Kaïs Saïed peut toujours dire «Toz fi Europa !» (Au diable l’Europe!), mais il doit savoir que lorsque Mouammar Kadhafi lançait «Toz fi America !», l’ancien dirigeant libyen avait les moyens de ses éclats. Et encore, pour avoir surestimé ces moyens, il l’a payé ensuite très cher. Et dix ans après sa fin tragique, son peuple n’en finit pas de payer les pots cassés.
Par Imed Bahri
«Il est hors de question de tolérer toute forme d’ingérence dans les affaires internes de la Tunisie», a souligné le président de la république Kaïs Saïed, lors de sa rencontre, lundi 30 mai 2022, au palais de Carthage, avec le ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, Othman Jerandi.
«La souveraineté de la Tunisie ne peut, en aucun cas, faire l’objet de surenchères», a martelé le chef de l’Etat, dénonçant «les positions de la Commission de Venise concernant la situation en Tunisie, notamment en ce qui concerne l’Instance des élections et le référendum du 25 juillet prochain.»
«Ceux qui veulent à tout prix s’ingérer dans les choix du peuple Tunisien, ne sont plus les bienvenus en Tunisie», a aussi déclaré Kaïs Saïed, dans une vidéo publiée sur la page Facebook de la présidence de la république.
Le président de la république a souligné que la souveraineté des Etats est garantie par les législations internationales, ajoutant que la Tunisie dispose des textes de lois nécessaires à l’organisation, en toute transparence, les échéances électorales.
Un éclat de voix inutile et improductif
Voilà pour l’information qui fait jaser sur les réseaux sociaux depuis hier soir, mais ce dernier éclat de voix de M. Saïed risque d’avoir des conséquences. Était-il vraiment nécessaire ?
Il convient de rappeler à ce propos que la Commission de Venise avait rendu, vendredi dernier, à la demande de la délégation de l’Union européenne en Tunisie, un «avis urgent» sur le cadre constitutionnel et législatif concernant le référendum du 25 juillet et les élections législatives du 17 décembre.
Le fait que l’avis en question ne soit pas conforme aux desideratas du chef de l’Etat et qu’il donne finalement raison à ses opposants ne participe d’aucune volonté d’ingérence de la part de la commission de Venise qui est une instance d’expertise constitutionnelle et juridique. Elle juge la conformité des mesures prises par ses pays membres aux normes démocratiques internationales. Son avis est purement consultatif et, au-delà des débats politiques qu’il pourrait alimenter pendant quelque temps, il ne prêterait à aucune conséquence. Et M. Saïed, qui poursuit sa stratégie du train direct ou du bulldozer qui saccage tout sur son passage, aurait bien pu l’ignorer. Quelle mouche l’a donc piqué pour qu’il parte ainsi en guerre contre une instance d’expertise juridique qui ne possède ni fantassins ni blindés ni avions de chasse ?
Irritabilité et isolement
Par sa tonalité véhémente, la prise de position du chef de l’Etat trahit l’état d’irritabilité et d’isolement dans lequel il se trouve au point d’opérer une dissociation inquiétante entre sa volonté d’imposer son projet politique, qui n’a rien d’urgent, et les urgences, économiques et sociales auxquelles fait face son pays.
L’Union européenne étant le premier partenaire de la Tunisie, son premier client, son premier fournisseur, son premier investisseur et l’un de ses premiers contributeurs en termes d’aides financières et techniques, le président Saïed aurait dû faire preuve de plus de retenue diplomatique et éviter de monter ainsi sur ses grands chevaux, animé qu’il est par ses élans populistes, au risque de s’aliéner des soutiens internationaux aussi précieux qu’urgents.
Enfin, un pays comme la Tunisie d’aujourd’hui, qui a du mal à joindre les deux bouts, qui vit quasiment grâce à l’aide internationale et qui ne cesse de tendre son escarcelle à l’obole, n’a pas les moyens d’une indépendance et d’une souveraineté de façade qui ne font pas manger leur homme.
Quand Mouammer Kadhafi lançait «Toz fi América !» (Au diable les Etats-Unis!), il avait, lui au moins, les moyens de ses éclats. Et encore, pour avoir surestimé ces moyens, il l’a payé très cher. Et dix ans après sa fin tragique, son peuple n’en finit pas de payer les pots cassés.
A bon entendeur salut !
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