Entre Washington et Kaïs Saïed, le courant passe toujours très mal et la crispation que montre le président tunisien face aux sollicitations américaines, perçues comme une insupportable ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain, n’aident pas à établir un dialogue constructif. Et ce seront les Tunisiens qui, au final, payeront les frais de cet impossible dialogue.
Par Ridha Kéfi
Le président de la république Kaïs Saïed a rencontré, mardi 30 août 2022, au palais de Carthage, la secrétaire d’Etat adjointe des Etats-Unis pour les Affaires du Proche-Orient Barbara Leaf.
«L’entretien a porté sur le développement des relations bilatérales entre la Tunisie et les Etats-Unis. C’était aussi l’occasion au cours de laquelle le président de la république a clarifié de nombreuses questions liées au processus que connaît la Tunisie, réfutant de nombreuses allégations relayées par des parties connues et exigeant des autorités américaines qu’elles écoutent leurs homologues tunisiennes pour connaître la réalité de la situation», indique un communiqué de la présidence de la république, laissant ainsi entendre que la démarche rectificative du processus démocratique en Tunisie initiée par le président Saïed est incomprise à Washington, parce que Washington refuse de prêter l’oreille aux explications officielles tunisiennes.
Incompréhension sur toute la ligne
A Carthage, on n’envisage pas la possibilité que la mésentente soit aggravée par la crispation des autorités tunisiennes et leur façon de se barricader dans leurs inébranlables certitudes et de rejeter toute réserve ou toute critique comme un acte inamical voire hostile.
«Le chef de l’Etat a réitéré l’attachement de la Tunisie à sa souveraineté et son refus de toute ingérence dans ses affaires intérieures, et a exprimé son mécontentement face aux déclarations faites par un certain nombre de responsables américains dans la période récente», ajoute le communiqué, qui laisse penser que la rencontre fut plutôt tendue, et que le chef de l’Etat tunisien supporte de moins en moins les critiques, fut-elles amicales et émanant de partenaires historiques importants de la Tunisie.
«Cette rencontre a également été l’occasion d’évoquer la situation économique et sociale de la Tunisie et le rôle que la communauté internationale peut jouer pour aider à surmonter les difficultés que traverse notre pays», souligne encore le communiqué de Carthage, ajoutant que le président Saïed a également indiqué que «la communauté internationale doit jouer pleinement son rôle en contribuant à la restitution des fonds spoliés au peuple tunisien», renvoyant ainsi toute la responsabilité dans la non-restitution des biens soi-disant spoliés aux Tunisiens sur la communauté internationale, et passant sous silence le fait, maintes fois déploré, que les autorités judiciaires tunisiennes ont été jusque-là incapables de fournir des preuves attestant cette «spoliation».
Inquiétudes américaines
A l’issue de la rencontre Mme Leaf s’est contentée du strict minimum en déclarant, selon un communiqué de l’ambassade des Etats-Unis à Tunis, que «le partenariat américano-tunisien est plus fort lorsqu’il existe un engagement partagé en faveur de la démocratie et des droits de l’homme.» La secrétaire d’Etat adjointe a aussi souligné «l’importance de réaliser des réformes économiques qui conduiront à des mesures équitables de prospérité pour tous les Tunisiens.»
On constate au passage que les deux communiqués sont axés sur les relations bilatérales, et on comprend que les questions régionales, notamment la situation très tendue en Libye, n’étaient pas à l’ordre du jour.
De là à penser que les Américains, qui ont multiplié ces derniers temps les visites officielles en Tunisie, observent avec beaucoup d’intérêt sinon d’inquiétude l’évolution de la situation dans notre pays, il y a un pas que les observateurs seraient tentés de faire.
La Tunisie, en effet, ne se porte pas bien (c’est un euphémisme). Au terme d’une dizaine d’années d’instabilité politique, notre pays est au bord de la faillite économique, de la banqueroute financière et de l’explosion sociale, sans que de véritables réformes ne soient mises en œuvre pour prévenir une telle évolution d’autant plus redoutée que la position géographique de la Tunisie, au cœur de la Méditerranée, en fait une zone de grande importance stratégique pour les Etats-Unis et l’Union européenne, une zone où l’instabilité ne saurait être acceptée, car elle risque de mettre en péril la stabilité régionale.
Les visites des officiels américains à Tunis sont autant d’occasions pour jauger de la capacité des acteurs politiques tunisiens à dépasser la crise actuelle sans gros dégâts. Elles leur permettent, éventuellement aussi, de se préparer à faire face aux évolutions futures, car le temps politique risque d’être accéléré par l’aggravation de la crise économique et sociale…
Cependant, et si on arrive à deviner, en analysant leurs actes et leurs déclarations, les motivations des Américains et les raisons de l’intérêt qu’ils portent à notre pays, la grande inconnu, pour les observateurs et les analystes, reste Kaïs Saïed, dont les actes et les déclarations envoient des signes souvent incohérents voire contradictoires, et qui dénotent une grave méconnaissance des réalités du monde voire (et c’est plus grave) des réalités du pays dont il a la charge.
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