Kaïs Saïed ne rate aucune occasion pour donner raison, par ses faits et gestes, à tous ceux qui doutent de sa capacité à écouter les autres et qui craignent à juste titre sa manière de se barricader dans ses certitudes, quitte à persévérer dans l’erreur. L’appel aux Tunisiens qu’il a publié ce matin, mardi 5 juillet 2022, sur la page Facebook de la présidence de la république, ne laisse aucun doute à ce sujet. Pour le locataire du palais de Carthage, il n’y a pas de place au doute, ou ça passe ou ça casse !
Par Imed Bahri
Dans cet appel, le président de la république ferme une nouvelle fois la porte à tout débat sur le projet de nouvelle constitution qu’il propose au référendum du 25 juillet et où l’écrasante majorité de ses collègues professeurs de droits constitutionnel ont cru lire une volonté de mise en place d’un régime sinon dictatorial du moins présidentialiste et autoritaire, un régime où tous les pouvoirs sont accaparés par le chef de l’Etat, lequel n’a de compte à rendre à aucune partie.
Une atmosphère de guerre civile larvée
Dans le ton messianique qu’on lui connaît, celui d’un Omar Al-Khattab ressuscité au 21e siècle, M. Saïed parle directement au peuple, mais pas à tout le peuple, y compris celui qui rejette son projet de constitution, mais seulement à «son» peuple à lui, celui qui soutient sa démarche solitaire, unilatérale et fermée à toute discussion.
Les citoyens qui alertent contre la dérive autoritaire de son projet sont, comme souvent, assimilés à des ennemis du peuple, des traitres à la nation, des corrompus et des adeptes du retour de l’ancien régime.
Ce qui donne une idée de l’atmosphère de guerre civile larvée que le chef de l’Etat entretient dans le pays depuis son investiture en 2019, et de l’ambiance délétère dans laquelle il semble vouloir enfermer les Tunisiens et tenir «son» référendum, coûte que coûte et contre vents et marées.
Ce qui fait craindre aussi, chez cet homme obstiné, obtus et fermé à tout dialogue, une volonté de tenter un passage en force que la situation générale dans un pays au bord de la banqueroute financière et de l’explosion sociale risque de dégénérer en violences politiques. Attention, gros nuages à l’horizon…
Avis de tempête en Tunisie, dixit Le Monde
Ce risque, que nous sommes de plus en plus nombreux à appréhender, le journal Le Monde, semble ne pas l’écarter, en concluant ainsi son éditorial d’hier, mardi 4 juillet: «Après le désaveu de M. Belaïd, le président tunisien va-t-il persévérer dans son aventure personnelle? Si tel devait être le cas, tout est à craindre en Tunisie dans les prochaines semaines. Une opposition laminée au lendemain de son coup de force du 25 juillet 2021 ne manquerait pas de se réveiller. Et, alors que le pays est au bord de la banqueroute financière, le risque de colère sociale ajouterait à la crispation ambiante. Avis de tempête en Tunisie.»
Si, pour le président Saïed, il n’y a jamais place pour le doute, ou ça passe ou ça casse, cet homme féru d’histoire doit savoir qu’on n’allume pas les incendies impunément et qu’en politique, les pyromanes finissent toujours par être dévorés par le feu qu’ils ont eux-mêmes allumé.
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