Depuis son installation à la tête de l’Etat en 2019, le président de la république Kaïs Saïed tente d’incruster sa légitimité obtenue par les urnes dans la mémoire des Tunisien(ne)s en essayant de passer sous silence les réalisations de tous ses prédécesseurs ? Mais si l’Histoire peut toujours être réécrite par l’homme fort du moment, la vérité historique, elle, finit toujours par triompher de toutes les tentatives de falsification. (Ph. Studio Kahia).
Par Imed Bahri
A quoi reconnaît-on un régime dictatorial ? Parmi les signes qui ne trompent pas, on citera la propension des apprentis dictateurs à effacer les réalisations de tous ceux qui les ont précédés à la tête de l’Etat. C’est ce qu’a fait, en Tunisie, Habib Bourguiba avec la monarchie Husseïnite, Zine El-Abidine Ben Ali avec Bourguiba, et le régime islamiste au lendemain de la révolution de 2011 avec Bourguiba et Ben Ali eux-mêmes.
N’est-ce pas ce que tente de faire, depuis son installation à la tête de l’Etat en 2019, le président Kaïs Saïed, qui croit que l’imposition de sa légitimité passe par la table rase ?
Deux énormes omissions
N’est-ce dans le cadre de ce coup d’éponge que M. Saïed a fait promulguer une nouvelle constitution, qu’il est en train de concocter une nouvelle loi électorale et qu’il parle déjà tapageusement d’une «Nouvelle République» dont il serait l’incarnation. Et dans cette «Nouvelle République», qui serait tout aussi bananière que celles qui l’ont précédée, il n’y a visiblement pas de place pour la mémoire de la nation tunisienne, laquelle va devoir naître ou renaître avec le nouveau «raïs».
Cette réflexion nous est inspirée par deux énormes omissions constatées dans le discours prononcé par Ichraf Saïed, l’épouse du président, lors de la cérémonie officielle de célébration de la fête nationale de la femme, le samedi 13 août 2022, au lycée de jeunes filles de la rue du Pacha.
Première omission de Mme Saïed, dont le discours a sans doute été relu et corrigé par son auguste époux : en évoquant l’histoire du lycée de la rue du Pacha, qui a formé des générations de femmes ayant joué un rôle de premier ordre dans l’histoire contemporaine de la Tunisie, elle a passé sous silence le fait que cette première école publique tunisienne pour les jeunes filles musulmanes été créée, en mai 1900, par la Française Louise René Millet. On peut essayer de réécrire l’Histoire pour la rendre conforme à notre idéologie du moment (nationaliste arabe dans le cas de M. Saïed), mais on ne peut en aucun cas changer ou passer à la trappe les faits historiques dûment documentés.
Bourguiba triomphe toujours de ses fossoyeurs
Seconde omission, et de taille celle-là, et dont la portée politique n’échappe à personne : Mme Saïed, qui cherchait à valoriser les acquis de la femme en Tunisie et à souligner l’apport de son époux dans ce domaine, qu’elle seule semble avoir vu, a complètement occulté le nom de Habib Bourguiba, l’initiateur du Code du statut personne, promulgué le 13 août 1956, quelques mois après l’indépendance du pays, et dont on célébrait, justement, ce jour-là, l’anniversaire.
C’est Bourguiba qui a émancipé les femmes, les a réhabilitées dans leurs droits citoyens et les a remises à leur place, c’est-à-dire au centre de la famille et de la société.
C’est Bourguiba aussi, entre autres réalisations révolutionnaires qui ont profondément changé la société tunisienne, qui a instauré la scolarisation obligatoire des enfants, filles et garçons, dès 1956… Et cette vérité historique personne ne pourra aujourd’hui la contester, et surtout pas monsieur et madame Saïed qui lui doivent eux-mêmes beaucoup. Et pour cause… C’est la révolution sociale et culturelle que Bourguiba a mises en œuvre, contre vents et marées, dans une société conservatrice et réfractaire au progrès, qui ont, en effet, permis à des millions de Tunisiens et de Tunisiennes, dont M. et Mme Saïed, de faire des études supérieures et d’accéder aux plus hautes charges publiques. Et cela personne ne pourra non plus le lui renier aujourd’hui…
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