Etat et religions : la laïcité, clé de la vie en société… et en politique

«Oui, évidemment, le bon (Dieu, Ndlr), c’est le nôtre. Mais alors, sur toute la terre, il y a beaucoup de gens qui sont couillonnés» : cette tirade drôle de César, dans le roman homonyme de Marcel Pagnol, pose en termes légers mais percutants la problématique d’où nous autres Tunisiens, comme beaucoup d’autres peuples, ne sommes pas sortis, celle du mélange explosif entre la foi, la politique et le pouvoir, qu’une constitution bien pensée pourrait régler de manière intelligente. Kaïs Saïed, qui est en train de nous en concocter une nouvelle, le fera-t-il pour nous ?

Par Samir Gharbi

Quand on mélange les genres, la foi, la politique et le pouvoir, on va vers des désastres : les guerres (civiles ou entre pays), le terrorisme sous toutes ses formes et, pire, l’abêtissement des gens. Le maintien des peuples sous domination (de l’église, du califat et leurs avatars) a toujours donné des résultats catastrophique. Les exemples du passé n’ont servi à rien. De nos jours, les cas abondent, de l’Afghanistan à l’Iran, du Maghreb et du Machreq, sur tous les continents…

Les pays qui s’en sortent le mieux sont ceux qui séparent effectivement la «foi» de la vie temporelle. Après la décennie noire en Algérie (1991-2002), la décennie noire en Tunisie s’éternise (2011-2021)… Dans notre pays, on parle d’une «Troisième république» et rien ne laisse penser que la «laïcité» sera enfin légalement reconnue et surtout mise en pratique.

Pour illustrer ce vieux débat, je partage avec vous cet extrait d’un livre de Marcel Pagnol, écrit en 1946, en conclusion d’une trilogie familiale (Marius, Fanny et César). Ce grand écrivain français, né en 1895 et décédé en 1974, nous a laissé une œuvre immense (littérature, théâtre, cinéma).

Cet extrait est tiré de César. Le passage est un dialogue entre les personnages de la comédie juste après le décès de leur ami Honoré Panisse.

A propos des Bons Dieux… Lequel est le vôtre ?

César (parlant de Panisse) : Oh vaï ! C’est une belle mort pour les autres. Mais moi, j’aime mieux une laide vie qu’une belle mort… Parce que la mort, on ne sait où ça va…

Honorine : Quand on s’est bien confessé, et bien repenti, ça va au Paradis.

César : Oui, peut-être. Mais moi, il y a une idée qui me tracasse. Le Bon Dieu d’Elzéar (le curé du quartier, ndlr), le nôtre, enfin, si ça n’était pas le vrai ?

Honorine (scandalisée) : Mais qu’est-ce que vous dites ?

César : Je veux dire que je connais des musulmans, des Hindous, des Chinois, des nègres. Leur Bon Dieu, ce n’est pas le même, et ils ne font pas comme nous !… Nous, nous avons des péchés que chez eux c’est une bonne action, et vice versa… Peut-être qu’ils ont tort, remarquez bien… Seulement ils sont des millions de milliasses (un très grand nombre, ndlr)… S’ils avaient raison, Monsieur Brun ?

M. Brun : Il est certain que la question peut se poser.

César : Le pauvre Honoré est tout préparé, bien au goût du Bon Dieu d’Elzéar. Et si, en arrivant au coin d’un nuage, il se trouve en face d’un Bon Dieu à qui on ne l’a jamais présenté ? Un Bon Dieu noir, ou jaune, ou rouge ? Ou un de ces Bons Dieux habillés en guignol, comme on en voit chez l’antiquaire, ou celui qui a le gros ventre ? Ou bien celui qui a autant de bras qu’une esquinade (araignée de mer, sorte de crabe, ndlr) ? Le pauvre Panisse qu’est-ce qu’il va bien lui dire ? En quelle langue ? Avec quels gestes ? (A Escartefigue) Tu te vois, toi, déjà fatigué par ta mort, et tout vertigineux de ton voyage, en train de t’expliquer avec un Dieu qui ne te comprend pas ? Et tu as beau lui faire des prières, il te dit : «Quoi ? Comment ? Qu’est-ce que vous dites ?» Et il te le dit en chinois ?

Escartefigue : Situation terrible. Là, tu me donnes le grand frisson.

Honorine (en colère) : Taisez-vous, grand mécréant. Et la Sainte Bible alors, c’est des mensonges ? Et les Evangiles ? Vous n’avez pas honte de dire des choses pareilles devant l’enfant de chœur ?

Claudine (sarcastique) : Si vous alliez un peu plus souvent à l’église au lieu de boire tant de pastis, vous sauriez qu’il y a qu’un Dieu ! Et ce Dieu, c’est le nôtre.

César : Oui, évidemment, le bon, c’est le nôtre. Mais alors, sur toute la terre, il y a beaucoup de gens qui sont couillonnés. Ça me fait de la peine pour eux. (…)

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