face à cette cohorte d’ennemis, de l’extrême droite conservatrice à l’extrême gauche archaïque en passant par le «ventre mou» (qui ira au plus offrant) ?

Simplement, en tenant ses promesses tant de fois répétées depuis dix mois. Pour beaucoup, ses coups de semonce s’apparentent à des coups de bluff. Personne n’a vu, jusqu’à ce jour, un gros bonnet de la spéculation devant la justice. Idem pour les politiciens qui ont vidé les caisses de l’Etat, qui ont outrepassé leur droit et qui continuent à vitupérer sans scrupules contre le Président de la République et contre le Gouvernement. Les comploteurs se la coulent douce. Les affameurs aussi.

Le Conseil de la Magistrature a beau être chamboulé de fond en comble, la justice sur le terrain semble incapable de faire le moindre effort, gangrenée qu’elle a été par des années d’abandon et de laisser-aller, de manque de moyens humains et matériels, de courage… Les tribunaux sont archi débordés. Mais ce n’est pas seulement une affaire de «juges honnêtes ou malhonnêtes». La promesse de redonner au corps de la Justice sa force et sa considération est loin d’être tenue. Faute d’une stratégie cohérente.

Le «peuple» dont se réclame Kaïs Saïed va-t-il pouvoir encore attendre ? Les conditions de vie se détériorent de jour en jour. Et les loups sont à l’affût.

Personne, à la Présidence comme au Gouvernement, n’ose dire la vérité toute simple aux Tunisiens en expliquant le pourquoi du comment. Et en nommant les responsables. Le Président a bien commandité un «audit» des prêts accordés à la Tunisie depuis 2011 (Que sont-ils devenus ? à qui ils ont profité ? Ont-ils été détournés ?). Cette promesse qui date de plusieurs mois n’a pas vu le jour ! Pourquoi se taire ? Qui a vidé les caisses de l’Etat en distribuant des largesses aux militants du parti dominant ? Comment se fait-il que la fonction publique soit devenue la vache à lait dudit parti & associés ? Le trop plein de fonctionnaires qui pèse sur le budget de l’Etat comme le trop plein de salariés des entreprises publiques sont des sujets tabous. Comment dégraisser la bête ?

Des promesses restées lettres mortes

Pourquoi ne pas rendre compte, chiffres à l’appui, de la décennie noire ? Les multiples promesses annoncées pour faire un bilan complet sont restées lettres mortes. Ce vide sidéral est une belle opportunité offerte aux divers opposants qui se lavent les mains et crient au coup d’Etat : ils s’en prennent librement à tous les partisans du Président… Ils se prévalent de la «démocratie» (celle qui a mis en coupes réglées le pays entier) et s’en sortent indemnes.

Pourquoi le Gouvernement n’arrive-t-il pas à dire clairement qu’il ne dispose d’aucune marge de manœuvre pour répondre aux revendications «sociales» : baisse des prix, augmentation des salaires ? Parce qu’il s’occupe quasi exclusivement de colmater deux brèches : payer les salaires et rembourser les échéances nombreuses des dettes accumulées depuis 2011. Zéro épargne, zéro investissement, zéro création d’emploi, zéro initiative… et quand il y en a, ça ressemble du bla-bla (du «wishful thinking», dira un anglais).

Les caisses de l’Etat étaient vides en juillet 2021, et elles le sont toujours. Faute d’une reprise nette du travail et de la production. Et, comme la coupe n’était pas assez pleine, les effets de la guerre russe en Ukraine qui touchent l’économie mondiale, obèrent bien sûr le fardeau de l’économie tunisienne, laquelle a été, après la décennie noire, ouverte trop largement au commerce extérieur. Les ex-tenants du pouvoir avaient trouvé dans le pur commerce (un bureau, un téléphone et des intermédiaire) une occasion formidable de s’enrichir rapidement (et légalement) sur le dos des machines productrices industrielles et agricoles. De grands pans de l’économie ont été ainsi mis à plat ventre au profit de quelques sangsues humaines (politiciens, parlementaires et affairistes) : exploration et extraction pétrolières, phosphates et dérivés, sidérurgie, alfa (pour le papier), textile, quincaillerie, plastique, tabac, sucre, grandes cultures, élevages, lait, transports collectifs…

Qu’attend le gouvernement pour établir un audit clair et public de tous ses secteurs dont les dettes incommensurables sont devenues un boulet pour l’Etat ?

Le temps de passer aux actes

Qu’attend le gouvernement pour exiger un audit financier et social du secteur public et privé ? Et décider : pas d’augmentation de salaires sans augmentation de la productivité; pas de salaire sans travail effectué; pas de prime sans rendement. En contrepartie : des prix rémunérateurs pour les producteurs industriels et agricoles; un contrôle strict des prix de gros et de détail; un contrôle strict du secteur bancaire (lequel, plus malin que tous les autres, a largement profité de la crise)…

Fini le temps des promesses ! Arrêtons de tirer à hue et à dia. Passons aux actes : contrôle systématique des partis et des associations (leur organigramme et leur financement), des médias (leurs propriétaires et leurs ressources), des syndicats (qui interfèrent allègrement et quotidiennement dans la sphère politique)… Chaque partenaire devrait jouer son rôle et ne plus marcher sur les plates-bandes du gouvernement. Comme par le passé, la Tunisie est capable de s’en sortir, avec les richesses de son terroir et de son patrimoine culturel, ses ressources naturelles et humaines… Pourvu seulement qu’on la laisse en paix. Et qu’on montre aux entrepreneurs et aux citoyens que le chemin n’est plus miné par le manque de visibilité et par les chausse-trapes d’une bureaucratie volontairement tatillonne, d’un fisc vorace…

Le service minimum que les responsables de la débâcle des années 2011-2021 peuvent faire : se taire, demander pardon et laisser le président et le gouvernement actuel travailler avec un préjugé favorable. Au lieu de vouloir le changer tous les six mois comme par le passé en exigeant sans pudeur de participer au nouveau «dialogue» sur l’avenir d’un pays qu’ils ont foutu en l’air !

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